L’entre-deux-guerres est une période de floraison d’unions régionales, départementales, ou même cantonales d’édiles, qui reproduisent, à l'échelle locale, les fédérations nationales et internationales déjà évoquées, chronologiquement antérieures363. Le fondateur de l’Association des maires de Saône-et-Loire exprime ainsi les motifs de s’unir : « se défendre contre les tracasseries administratives auxquelles [les maires] sont exposés. Toutes les autres corporations se groupent et font valoir leurs revendications. Seuls les maires restent isolés. Il existe bien une association des maires de France qui ont tenu, cette année, leur douzième congrès, mais n’y sont admis que les maires des communes comptant au moins 5000 habitants. Cette association nationale ne peut entrer dans les petits détails d’administration départementale et il semble utile de créer ici des analogues à celles de l’Ain, du Jura, de la Drôme, du Rhône, etc., qui fonctionnent parfaitement et s’efforcent de lutter contre la marée montante des paperasseries de tout genre. »364
Nous n’avons pu saisir que quelques bribes de ces très nombreux dialogues entre maires, où se croisent le monde rural et le milieu urbain (souvent minoritaire d’ailleurs), échanges inter-municipaux qui demanderaient une étude à part entière365. Dans ces groupements, la circulation des vœux, des expériences, des idées, peut s’opérer de plusieurs manières : non seulement de « haut en bas », c’est-à-dire par la reprise des thèmes de discussion des congrès nationaux dans les associations départementales ou d’articles parus dans la presse parisienne366, mais également de « bas en haut », par la proposition au bureau de l’AMF de vœux émanant d’associations locales367. On observe également une circulation horizontale entre groupes départementaux : dans le Bulletin officiel de l’Association des maires de Saône-et-Loire, on peut trouver des informations relatives aux congrès nationaux comme celui de Strasbourg en 1923, mais aussi aux assemblées générales d’associations de départements voisins ou de cantons du département368. Cet échange entre associations prend parfois la forme de groupements régionaux, comme la Fédération des Associations de Maires du Sud-Est qui revendique, en 1923, 1800 maires adhérents dans huit départements369. Fondée en 1921, elle regroupe les Associations de maires du Jura, de Haute-Savoie, du Rhône, de Saône-et-Loire, de l’Ain, de la Savoie, de l’Isère et de la Drôme, et édite un Bulletin trimestriel où figure une « chronique des associations départementales »370. Lors de sa création, elle est boudée par le maire de Saint-Étienne, M. Soulier, qui répond par la négative à l’invitation « en expliquant que Saint-Étienne préfèr[e] ne pas entrer dans une association qui se centralisera à Lyon »371.
Comme au sein de l’Association des Maires de France, les questions administratives et financières semblent dominer les préoccupations des élus locaux. Il s’agit de lutter contre la « paperasserie » engendrée par l’administration centrale372, de réclamer plus d’autonomie et de pouvoirs, et des indemnités pour les maires et leurs adjoints. Mais les échanges ne se limitent pas au cadre politique et administratif ; certaines expériences édilitaires attirent l'attention des édiles, telles celles de la municipalité lyonnaise. Les délégués des maires de Saône-et-Loire au congrès de Strasbourg rapportent ainsi à leurs collègues qu’on y a présenté « l’exemple des jardins ouvriers de Lyon […] comme devant être publié pour encourager les municipalités dans la voie d’initiative heureuse à tous points de vue »373. Dix ans plus tard, M. Clavery, maire-adjoint du Vésinet et vice-président de l’Association amicale des conseillers municipaux de Seine-et-Oise, demande à Lyon des renseignements sur son usine d’incinération pour le Bulletin de l’Association des Conseillers municipaux de Seine-et-Oise 374 . Dans cette publication départementale qui consacre un nombre assez considérable d’articles à la question des ordures ménagères, Clavery fait figure de spécialiste des questions techniques375.
Ainsi, constituées avant tout pour former des groupes de pression, d’échange d’informations et d’entraide face à l’État, les associations de maires ont peut-être pu jouer un rôle de vecteur d’innovations techniques (ou au moins de sensibilisation des édiles aux progrès de la technologie sanitaire), en relayant les enquêtes de municipalités demandeuses d’expériences modèles ou en informant leurs adhérents d’initiatives jugées intéressantes.
Tout au long de la période étudiée, villes et techniciens vivent donc de moins en moins isolés, bénéficiant d’un éventail de réseaux de plus en plus larges et diversifiés. La croissance de l'offre ne s'accompagne pas automatiquement d'un mouvement similaire de l’audience de ces organismes, qui peuvent se concurrencer. L’idéal de coopération, tant pour influer sur les politiques nationales que pour favoriser la diffusion d’expériences jugées intéressantes, se concrétise dans des instruments de communication que les associations privilégient pour se rendre visibles : les revues et les congrès. Les premières tissent de façon pérenne, tout au long de l’année, des liens entre techniciens et administrateurs confrontés aux questions urbaines, les seconds leur permettent de se rencontrer périodiquement pour étudier des thèmes jugés importants. Approchons d'abord de plus près les traces écrites laissées par ces échanges et conservées dans les archives.
AM Villeurbanne, 2D 40, lettre du maire de Pierre-Bénite au secrétaire administratif de l'Union départementale des Élus cantonaux et Municipaux du Rhône, 31 mars 1926, pour annoncer l'adhésion de sa commune à la Société d'Études et de Documentation Municipale (organisation socialiste).
Bulletin officiel de l’association des maires de Saône-et-Loire, n°1, janvier 1922, n°3-4. L’association est fondée par une réunion à Mâcon le 11 janvier 1920.
Nous avons dépouillé aux Archives départementales de Saône-et-Loire le Bulletin de l’Association des Maires de Saône et Loire et trouvé quelques comptes rendus d’assemblées générales de l’Association des Maires du Rhône aux AM Lyon (1112 WP 001) et de l’Association des Maires et Adjoints de Haute-Savoie aux AD Haute-Savoie (1M 60). La lecture de la revue La Vie communale et Départementale permet en outre de constater la remarquable diffusion du phénomène associatif sur le territoire hexagonal, à travers les comptes rendus d’activité de ces associations publiés de temps à autre dans la revue.
A partir de 1926, l’association des maires de Saône-et-Loire fait une place importante dans son bulletin aux tribunes de Raymond Strauss dans Le Moniteur de Paris. Raymond Strauss avait accueilli de manière défavorable les initiatives d’Henri Sellier à propos de l’Union des villes (Renaud Payre, A la recherche de la « science communale », thèse citée, p. 140-143).
Bulletin officiel de l’association des maires de Saône-et-Loire, n°51, octobre 1934, p. 26. Un membre du bureau évoque divers vœux qu’il a fait remonter et qui sont repris dans le rapport du maire d’Épinal sur les simplifications administratives et son souhait de voir la question de l’incorporation des adductions d’eau dans le projet d’outillage national mise à l’ordre du jour du congrès de l’Association nationale des Maires de France.
En 1925, le n°13 contient les comptes rendus des assemblées générales des maires du Doubs, de Savoie, du Jura et du canton de Buxy et dans le n°16 apparaît une rubrique intitulée « Dans les associations de maires ».
AM Lyon, 1112 WP 001, brochure Association des Maires du Département du Rhône. Compte rendu. Assemblée générale annuelle du 28 octobre 1923, p.26.
Ibid., Bulletin officiel de la Fédération des Associations de Maires du Sud-Est, n°6, octobre 1923.
Bulletin officiel de l’association des maires de Saône-et-Loire, n°1, p. 13.
AM Lyon, 1112 WP 001, Association des Maires du Département du Rhône, Compte rendu de l’Assemblée générale annuelle du 28 octobre 1923, article « La Fédération des Associations de Maires du Sud-Est chez le Ministre de l’Intérieur ».
Bulletin officiel de l’association des maires de Saône-et-Loire, n°7, p. 53.
AM Lyon, 959 WP 102, lettre de M. Clavery depuis Dinard, 4 octobre 1934.
Bulletin des conseillers municipaux de Seine-et-Oise, consulté à la BnF, cote JO-64431. Les n°2, 3, 4, 13, 14 et 17 contiennent des articles sur le sujet de la collecte ou de la destruction des ordures ménagères.