Le point de départ de notre enquête sera la reconstitution des enjeux posés par les problèmes d'hygiène publique en matière d'environnement urbain, à la fin du XIXe siècle, autrement dit, les conditions de la « mise en agenda » d'une question qui croise santé publique et gestion de la matérialité de la ville. Le défi de l'amélioration des conditions d'hygiène de la vie urbaine n'est bien entendu pas une nouveauté ; dès les années 1830-1840, la ville industrielle, saisie par l'industrie, est l'objet de nombreux travaux associant la déchéance physique et morale des ouvriers aux conditions de vie (surpeuplement, absence d'assainissement ou d'ensoleillement). D'autre part, il dépasse le simple cadre de l'action publique. Nous resterons ici dans une étude des transformations du milieu urbain directement entreprises par le pouvoir municipal : d'autres, telle l'amélioration du logement populaire, dépendaient en totalité ou en partie des propriétaires.
A partir des années 1880, une nouvelle vision scientifique du monde tend à venir compléter l'attention néo-hippocratique prêtée depuis au moins un siècle aux eaux, à l'air, aux lieux. Pour savoir s'il y a eu une politique publique de transformation sanitaire du cadre urbain en réponse aux menaces que révèlent les progrès de la bactériologie à l'orée de la Belle Époque, vient le temps de la reconstitution des divers groupes qui entrent en interaction : nous partirons, une fois n'est pas coutume, non pas de l'administration et des pouvoirs publics, mais plutôt des associations et réseaux sociaux qui construisent et cherchent à affirmer le génie sanitaire comme un domaine d'action sur la ville à partir des années 1880. Ces réseaux se mobilisent régulièrement ou plus ponctuellement : nous détaillerons les divers modes de sociabilité où sont échangés les savoirs de l'ingénierie sanitaire.
Enfin, nous présenterons les règles du jeu d'acteurs collectifs à l'œuvre : le partage des responsabilités (et des moyens) entre autorités municipales et administration étatique, l'intervention des entrepreneurs et le pouvoir non négligeable de l'opinion publique. La scène dressée, les enjeux expliqués, il ne restera plus qu'à reconstituer, dans la deuxième partie, les diverses phases interactives du processus décisionnel.
Augustin Rey, « Pour l’urbanisme », L’administration locale, avril-juin 1929, n°50, p. 794.