b) Quels moyens pour l’hygiène publique ?

- Les moyens humains

Un « échec » de la loi mis en avant par les contemporains est l’absence d'un personnel compétent suffisant pour administrer l’hygiène. Le fondateur de la Revue d’hygiène et de police sanitaire, Émile Vallin écrivait dès janvier 1902 : « dans ce pays encombré de fonctionnaires, personne, en dehors du noyau administratif centralisé au Ministère de l’Intérieur et des services spéciaux de quelques grandes villes, ne dirige, ne surveille avec compétence l’hygiène publique »652. Vingt ans plus tard Léon Bernard affirme encore au congrès de l’Alliance d’Hygiène sociale de Clermont-Ferrand « qu’il ne peut se faire d’hygiène publique sans un personnel suffisant de fonctionnaires hygiénistes. Dans toutes les nations policées, ce personnel existe ; imitons l’exemple de la Grande-Bretagne et des États-Unis, pour ne citer que les deux grands pays amis qui s’étonnent à bon droit de voir l’hygiène si délaissée dans la patrie de Pasteur »653. Pourtant, avant-guerre, on laissait espérer la formation de nombreux hygiénistes grâce au développement de cours spéciaux dans les facultés de médecine de province, cours demandant un haut degré de connaissances pluridisciplinaires : « on ne s’improvise pas ingénieur sanitaire. Déjà quelques villes sont entrées dans cette voie, notamment à Lille, Montpellier, Toulouse, Nancy. A Lyon, sous l’impulsion du professeur Courmont, cet enseignement est poussé très loin et est complété par des cours techniques les plus variés : car l’hygiéniste doit tout savoir, il doit être autant ingénieur et architecte qu’hygiéniste »654. Mais il semble bien, à lire d'autres témoignages, que les études d'hygiène aient beaucoup moins attiré de candidats que la carrière du médecin libéral, et que les savoirs annexes (comme la géologie pour les problèmes d'eau potable) aient été particulièrement négligés dans les cursus655. Du côté de l'ingénierie sanitaire, après des pressions de l’AGHTM, le Ministère de l’Instruction Publique décide en 1923 de créer un Cours de Technique Sanitaire au sein du Conservatoire National des Arts et Métiers. Mais la plupart des diplômés du CNAM sont soit déjà en poste dans les administrations locales, soit des architectes ou ingénieurs désireux de s'ajouter un titre sur leur carte de visite, et exerçant dans le privé656.

Notes
652.

Émile Vallin, « L’état actuel de l’hygiène en France », RHPS, janvier 1902, p. 13.

653.

Léon Bernard, « Nécessité de la révision de la loi du 15 février 1902 relative à la santé publique », Alliance d’hygiène sociale. Congrès de Clermont-Ferrand, 30 septembre, 1 er et 2 octobre 1921, Clermont-Ferrand, imprimerie Mont-Louis, p. 81. L'exemple britannique est développé ailleurs, comme dans « L’enseignement destiné aux candidats fonctionnaires de l’hygiène publique en Grande-Bretagne », par M. le Dr G. Forestier, inspecteur départemental d’hygiène, RHPS, février 1925, p. 168.

654.

A-J. Martin, au congrès de l'AGIAHM de Lyon 1907, cité dans Revue pratique d'hygiène municipale, juillet 1907, p. 320-321.

655.

Paul Courmont et A. Rochaix, « Enseignement de l’Hygiène dans les Facultés de médecine », RHPS, février 1925, p. 137-163 et Jules Blaye, « La place de la géologie dans l’enseignement de l’hygiène », ibid., p. 164-168.

656.

Sur l'Institut de technique sanitaire, voir infra, chapitre VI.