La question de l’utilité et de l’efficacité des congrès

‘« La grande utilité des Congrès tels que celui qui nous réunit est dans l’échange des idées. » 572

Elle est posée par les contemporains eux-mêmes, comme nous l’avons vu au sujet des Congrès internationaux d’hygiène, cibles de critiques sur le manque de progrès et de nouveauté entre deux éditions, ainsi que sur la valeur des communications et le nombre trop élevé de participants. Or, pour l’ingénieur F. Launay, « un Congrès n’est pas une académie scientifique, se bornant à émettre des principes théoriesques [sic] et parfois absolus, mais bien une réunion de savants, de géologues, d’hygiénistes et d’ingénieurs qui doivent indiquer la solution des questions au point de vue de leur application pratique »573. Une telle opinion, tout sauf candide, de la part de congressistes chevronnés, spécialistes de leur discipline, désireux de ne pas voir leurs pairs se contenter d’émettre des vœux « pieux », traverse probablement toute la période étudiée, comme le montre un article d’Urbanisme, en 1952, rendant compte du Jour Mondial de l’Urbanisme de 1951 :

‘« Se rassembler, non point dans l’atmosphère classique des congrès, où préoccupations touristiques et gastronomiques dominent trop souvent, mais bien pour échanger des idées, faire choix d’arguments, connaître des points de vue : tel était le désir exprimé par les organisateurs de cette journée. Et, la moisson faite, ne pas se contenter d’exprimer les vœux qui clôturent traditionnellement tout congrès, mais prolonger ces échanges d’idées, répandre ces points de vue, faire œuvre de propagande, reprendre ces arguments nécessaires auprès des administrateurs publics, de la presse, auprès de tous ceux qui ont pour tâche d’instruire et d’éduquer la jeunesse. » 574

Ainsi, le Congrès de l’Alliance d’hygiène sociale d’Agen de 1909 fait une grande place à une étude de cas, longuement traitée par l’architecte Augustin Rey575. Celui-ci, après un diagnostic sur l’insalubrité de la préfecture du Lot-et-Garonne, passe en revue tous les dispositifs techniques permettant d’assainir une ville, toutes les questions relatives au génie sanitaire, afin de proposer des pistes à propos d’Agen. Le Dr Drouineau, fait d’ailleurs un compte rendu plutôt positif de la manifestation et remarque que « ces congrès, s’ils sont menés avec la même unité de vues dans l’avenir, feront plus pour certaines questions d’hygiène que les grands congrès internationaux, dont nous ne voulons pas médire, mais qui ont perdu beaucoup de leur utilité première »576. Cependant, dans le cas d'Agen, malgré une publication explicitement destinée à la municipalité, nous n'avons pas de preuves d'effets immédiats et visibles du congrès en faveur de son assainissement577. En 1914, le Conseil supérieur d'hygiène évoque « l'état rudimentaire des égouts » de cette préfecture de 23 000 âmes578.

D’autre part, l’efficacité des Congrès dépasse le moment où se déroule la manifestation, mais se prolonge grâce à la publication des actes, ou de comptes rendus dans des revues nationales579. Ce n’est pas parce que l’on assiste à un Congrès que l’on va en tirer quelque chose d’utile pour la ville dont on est citoyen ; à l’inverse, grâce aux actes imprimés, de nombreux spécialistes qui n’ont pas fait le déplacement prennent connaissance de la « substantifique moelle » de ces manifestations. On peut livrer ici le témoignage de l’ingénieur parisien Georges Bechmann, pilier de la section « génie sanitaire » des Congrès internationaux d’hygiène et attentif, à l’orée du XXe siècle, au développement rapide des stations bactériennes d’épuration anglaises :

‘« Très vivement intéressé […] par ces procédés si séduisants, si pleins d’apparentes promesses, je me proposais de saisir la première occasion pour aller à mon tour les juger de visu en Angleterre où l’on annonçait presque chaque jour des applications nouvelles.
Le Congrès du Génie Civil qui devait se tenir à Glasgow dans les premiers jours de septembre, à propos de l’Exposition universelle ouverte dans cette ville, me paraissait précisément offrir l’occasion désirée, car l’on pouvait s’attendre à des discussions approfondies sur cette question tout à fait à l’ordre du jour et aussi à l’organisation de visites en commun aux installations les plus récentes et les plus caractéristiques.
Diverses circonstances m’ont empêché malheureusement de mettre ce projet à exécution.
Mais j’en ai été dédommagé dans une certaine mesure par la lecture des comptes rendus très complets que publiaient bientôt certains organes de la presse scientifique. Quelques jours à peine s’étaient écoulés que j’avais sous les yeux le texte même des communications faites à la Section des travaux municipaux. » 580
Notes
572.

Victor Van Lint, « Les services de nettoiement de la voirie en Belgique », Union Internationale des Villes et Pouvoirs locaux, Conférence internationale, Lyon 19-22 juillet 1934, Bruxelles, 1934, p. 127.

573.

Treizième Congrès international d’hygiène et de démographie tenu à Bruxelles du 2 au 8 septembre 1903. Compte rendu du Congrès. Tome IV : Section III, technologie sanitaire, Bruxelles, P. Weissenbruch, 1903, p. 71.

574.

Urbanisme, n°3-4, 1952, « Derniers échos du Jour Mondial de l’Urbanisme 1951 », p. 71.

575.

A. Rey, « Comment les Municipalités Modernes doivent assainir les Villes Anciennes », TSM, octobre 1909, p. 217-227.

576.

Dr Drouineau, RHPS, août 1909, p. 920.

577.

Alliance d'hygiène sociale. Rapport sur l’assainissement, l’embellissement et l’extension de la ville d’Agen (par A. Rey et Albert Courau, architecte à Agen), Agen, imprimerie moderne, 1909. L’inventaire des archives municipales d’Agen ne laisse pas apparaître le moindre débat qui aurait pu être suscité par son travail chez les administrateurs de la ville. D'après un questionnaire envoyé en janvier 1913 au Ministère de l'Intérieur (voir note suivante), l'administration serait, alors, « saisie » d'un projet de réseau d'égout du système unitaire.

578.

AN, F8 219, analyse du questionnaire du 11 janvier 1913 (rapport lu au CSHP le 2 mars 1914).

579.

Exemple : article « Le nettoiement et l'arrosage des villes », RM, 1-15 avril 1911, p. 97-102 et 16-30 avril, p. 116-120, reproduction d'un compte rendu du Congrès de la Route de 1910 rédigé pour la commission de la voirie du conseil municipal de Paris par E. Bret, ingénieur des Ponts et Chaussées, attaché au service municipal de la capitale.

580.

RHPS, novembre 1901, p. 1003-1004. C’est nous qui soulignons.