Les expositions sont l’objet d’une importante publicité, que proposent de faire des sociétés spécialisées. Elle consiste par exemple à faire connaître la manifestation par des encarts dans la presse507 ou des affiches dans les gares et autres lieux publics (cafés, mairies), afin de faire venir des visiteurs508. Avant, pendant et après l’exposition, la publicité s’attache d’abord aux principales attractions de la manifestation, avant de s’intéresser aux récompenses qui y sont attribuées : en 1921, la Revue universelle internationale sollicite par deux fois la collaboration de la municipalité lyonnaise car elle prépare des ouvrages, d’abord sur l’Exposition internationale d’architecture de Gand, puis sur les exposants récompensés – dont la ville fait partie509. La liste des médailles et des grands prix est souvent publiée dans la presse510 ; des comptes rendus critiques paraissent dans les revues spécialisées511 : sur ce point, il nous a semblé que la tendance à publier de longues et précises descriptions des expositions était plus marquée avant la Première Guerre mondiale que dans l’entre-deux-guerres. En 1914, Lyon prépare une fête grandiose pour la remise des diplômes, le 4 septembre afin de « faire de cette distribution des récompenses une très grande fête dont le souvenir ne s’effacerait pas de longtemps » ; l'événement ne put bien sûr avoir lieu, la guerre étant déclarée depuis plus d'un mois512.
Dans le tableau des récompenses (médailles d’or, d’argent ou de bronze ; grands prix ; diplômes d’honneur), les villes et leurs services techniques côtoient les entreprises privées. Les inventeurs et les concessionnaires de brevets sillonnent l’Europe d’exposition en exposition. Un parcours réussi les conduit souvent à devenir membres du jury, dans des classes souvent très spécialisées, où l’on retrouve au fil des années presque toujours les mêmes exposants. Dans les courriers et les brochures de sa « Société générale d’épuration et d’assainissement », l’entrepreneur Bernard Bezault dresse ainsi une liste qui nous montre l’intérêt qu’il a porté aux expositions. Il est de tous les grands événements entre 1900 et 1908, pour faire la promotion du système « Septic-Tank » d’épuration des eaux résiduaires. Récompensé en 1910 à Buenos-Aires et Bruxelles, il est membre du jury à l’Exposition de Turin en 1911, avant de faire une nouvelle moisson de grands prix à Lyon (1914), Gand (1921), Marseille (1922) et Strasbourg (1923).
Au sein des municipalités, l'obtention d'une distinction peut être un encouragement et une preuve de compétence pour les techniciens, médecins hygiénistes ou ingénieurs, en charge des services qui ont participé à l’exposition514. Devant la Société de médecine publique, le sénateur-maire de Chartres Fessard salue son directeur des travaux, qui obtient un grand prix dans la classe « hygiène » à l'Exposition franco-britannique de Londres 1908, pour l'exécution de l'usine d'ozonisation des eaux de Chartres515. Camille Chalumeau, directeur des travaux d’Oran avant de venir travailler pour Édouard Herriot à partir de 1910, expose tantôt en son nom personnel, tantôt pour la ville de Lyon, et obtient de nombreuses distinctions : « Coloniale Marseille 1922 (hors concours), Lyon 1914 (diplôme de mérite), Gand 1921 (diplôme de Grand Prix), Turin 1911 (grand prix), Strasbourg 1923 (grand prix), La Cité Reconstituée, Paris 1916 (hors concours), Expo [sic] franco-marocaine de Casablanca 1915 (hors concours), Bruxelles 1935 (groupe XVI, classe 97), diplôme d’honneur »516.
Quant à savoir si les entrepreneurs décrochent des marchés grâce aux expositions et a fortiori grâce à leurs récompenses, la réponse est délicate, faute de sources assez explicites sur ce sujet. Nous n'avons trouvé qu'un nombre infime de traces de contacts noués à l'occasion d'une exposition (ou d'un congrès517) et entretenus dans les semaines et mois ultérieurs. On a déjà évoqué que début mars 1932, à Lyon, coïncident la Foire de Lyon et une Exposition de technique sanitaire et d'hygiène urbaine, annexée à un Congrès. L'ingénieur municipal de Biarritz, qui est à ce moment-là en pleine phase de réflexion sur la possibilité de faire exploiter l'enlèvement et l'incinération des ordures de la ville par une société (il avait contacté des entreprises en leur demandant des propositions avant la fin du mois de février), y rencontre un représentant de la société STRIUR, qui opère la collecte à Colmar, avec un système d'inspiration germanique peu connu en France. S'ensuivent une correspondance avec la société et une prise de renseignements auprès de la municipalité alsacienne518. Durant ses éditions annuelles, la Foire de Lyon a pu mettre en contact divers ingénieurs/inventeurs avec des techniciens et élus municipaux519 : le capitaine de frégate Jacques Anger, qui exposait un modèle expérimental de cuve à fermentation des ordures y rencontre un membre de la municipalité de Clermont-Ferrand en 1929, et se rend dans la cité auvergnate pour exposer son système, sans que la relation débouche sur une commande520.
L’obtention de contrats avec des collectivités locales à la suite d'une exposition nous semble peu probable : d’abord, le calendrier des manifestations ne coïncide pas forcément avec celui des réalisations projetées par les conseils municipaux. Ensuite, les villes préfèrent prendre le temps de choisir en organisant des concours entre entrepreneurs et en faisant construire éventuellement des installations d’essai (voir infra, chapitre V). Le fait de participer aux expositions permet plutôt aux entreprises de prendre contact avec des ingénieurs municipaux et des édiles, et d’obtenir des marchés auprès d'un autre type de clientèle (classes aisées et grands établissements collectifs ; voir infra, chapitre VIII, le rôle de cette dernière catégorie) : c’est le cas des entreprises de technique sanitaire Bezault et Desrumaux521 et de maisons plus spécialisées dans le marché domestique comme Jacob & Delafon522.
Lieux où la modernité industrielle s'offre à l'admiration des visiteurs, à la suite du célèbre Crystal Palace de 1851, les villes deviennent au début du XXe siècle des objets même d’exposition, à travers la mise en scène de leurs plans et de documents relatifs aux services que les municipalités procurent à leurs citoyens. Toutes ne participent cependant pas au même degré à des manifestations qui privilégient la nouveauté, mais également le sens de la communication et un certain investissement de la part de l'exposant. Ces événements qui permettent de « diffuser à l’échelle [nationale, voire] européenne les solutions expérimentées préalablement dans un cadre national ou plus local »523, sont intrinsèquement liés à des manifestations plus régulières, les congrès, et ce dès les années 1880524.
Lyon-Exposition, n°8, 25 novembre 1913, p. 4.
AM Grenoble 2F 79, lettre de Ch. Demogeot, directeur du « Courrier de la Presse – Lit Tout » au maire de Grenoble, 8 mai 1923, pour lui proposer de lui faire garder tous les articles relatifs à l’Exposition de la Houille Blanche.
Par exemple, AM Tourcoing, F 44, lettre du collège des Bourgmestres et Échevins d’Anvers, 23 juin 1905 :« Monsieur le Maire, nous nous permettons de vous envoyer la présente à l’effet d’obtenir de votre bienveillance l’autorisation d’apposer dans votre commune une affiche de l’exposition Jordaens. A notre avis la maison communale conviendrait le mieux à ce but, mais il y a probablement dans votre localité encore d’autres bâtiments publics où l’affichage pourrait se faire utilement ». L’exposition lyonnaise de 1914 bénéficie d’une propagande semblable en Belgique (AM Lyon, 782 WP 21, lettre de Jules Courmont à M. Pastur, 7 mai 1913).
AM Lyon, 923 WP 419, lettres circulaires des 16 juillet et 24 septembre 1921.
AN, F12 7575. Le palmarès de l’Exposition franco-britannique de Londres (1908) est publié dans la presse et inséré au Journal Officiel du 17 juin 1909.
Notons l’exceptionnelle attention dont bénéficie l’Exposition internationale d’hygiène de Dresde (1911) dans les revues d’hygiène.
AM Lyon, 782 WP 73, circulaire du Commissaire général (Jules Courmont) aux présidents des bureaux de jurys de classe, s. d. [juillet 1914 ?].
AM Lyon, 923 WP 002, brochure publicitaire de la Société Générale d’Épuration et d’assainissement, 1916.
Exemple des services de Besançon, à l'Exposition universelle de Lyon, en 1894 (Le Génie sanitaire, octobre 1894).
Fessard, « L'application de l'ozone à la stérilisation des eaux potables de la ville de Chartres », RHPS, mars 1909, p. 297
AM Lyon, 923 WP 318, lettre de C. Chalumeau au maire de Lyon, 20 décembre 1937. L’ingénieur en chef précise que la Ville de Lyon a obtenu un grand prix, au même titre que la Direction Générale des Travaux de la ville de Paris et ajoute : « personnellement, le jury m’a accordé un Grand Prix, ainsi qu’à M. Giraud, directeur général des Travaux de Paris ». Voir également une liste manuscrite au dos d’une circulaire d'André Bérard.
AM Lyon, 923 WP 340, lettre de B. Beumer Jr, (à Gravenhage) à André Auric, 4 novembre 1907 (suite au Congrès international d'hygiène de Berlin).
AM Biarritz, 1M 40, lettre de la société STRIUR à l'ingénieur municipal, 12 mars 1932 et lettre du maire de Colmar, 18 mars 1932.
AM Villeurbanne, 2D 40, dossier « Courriers Ville de Lyon », circulaire du 27 février 1927 sur une section de traction électrique prévue à la foire de 1927 et invitant les ingénieurs municipaux à s'y rendre.
AM Lyon, 923 WP 273, lettre de Jacques Anger à Camille Chalumeau, 20 mars 1929.
Ces sociétés revendiquent respectivement « 50 000 installations » et « plus de 6000 installations en fonctionnement » en 1919 (encarts publicitaires dans La Technique Sanitaire et Municipale).
Cette société prépare consciencieusement l’Exposition internationale de Lyon 1914, en réservant plus d’un an à l’avance « un rectangle qui aurait entre 60 et 70 mètres de surface » pour « tout le matériel sanitaire destiné à l’habitation privée et collective : depuis les installations luxueuses de l’Hôtel de voyageurs jusqu’aux installations modestes de l’habitation ouvrière ; nous y ferions figurer également le matériel sanitaire des écoles, casernes, hôpitaux, etc… » (AM Lyon, 782 WP 29, lettre du 22 avril 1913).
Jean-Luc Pinol (dir.), Histoire de l’Europe urbaine, op. cit., p. 152.
A-J. Martin, dans son rapport sur l’Exposition d’hygiène de Genève en 1882, après avoir mentionné des expositions intéressant en partie le domaine de l'hygiène à Bruxelles (1880), Milan (1881), Zurich et Berlin (1883), exprime le vœu que « les prochains congrès internationaux d’hygiène ne sauraient manquer de réunir des Expositions semblables », Quatrième Congrès international d'hygiène et de démographie, op. cit., p. 239 et 249.