A. L’ERE prisonnière de l’école et du développement durable

1. La cage du développement durable

A l’origine, l’éducation relative à l’environnement est un projet ambitieux qui vise à changer l’éducation. Elle a émergé de réflexions anciennes, déjà présentes chez Rousseau et Pestalozzi, constituées autour l’idée que l’environnement est un actant de l’éducation. On peut apprendre par et dans l’environnement. L’ERE résulte aussi d’une prise de conscience des problèmes environnementaux et de la nécessité d’agir. Elle tend vers un changement sociétal. L’éducation relative à l’environnement se situe ainsi à l’interface entre moi/les Autres/ le monde. Elle questionne ce que je suis, ce que je fais et ce que je veux devenir. C’est une éducation globale qui mobilise des approches, des stratégies et des démarches pédagogiques variées, dans la perspective d’ouvre sur les Autres et le monde. L’ERE s’inscrit donc dans une démarche collective.

La perspective dans laquelle s’inscrit l’éducation au développement durable est tout à fait différente. L’EDD est centrée sur l’acquisition de savoirs, avec le modèle transmitif comme fondement. Il s’agit de transmettre des connaissances déjà établies, stables et neutres. Ce sont des savoirs de nature scolaire. Ils ne sont ni soumis à la critique ni mis en débat (ou peu). C’est ce qui ressort de l’analyse des animations et des projets pédagogiques des enseignants en EEDD. Derrière ceci repose l’idée que le savoir implique et prépare l’action. L’EDD s’inscrit donc d’abord dans une démarche d’apprentissage tournée vers l’individu. Certes l’EDD a des finalités civiques et citoyennes. Elle vise notamment à impulser de nouveaux comportements et à développer des savoir-faire et des compétences environnementales. Néanmoins, ces dernières sont secondaires. Elles découlent d’un apprentissage de savoirs scolaires classiques.

De l’ERE à l’EDD, il y a une rupture. On est passé d’un paradigme éducationnel à un autre (BERTRAND Y. et VALOIS P., 1999), parce que ces deux types d’éducation ne reposent pas sur le même corpus théorique. L’ERE se structure sur l’écodéveloppement alors que l’EDD s’appuie sur le développement durable. Les deux corpus théoriques ne renvoient pas au même projet sociétal.

Ils sont tous les deux nés de la crise du développement, qui a été engendrée par la croissance des inégalités entre les pays dits développés et les pays dits non développés et l’émergence de crises environnementales graves. Pourtant, l’écodéveloppement et le développement durable proposent des solutions très différentes. L’écodéveloppement est au service d’un autre développement qui soit respectueux de l’environnement, endogène, qualitatif plus que quantitatif. Il s’inscrit dans la perspective d’un changement sociétal. Il s’ancre dans la théorie critique. Il porte un regard critique sur notre environnement pour en cerner le fonctionnement et identifier les éventuels problèmes ou améliorations possibles pour ensuite être force de proposition dans la perspective de changement. L’écodéveloppement conduit à une vision critique du libéralisme économique et d’une manière plus générale du mal développement.

Le développement durable avec ses trois piliers vise en revanche, à concilier avec l’économie installée ce qui n’était jusque-là pas pris en compte : les données sociales et environnementales. Mais le développement durable reste une forme de « développement à particules », renvoyant à une société moderne qui a foi dans le progrès de l’Humanité et de la connaissance scientifique : le développement durable n’en est qu’un aménagement. Ecodéveloppement et développement durable ne s’inscrivent donc pas dans la même perspective. Le premier remet en cause la société occidentale moderne alors que le second l’aménage, voire la ménage.

Dans la lignée de l’écodéveloppement et du développement durable, l’ERE tend vers un autre possible alors que l’EDD se contente de l’actuel. Ainsi l’ERE appelle à la libération de nos aliénations alors que l’EDD nous conduit à faire perdurer à rester ce que nous sommes. Elle enferme. Cet enfermement est double. C’est celui des idées, des valeurs mais c’est aussi celui des murs. Aujourd’hui l’ERE se trouve cantonner aux bancs de l’Ecole.