2. Les murs de l’Ecole

L’Ecole se situe aujourd’hui au centre du milieu de l’ERE. Il ne s’agit pas de minimiser le rôle et la place des autres parties prenantes. Il s’agit d’acter le fait que toutes les parties prenantes de l’ERE sont tournées vers l’Ecole qui constitue le champ d’intervention privilégiée. Plus de 80% des actions identifiées sur le thème de l’eau, sont destinées à un public scolaire. Ce choix s’explique en partie par le jeu des financements de ces actions. Les collectivités territoriales, principales financeurs de l’ERE, ne disposent pas de compétence juridique formelle et explicite pour intervenir dans le champ. Elles le font par le biais des compétences dont elles disposent dans les domaines de l’environnement et surtout de l’éducation. Elles interviennent ainsi sur les thématiques limitées (eau et déchets), et principalement auprès de publics pour lesquelles elles se sentent légitimes. Comme chaque maille territoriale gère un niveau d’enseignement, les communes financent des actions d’ERE dans le primaire, les départements dans les collèges et la région dans les lycées.

Ces actions sont rarement réalisées en direct par les décideurs politiques locaux qui fonctionnent en partenariat avec des structures d’ERE, le plus souvent des associations. Ces dernières jouent un rôle moteur dans le milieu. Elles ont initié, soutenu et encouragé le développement de l’éducation relative à l’environnement en France et sont encore aujourd’hui des forces de propositions. Mais ces associations ont un pouvoir d’action limité et doivent cadrer leurs actions avec les politiques publiques en matière d’éducation (principe de réalité). Elles se centrent donc, comme les décideurs politiques, sur l’Ecole. C’est ce qu’illustre la figure ci-dessous.

Figure 71 : L’Ecole au centre de l’ERE
Figure 71 : L’Ecole au centre de l’ERE

Dans le jeu des parties prenantes de l’ERE, l’Ecole est un acteur central qu’on ne peut pas évincer. La partie d’échecs ne peut pas se jouer à deux dans en tête à tête, associations d’ERE / décideurs politiques locaux. Elle inclue forcément l’Ecole. Ainsi l’ERE tend aujourd’hui à s’enfermer dans un cadre scolaire.

Je parle d’enfermement parce que l’ERE a du mal à s’extraire du cadre scolaire. C’est aussi parce que l’Ecole enregistre en la matière une dynamique de repli123 comme le manifeste parfaitement la circulaire d’avril 2007. Alors que les directives officielles de 1977 et 2004 s’orientaient vers des projets menés en partenariat et en sorties scolaires, celle de 2007 privilégie au contraire les actions réalisées, en interne, au sein de l’établissement scolaire. Le partenaire et les sorties scolaires sont devenus accessoires. L’école est devenue le lieu - au sens géographique du terme - privilégié d’éducation relative à l’environnement. L’ERE se retrouve ainsi enserrée entre les murs de l’école, inscrite dans un système (le système scolaire) aux règles desquelles elle doit se plier.

Figure 72 : Quand la nature vient à l’école
Figure 72 : Quand la nature vient à l’école

Caricature original de Christophe Danel, 2009

L’Ecole implique en effet un mode de socialisation spécifique : la forme scolaire, qui soumet le plus souvent l’élève au maître. Les savoirs enseignés prennent place dans un enseignement disciplinaire, régi par la culture scolaire. Les choix opérés par l’Ecole en matière d’ERE, sont édictés par ces règles. Pour pouvoir intervenir en milieu scolaire, les associations d’ERE doivent entrer dans le cadre de la culture scolaire même si cette culture leur est étrangère. Les associations reposent en effet sur un mode de socialisation fondée sur l’interconnaissance. Il y a donc un choc des cultures entre la culture associative d’une part et la culture scolaire d’autre part, attisant méfiances et suspicions L’Ecole a le pouvoir d’infléchir les pratiques des autres parties prenantes de l’ERE parce qu’elle constitue l’environnement, le contexte et le public de l’ERE. Tant que l’ERE était une pratique à la marge du système éducatif, la forme et la culture scolaire ne constituaient pas des cadres contraignants. Quand les décideurs de l’Ecole a souhaité généraliser ces pratiques, elle a dû en modifier les contours pour les formater aux exigences du moule scolaire. C’est ainsi qu’a émergé l’éducation au développement durable. La notion est devenue un savoir à acquérir, que l’on peut découper entre les différentes disciplines du système. Bien le développement durable n’ait pas un statut établi dans le champ scientifique, elle accède déjà dans le primaire et le secondaire au statut de savoir à acquérir et à transmettre.

Ainsi l’ERE est aujourd’hui circonscrite au système scolaire et à la durabilité. Les enfants sont au centre de la majorité des actions. On leur demande d’adopter individuellement, des gestes écocitoyens pour limiter leurs impacts sur l’environnement et de transmettre ses gestes à leurs parents. C’est par conséquent sur les nouvelles générations que nous faisons reposer (ou que nous repoussons) la responsabilité de résoudre les problèmes et de changer les mentalités. Tout ceci a été impulsé par les stratégies internationales et nationales qui ont présidé à la mise en place de l’EDD depuis une quinzaine d’années. C’est aussi un produit de la gestion segmentée de l’ERE par les décideurs politiques. Pourtant, l’éducation relative à l’environnement recouvre un éventail de pratiques très ouvert. La diversité et le nombre de courants pédagogiques identifiés par Lucie Sauvé en sont l’illustration. Nous choisissons néanmoins de nous replier sur un courant et auprès d’un type de public, les enfants. Pour sortir de cette problématique d’enfermement, il est nécessaire d’investir de nouveaux sentiers.

Notes
123.

Cette remarque est valable en ERE mais aussi pour l’Ecole dans son ensemble.