Le cadre temporel : une « moyenne durée »

Partant de l'hypothèse de plus en plus fréquemment utilisée selon laquelle les grands épisodes politiques ne remettent pas forcément en cause une évolution propre aux événements étudiés66, nous avons choisi d'embrasser les deux guerres mondiales dans la période définie pour l'enquête.

En amont, placer le curseur vers la fin des années 1880 et le début des années 1890 paraissait se justifier : après deux décennies de genèse et de maturation des réseaux d'hygiénistes67, et l'établissement d'une doctrine bactériologique, cette décennie marque un tournant dans l’histoire des grands équipements édilitaires en matière d’hygiène publique. Ceux-ci se multiplient, pour éviter les épidémies comme celle de choléra qui frappe Hambourg en 189268 : les procédés d’épuration de l’eau potable (par des procédés chimiques ou par l’ozone) sont expérimentés en laboratoire et mis au point, tout comme ceux d’épuration des eaux d’égouts69 ; d'autres techniques sont perfectionnées, comme les champs d’épandage, dans le but de mettre Paris au premier rang des villes en 1900. L’incinération des ordures ménagères pénètre sur le continent (Hambourg 1895, Monaco 1898). Dans les villes moyennes françaises, la croissance spatiale oblige les édiles à mettre au point des projets d’assainissement et à construire de nouveaux réseaux d’égout, alors que des dispositions législatives nouvelles s'appliquent au financement des infrastructures des plus grandes villes : Marseille (1890), Paris (1894).

En aval, les années 1950 ont très vite paru s'imposer, plus que 1940, en raison de la longue durée des processus de réalisation des projets en cause. Dans un certain nombre de villes où les programmes d'assainissement ou de traitement des ordures sont élaborés durant l'entre-deux-guerres, voire avant 1914, la mise en œuvre concrète ne se fait qu'après la Seconde Guerre mondiale. Les procédures d'échange d'information et le fonctionnement des réseaux ne s'arrêtent bien sûr pas à la fin de cette décennie, puisqu'ils existent encore de nos jours. Mais l'avènement de la Ve République (et la montée d'une expertise technocratique qui dessaisit parfois les municipalités en portant la décision à une autre échelle) semble devoir être considéré comme terminus de l'enquête afin de garder une cohérence aux structures administratives de la période étudiée.

Notes
66.

Alain Chatriot et Claire Lemercier, « Une histoire des pratiques consultatives de l'État », dans Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.), La fabrique interdisciplinaire : histoire et science politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 194.

67.

Après la création de la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle en 1877 et de sa Revue d'hygiène et de police sanitaire en 1879, on note avec intérêt l'apparition d'un périodique, Le Génie sanitaire, en 1891, puis d'une « Société des architectes et ingénieurs sanitaires de France » en 1894 et de la revue belge La technologie sanitaire l'année suivante.

68.

Richard Evans, Death in Hamburg. Society and Politics in the Cholera Years, 1830-1910, Oxford, Clarendon Press, 1987.

69.

Nous renvoyons à notre « intermède 3 » sur le sujet des eaux d'égout. Pour les eaux potables et l'exemple de Hambourg, série d'articles de Jules Courmont et Léon Lacomme, « Principaux procédés de filtration des eaux destinés à l'alimentation publique », dans Revue pratique d'hygiène municipale, 1905.