B. Libérons l’ERE !

On ne peut pas limiter l’ERE à la durabilité. L’Ecole a fait le choix du développement durable et c’est assez cohérent avec son fonctionnement et sa culture. Néanmoins toutes les parties prenantes ne sont contraintes de faire les mêmes choix. Tant que les interventions se réalisent en milieu scolaire, elles doivent respecter les règles scolaires. Il est possible de se positionner autrement en dehors du cadre scolaire. Les décideurs politiques rencontrés n’ont d’ailleurs pas des postures identiques. Certains sont focalisés sur l’éducation au milieu aquatique (les agences de l’eau), d’autres sur une éducation à l’environnement et à la citoyenneté ou à l’éco-citoyenneté (Région Rhône-Alpes), d’autres encore sur l’éducation à l’environnement vers un développement durable (GRAINE Rhône-Alpes), ou au développement durable (Grand Lyon). Ces décideurs n’ont pas le même regard que l’Education Nationale. Au début de ce travail, j’en ai eu un exemple flagrant au sujet d’un projet d’ERE original124. Ce projet était soutenu par une collectivité territoriale, dont le chargé de mission m’avait fait l’éloge au cours de notre entretien. Quelques jours plus tard, le même projet avait été présenté à des représentants de l’Education Nationale qui l’ont très vivement critiqué. Ce qui constituait l’originalité et la force du projet aux yeux du partenaire financeur étaient une aberration du point de vue de l’institution scolaire. Le cœur du désaccord ne portait pas sur la qualité ou non de la proposition mais sur sa conformité avec la doxa scolaire.

Pour aller vers une plus grande diversité de postures et de pratiques pédagogiques, il est nécessaire de décentrer le milieu de l’ERE. Aujourd’hui il est organisé autour de l’Ecole qui est en position de force. Elle a un pouvoir d’influence et une légitimité (d’origine institutionnelle) très forte que les textes internationaux et nationaux ont contribué à lui donner. C’est ce qu’illustre la figure précédente. Pour sortir de cette configuration, il est nécessaire d’intervenir auprès d’autres publics parce qu’alors, l’Ecole ne sera plus le seul lieu d’éducation relative à l’environnement. Elle deviendra une partie prenante parmi d’autres. C’est ce qu’illustre la figure ci-dessous.

Figure 73 : L’équilibre souhaité entre les parties prenantes de l’ERE
Figure 73 : L’équilibre souhaité entre les parties prenantes de l’ERE

Elargir l’assise de l’ERE tend à rééquilibrer le milieu et à rendre possible la mise en place d’une gestion concertée de l’ERE. Dans cette configuration, les parties prenantes travaillent ensemble, dans le dialogue et l’ouverture, pour traiter de manière cohérente, équitable et efficace l’éducation relative à l’environnement. Dans le cadre d’une gestion concertée, le développement durable est un choix possible, parmi d’autres, et non une directive exogène. L’ouverture à d’autres types de publics tend ainsi à élargir l’assise théorique sur lequel s’inscrit l’ERE. Pour ce faire il y a aurait besoin d’une recherche française structurée et institutionnalisée en matière d’ERE.

Comme je l’ai déjà évoqué en introduction, la recherche française dans le domaine est dispersée. Des chercheurs travaillent sur le sujet, souvent dans la perspective du développement durable, mais de manière isolée. Ils sont dans des laboratoires disciplinaires et développent dans ce cadre une réflexion et des recherches. Il n’y a pas véritablement de laboratoire qui constitue un de pôle de recherche en ERE ou en EDD, l’équivalent de ce qui existe à Université du Québec à Montréal. Cela est problématique à plusieurs égards. Cela implique qu’il n’y a pas peu de lieux qui proposent une formation en ERE. Il y a une licence professionnelle à Tours, une autre au CEP de Florac et une autre encore, doit ouvrir à Saint-Etienne l’année prochaine. Il y a également les établissements qui préparent au B.T.S.A G.P.N. Au-delà, les enseignants-chercheurs qui travaillent sur le sujet peuvent avoir quelques étudiants en Master ou plus rarement en thèse. Cette organisation de la recherche rend plus difficile la mutualisation des travaux et la possibilité d’avoir un panorama de ce qui se réalise sur la question.

Il existe cependant des réseaux d’acteurs de l’ERE, comme celui des formateurs des IUFM ou celui constitué autour de l’IFREE (Institut de formation en éducation à l’environnement). Il y a également les réseaux régionaux des GRAINE. Ces réseaux sont dynamiques mais ne sont pas des réseaux de chercheurs. Le seul réseau de chercheurs existant, permettant une ouverture et une visibilité est celui porté par l’UQAM, réseau francophone de chercheurs en ERE. De nombreux chercheurs français en sont membres. En quatre ans de recherche doctorale, j’ai pu constater l’émergence d’un certain nombre de programmes sur le sujet, portés par des membres de ce réseau. L’absence d’institutionnalisation de la recherche en ERE ne favorise pas un retour théorique sur nos pratiques. Un retour réflexif sur les évolutions actuelles du champ, éclairerait les choix opérés.

Une recherche visible et dense en ERE sur le territoire national pourrait soutenir un modèle de gestion concertée de l’ERE. C’est une forme de gouvernance qui existe. L’Espace Régional de Concertation en Rhône-Alpes fonctionne par exemple sur ce modèle. Il rassemble l’ensemble des parties prenantes de l’ERE dans la région en vue de mener ensemble des actions conjointes. Les chercheurs sont absents de ce dispositif. Il ne faut néanmoins pas idéaliser la gestion concertée. Les équilibres qu’elle engendre sont fragiles et peut-être même précaires. Le champ de l’ERE connait en effet actuellement d’importantes évolutions. Le nouveau code des marchés publics et la mise en place d’Agenda 21, donnent aux collectivités territoriales une place et un rôle nouveaux. Par les procédures d’appel d’offre qui se généralisent, elles se positionnent de plus en plus souvent en donneurs d’ordres et non plus en partenaires. Le risque sous-jacent est de faire émerger une autre polarisation du milieu, non plus par l’Ecole mais par les collectivités territoriales. Il existe déjà des tensions sur les prérogatives respectives de ces deux parties prenantes.

L’éducation relative à l’environnement est appelée à sortir de l’Ecole et de la durabilité pour s’adresser à d’autres publics que les enfants scolarisés et dans d’autres lieux que les établissements scolaires. Si les parties prenantes de l’ERE restent figés sur leurs positions actuelles, l’éducation relative à l’environnement risque de perdre en vitalité et en dynamisme parce que l’éducation au développement durable se joue dans la classe, au sein des disciplines, et sans partenaire. Il est donc nécessaire d’opérer une translation d’un milieu centré sur l’Ecole vers un milieu où les parties prenantes seraient significativement en synergie. Pour accompagner ce mouvement, il est souhaitable de nourrir une recherche française en la matière. Le présent travail, diagnostic de géographe sur les actions, les acteurs et les territoires mobilisés par la question ces dernières années, n’est qu’une bouteille lancée à la mer, parmi d’autres.

Notes
124.

Pour respecter l’anonymat des acteurs, je ne donne pas de détails sur le contenu du projet ni sur les caractéristiques des parties prenantes concernées.