Chapitre II
Les réseaux de la modernisation urbaine

L’amélioration de l’environnement urbain, dont nous venons de retracer brièvement quelques grands enjeux posés au début du XXe siècle, n'a pas été l’œuvre de municipalités vivant en milieu clos. Une enquête hors des murs de la cité permet de situer ces problèmes dans leur contexte : les politiques de modernisation des équipements et des services édilitaires peuvent être ainsi replacées dans un ensemble de réseaux de circulation d’idées, d’échanges d’expériences et de communications entre les « hommes de l’aménagement urbain »239. Ces réseaux prolongent, sur le plan des questions d’administration municipale240 et d’amélioration sanitaire de l'espace urbain241, les pratiques d’une « Internationale scientifique »242 qui se constitue et se développe dans les dernières décennies du XIXe siècle.

Le tournant du XXe siècle est en effet une époque où l’on observe la naissance et l’essor d’associations nationales et internationales qui fonctionnent comme réseaux d’échange d’expériences en vue de l’amélioration de l’hygiène urbaine, et parfois comme groupes de pression auprès des pouvoirs publics. A la veille de la Première Guerre mondiale, la structuration institutionnelle des notables et des techniciens qui soutiennent la cause de la « réforme urbaine » est chose acquise243. Le débat sur l'amélioration des conditions de l’environnement urbain fait partie intégrante des discussions et des travaux de ces réformateurs. Il s’élabore au sein de lieux souvent complémentaires : les associations, les revues et les manifestations ponctuelles (congrès et expositions). Certaines villes y tiennent un double rôle, à la fois hôtes et sujets d’étude, carrefours où se rencontrent des acteurs d’horizons divers, rassemblés par leur intérêt pour le fait urbain. Dès lors, des élus emboîtent le pas des médecins et des ingénieurs en tentant de créer un réseau international et des fédérations nationales d’édiles : autant de cercles possibles de diffusion des idées « modernes » en matière d’administration urbaine, autant de structures dont nous devons faire la connaissance, avant d’en questionner l’efficacité au moyen d’une plongée dans les archives locales.

Notes
239.

Pierre-Yves Saunier a lancé des pistes de recherche sur ces acteurs souvent laissés dans l’ombre par l’historiographie dans, « La ville et la Ville. Les hommes et les organismes municipaux de l’aménagement urbain aux 19e et 20e siècles », Recherches contemporaines, n°3, 1995-1996, p. 121-137. Pour une étude sur les pratiques des ingénieurs américains, voir Hélène Harter, Les ingénieurs des travaux publics et la transformation des métropoles américaines, 1870-1910, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001.

240.

Sur l’administration municipale, voir Renaud Payre, Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalité providence, Paris, CNRS Editions, 2007, et Emmanuel Bellanger, Administrer la « banlieue municipale » des années 1880 aux années 1950. Activité municipale, intercommunalité, pouvoir mayoral, personnel communal et tutelle préfectorale en Seine banlieue, thèse d’histoire, université Paris 8, 2004.

241.

Une étude pionnière sur un réseau d’acteurs de l’aménagement urbain : Viviane Claude, L’Association Générale des Hygiénistes et Techniciens Municipaux (AGHTM), École et/ou lobby, 1905-1930, rapport pour le compte du Plan Urbain, Ministère de l’Équipement et du Logement ARDU, Paris VIII, 1987.

242.

Nous renvoyons à la thèse d’Anne Rasmussen, L’internationale scientifique, 1890-1914, Paris, EHESS, 1995.

243.

La réforme urbaine recouvre divers aspects : amélioration du logement ouvrier, des moyens de prise en charge de la pauvreté et des conditions environnementales. Sur ces divers groupes de réformateurs, Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La « nébuleuse réformatrice » et ses réseaux en France 1880-1914, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999.