B/ Les réseaux de papier : le foisonnement de « la Belle Époque des revues »376

‘« Savez-vous où l’on trouve le plus de renseignements, d’informations sur la France ? Dans les journaux étrangers. Cela semble paradoxal et cependant rien n’est plus vrai. Certes, les publications de nos voisins ne sont pas toujours tendres pour nous ; elles accueillent trop souvent avec un plaisir mal dissimulé les nouvelles les plus invraisemblables, les plus ridicules sur les actes de nos gouvernants, sur notre politique à l’intérieur et au dehors. Mais que de fois aussi ces mêmes journaux nous fournissent sur nous-mêmes, sur nos travaux, d’utiles indications qui sont pour nous des révélations. Il y a telles œuvres, telles institutions que, dans notre fièvre, nous ne connaissons même pas. Elles fonctionnent à nos côtés, nous rendent des services, pourraient nous en rendre bien davantage. Nous ne nous en doutons pas. Il faut que l’étranger nous l’apprenne. » 377

Cette remarque, issue d’un périodique qui n'a alors qu'un an d'existence, désireux de pointer les lacunes de la circulation de l’information en France pour mieux se légitimer, ne doit pas masquer l’impressionnant essor des publications périodiques consacrées à l’hygiène, à l’urbanisme et à l’administration municipale, à partir des années 1890378.

Abordé par l’histoire intellectuelle379, le phénomène des revues recèle beaucoup d’informations pour l’historien, pas seulement d’ailleurs pour l’étude des associations380 ou des « mondes de la réforme municipale »381, approche qui se concentre sur les personnes appartenant aux comités de rédaction. On peut regretter que bien souvent, faute d’archives privées, les conditions de fonctionnement de la revue – relations entre les membres du comité de rédaction, soucis financiers éventuels, relations avec l’éditeur382, l’imprimeur, les abonnés – soient difficiles à saisir. Jacques Julliard a proposé de distinguer plusieurs types de revues, qui sont représentés dans l’échantillon que nous avons étudié383. D'abord, les « revues institution » ou « revues recueil », qui correspondent à un regroupement plus ou moins fortuit d’auteurs, autour d’une discipline ou d’un champ de recherche. Elles « expriment souvent une institution plutôt qu’un homme ou une idée » : c’est le cas des revues conçues comme l’organe d’une association, telles la Revue d’hygiène et de police sanitaire ou La Vie urbaine. A l’opposé, on trouve des revues à comité restreint, animées par un petit groupe, très soudé, de rédacteurs : Julliard les qualifie de « revues famille ». Voici par exemple la Revue municipale, fondée par le journaliste parisien Albert Montheuil, enrichie par des articles de conseillers municipaux de la capitale et d’élus socialistes. La Première Guerre mondiale semble diminuer l’effectif de ses collaborateurs – et à l’évidence la qualité et la quantité des articles publiés384. Après la mort du fondateur en 1924, la direction est reprise par son fils Marius-Albert et le secrétariat par sa fille Louise Montheuil. Certains collaborateurs, comme l'avocat Louis Rachou, restent fidèles à la revue pendant plusieurs décennies (déjà présent en 1900, il l’est jusqu’à sa disparition en 1940, en animant une rubrique de jurisprudence).

Il s’agit ici de présenter le champ de revues disponibles pour aider les municipalités dans leur réflexion édilitaire et dans la conception de projets d’urbanisme, soit quelques publications noyées dans le foisonnement de l'édition des périodiques à la Belle Époque. Nous distinguerons pour la clarté de l’exposé les revues destinées au monde des hygiénistes et ingénieurs (qu’ils soient ou non employés municipaux), puis les périodiques édilitaires385.

Notes
376.

En référence à Jacqueline Pluet-Despatin, Michel Leymarie et Jean-Yves Mollier (dir.), La Belle Époque des revues, 1880-1914, Institut Mémoires de l'Édition contemporaine, 2002.

377.

« La lecture en voyage », RM, 22 octobre 1898, p. 832.

378.

Renaud Payre recense la création d’au moins 65 périodiques édilitaires entre 1880 et 1959, dont plus de la moitié (34) pour l’entre-deux-guerres (A la recherche de la « science communale », thèse citée, p. 391).

379.

Voir les Cahiers Georges Sorel, « Les revues dans la vie intellectuelle 1885-1914 », n°5, 1987.

380.

L’étude de l’AGHTM. par Viviane Claude est faite essentiellement à partir de la Technique Sanitaire et Municipale, qui publie les procès-verbaux des assemblées générales, des congrès et des autres réunions de l’association.

381.

Voir les deux articles de Renaud Payre : « Les efforts de constitution d’une science de gouvernement municipal : La Vie Communale et Départementale », Revue française de science politique, vol 53, n°2, avril 2003, p. 201-218 et « Un savoir "scientifique, utilitaire et vulgarisateur" : la ville de La vie urbaine, objet de science et objet de réforme (1919-1939) », Genèses, septembre 2005, n°60, p. 5-30 ; également A la recherche de la « science communale », thèse citée, p. 390-409.

382.

Un petit nombre d'éditeurs se partage l'essentiel des revues et des manuels techniques : Baillière et Masson pour la médecine, Dunod pour l'ingénierie, Berger-Levrault pour l'administration. Sur ce milieu, voir Jean-Yves Mollier, Histoire du capitalisme d'édition, 1880-1920, Paris, Fayard, 1988 (le chapitre X porte sur Baillière).

383.

Jacques Julliard, « Le monde des revues au début du siècle. Introduction », Cahiers Georges Sorel, n°5, 1987, p. 3-9.

384.

Dans les années 1919-1923, beaucoup d’articles sont repris du périodique américain The American City. D’autres ne sont pas explicitement repris de magazines américains mais le style et la teneur très générale des propos le laissent penser.

385.

Au cours de nos dépouillements, l’étude de contenu de ces derniers a bien entendu porté essentiellement sur les questions de génie sanitaire et d’urbanisme.