Chapitre I
De l’hygiène à l’urbanisme : nécessités politiques, solutions techniques
(années 1880-années 1920)

‘« Il ne faut pas trop médire de notre temps, il a bien quelques petits avantages, tout au moins matériels : vous tournez un robinet et vous avez de l’eau ; vous pressez un bouton, de la lumière. Jadis, sans remonter bien loin, il fallait par tous les temps aller puiser à grands efforts une eau souvent douteuse et travailler à la lueur fatiguée d’une chandelle. »77

Nous débuterons cette étude en reconstituant le cadre intellectuel et scientifique, mais également les nécessités matérielles, qui ont composé le contexte des débats et des réflexions, des voyages et des lectures, des délibérations techniques et politiques, qui forment le matériau de notre recherche. Il s'agit de retracer la situation en matière d'hygiène urbaine, depuis la montée en puissance d'une hygiène médicalisée, mais également technique, jusqu'à la stabilisation d'un éventail de solutions destinées à améliorer le cadre quotidien des citadins, peu avant la Seconde Guerre mondiale.

Paris, 1900. La ville lumière dévoile tous les artifices de la modernité à l’occasion de l’Exposition universelle. La Fée électricité et le métro font partie des « clous » de la manifestation et sont restés dans la mémoire collective, plus que d’autres attractions techniques tout aussi importantes à l’époque, tels les champs d’épandage des eaux d’égout de la capitale, sur lesquels les services d’assainissement travaillaient depuis de nombreuses années78. Les expositions organisées les années suivantes en province sont également autant d’occasions pour d’autres villes françaises de s’embellir et de rivaliser dans la mise en scène de leurs transformations79. Pour les observateurs, le siècle qui s’achève a été celui de tous les progrès (économiques, politiques, techniques, etc.) et l’on peut décrire au passé le « spectacle lamentable » de la ville du XVIIIe siècle, comme celui d’un « Ancien Régime » de la vie urbaine désormais révolu80.

Mais, comme le montrent les cartes postales, les tableaux en contre-plongée des fauves hongrois81 ou bien encore les séquences filmées par les opérateurs des frères Lumière, les villes de la « Belle Époque » sont un mélange de modernité et d’éléments de la ville pré-industrielle : dans les rues, tramways électriques, voitures à cheval, cyclistes et charrettes à bras se disputent l’espace de la circulation. A Paris, certains immeubles ajoutent au gaz d’autres éléments du confort, voire du luxe : téléphone, ascenseur, « fée électricité » ; une « constellation technique » modifie l'agencement des lieux habités comme leur environnement82. Cependant, la diversité est de mise, en ce qui concerne la géographie et la chronologie de l'équipement au sein même de la capitale83. Ainsi, « la modernité urbaine n’est en rien univoque, ses parcours sont complexes »84. Elle ne touche pas l’ensemble du milieu urbain au même moment : lorsque Limoges inaugure fièrement, dans les années 1900, sa nouvelle Préfecture et son Hôtel des Postes, édifiés sur les décombres du quartier « Viraclaud », connu auparavant pour ses taudis et ses maisons closes, le quartier du « Verdurier », distant de quelques dizaines de mètres du nouveau centre administratif, porte encore, selon les hygiénistes, la marque du vice sous toutes ses formes (maisons closes et logements insalubres)85. Le cas de la capitale limousine n'est pas isolé. Une étude attentive à l’édilité « modernisatrice » ne doit pas faire oublier que certains facteurs d’inconfort et d’insalubrité persistent très longtemps dans les villes. On sait que la construction de logements neufs, hygiéniques et à bon marché n’a pas suivi la demande jusqu’aux années 1950, ce qui incitait les maires « modernisateurs » dont les programmes politiques portaient la promesse d’ « assainir » leur ville à faire des compromis : améliorer la distribution d’eau potable ou le logement populaire, ces objectifs ont dû subir des arbitrages budgétaires.

Cependant, toutes les sources municipales concordent pour permettre d’affirmer que vers 1900, à l’ancien objectif d’embellissement, qui reste alors d’actualité, vient se rajouter un impératif sanitaire et « politique » : l’assainissement.

Notes
77.

« Un nouveau progrès. Le Chauffage Central à la portée de tous. Villeurbanne, la première ville française le réalisera », Bulletin municipal officiel de Villeurbanne, novembre 1927, p. 361.

78.

Ces champs d’épandage, officiellement ouverts au public le 30 juin 1898, sont au programme des visites offertes aux participants du XIIe Congrès international d’hygiène et de démographie de 1900. Notons que les égouts eux-mêmes étaient déjà offerts à la visite depuis longtemps.

79.

Sur les expositions, nous renvoyons au chapitre suivant.

80.

C'est le cas dans l’article « L’assainissement de Paris », du premier numéro de la Revue municipale, 30 octobre 1897, p. 5-8.

81.

« Fauves Hongrois 1904-1914. La leçon de Matisse », Exposition au Musée des Beaux-Arts de Dijon, 14 mars-15 juin 2009.

82.

Jean-Pierre Goubert (dir.), Du luxe au confort, Paris, Belin, 1988.

83.

Jean-Luc Pinol et Maurice Garden, Atlas des Parisiens, Paris, Parigramme, 2009.

84.

Denis Bocquet et Samuel Fettah, « Introduction », dans Réseaux techniques et réseaux de pouvoir, Rome, Publications de l’EFR, 2007, p. 13.

85.

Stéphane Frioux, La conquête de l’hygiène, Limoges 1850-1914, mémoire de maîtrise sous la direction du professeur Olivier Faure, université Jean Moulin, Lyon, 2002.