2. Le complexe de la génération superman.

a) Des enfants, éducateurs de parents

Les adultes sont presque évincés des politiques publiques mises en place en matière d’ERE. Certes, ils sont ciblés ponctuellement par une campagne de sensibilisation à un problème particulier. Parmi les contrats de rivières rencontrés, la majorité mentionne la publication de flyers ou l’organisation de réunion d’informations publiques mais les projets structurés sont toujours à destination des enfants. Plus de 90% des animations menées dans les départements de la Loire, de l’Ain et du Rhône concernent des enfants, en contexte scolaire ou non. C’est que nous avons montré dans le chapitre 3. Pourquoi les enfants ? Nous avons déjà mis en évidence plusieurs facteurs d’explication que nous ne faisons que rappeler ici.

Il y a tout d’abord la place centrale de l’Education Nationale dans le champ éducatif. Dans nos représentations sociales, l’éducation et instruction renvoient à l’école qui est perçue/conçue comme l’acteur central, incontournable, parfois même exclusif, de l’éducation. Il existe bien sûr d’autres acteurs éducatifs, associations d’éducation populaire, d’éducation sportive, artistique etc., mais ils ne bénéficient pas de la légitimité institutionnelle de l’Education Nationale. C’est ce qui explique que le Grenelle de l’éducation à l’environnement ait pris place à l’Ecole en évinçant toutes les associations qui ont développé des compétences dans le domaine depuis 30 ans.

Le second facteur d’explication, correspond à la manière dont sont financées les actions d’ERE. Les collectivités s’impliquent selon deux modèles, celui d’une gestion concertée qui rassemble à la table de concertation toutes les parties prenantes impliquées et le modèle de gestion segmentée où la collectivité n’intervient que dans certaines thématiques et à destination de certains publics, qui relèvent selon elle de ses compétences. C’est le second modèle qui prédomine aujourd’hui dans le milieu de l’ERE. La décentralisation ayant confié certaines compétences aux collectivités territoriales en matière d’éducation, chaque collectivité pense pouvoir et devoir intervenir dans le niveau d’enseignement dont elle a la charge : les communes dans le primaire, les départements dans les collèges et la région dans les lycées.

Les enfants deviennent ainsi le cœur de cible de l’ERE Ils sont l’image de l’avenir. En éduquant les enfants à être des personnes éco-responsables, on espère régler les problèmes en amont. Les gestes écocitoyens appris et appliqués éviteront à l’avenir une mauvaise gestion environnementale. Outre le caractère limité des actions individuelles déjà souligné précédemment, placer les enfants au cœur du processus de responsabilisation, c’est leur faire porter la responsabilité des changements à introduire. Les enfants sont les acteurs principaux du changement. On attend d’eux qu’ils prennent en charge les problèmes engendrés par les générations antérieures. C’est la solidarité intergénérationnelle inversée. Ce ne sont plus les parents qui prennent soin de leurs enfants, plus fragiles et dépendants. Ce sont les enfants qui vont assumer les erreurs de leurs ainés. C’est le contraire du principe même de développement durable. La responsabilisation des enfants vise celle des parents.

Figure 70 : Quand les enfants éduquent leurs parents
Figure 70 : Quand les enfants éduquent leurs parents

Parmi le corpus d’entretiens réalisés au cours de cette recherche, à plusieurs reprises, les personnes interviewées parlent d’éduquer les enfants pour responsabiliser les parents. On retrouve aussi ce type d’approche dans la conférence débat et dans certains projets pédagogiques des enseignants.

Donc, en Isère, sur ces sujets là ; ils sont en train de travailler… enfin, je vous parle de l’Isère. Parce qu’il y a des éléments différents. Nous avons constaté que les citoyens ne suivent pas, pas beaucoup. Pas comme ils auraient voulu par rapport à tous les efforts qui ont été faits. Et donc il y a quelques difficultés, une erreur de tactique mise en place. On a aussi essayé de motiver les enfants, les jeunes pour booster un petit peu les parents. Avec des conséquences qui peuvent être dramatiques et que j’ai pu voir dans un établissement scolaire. On passe le film d’Al Gore à la récréation et quand on voit les enfants après, et bien moi j’ai entendu un enfant de 11 ans dire : « on va tous crever » et un autre dire « et ben pourvu qu’on sauve au moins l’Europe ». Ca m’a pas fait rire. Conférence débat – atelier 2 – intervention n°158

Dans cette perspective, les enfants doivent être des écocitoyens et éduquer leurs parents au développement durable. Ils sont supposés leur montrer leurs « erreurs écologiques » et mettre en place à la maison les gestes écocitoyens appris par ailleurs. Paradoxalement la sur-responsabilisation des enfants peut être une forme de déresponsabilisation des adultes. Elle sous-tend que les adultes ne sont pas concernés par l’environnement ou par l’éducation relative à l’environnement. Le rôle des adultes semble se borner à éduquer les enfants pour les préparer à gérer demain les problèmes générés hier et aujourd’hui. Le tableau dressé est sévère parce qu’émerge aujourd’hui une prise de conscience sociétale des problèmes environnementaux. Nous l’avons évoqué précédemment dans ce travail. De nombreuses actions et politiques sont mises en place pour essayer d’apporter des solutions. On peut discuter de leur efficacité et de leur portée mais elles ont le mérite d’exister. Centrer l’ERE sur les enfants n’en reste pas moins problématique. C’est un pari risqué.