B/ Des entreprises aux aguets

‘« Ce n'est pas avec des prescriptions que l'on assainit une ville malsaine, c'est avec des travaux. » 692

Faire de l'histoire urbaine implique la mobilisation de sources de natures différentes. Si les archives départementales recèlent plutôt le point de vue de l’administration, en nous restituant le circuit des projets édilitaires, des avis des diverses commissions officielles d’experts aux échanges entre la préfecture et les ministères, les cartons des archives municipales font apparaître des intervenants dynamiques et parfois très prolifiques : les entreprises. Leur présence parmi les acteurs intéressés au développement de l’hygiène urbaine a déjà été entrevue en analysant la composition des réseaux associatifs. Pour Viviane Claude, d’ailleurs, « il semble bien que le secteur privé ait largement contribué à fonder le génie sanitaire »693. Aujourd’hui disparues ou absorbées par les grandes holdings françaises de l’assainissement694, elles apparaissent donc principalement à deux titres sur la scène des préoccupations environnementales et hygiénistes : d’une part, en s’impliquant dans les « réseaux de la modernité » présentés dans le chapitre précédent ; d’autre part, en créant des interactions directes avec les administrations locales, qui sont pour elles autant de clients potentiels. En effet, comme dans d'autres domaines des travaux publics, les entreprises de génie sanitaire sont très dépendantes de la commande publique, en particulier des collectivités locales695. Réseaux d’adduction d’eau potable ou d’assainissement, systèmes de purification de l’eau potable ou d’épuration des eaux usées, usines de traitement des ordures ménagères sont les équipements majeurs des services qu’elles proposent aux communes françaises. C’est notamment pour survivre ou se développer et conquérir des marchés qu’elles vont au-devant de l’application de la loi en démarchant abondamment les municipalités.

Notes
692.

E. Chardon, « L'assainissement des villes », TSM, février 1908, p. 35.

693.

Viviane Claude, L’Association Générale des Hygiénistes et Techniciens Municipaux, op. cit., p. 28.

694.

Les entreprises « Degrémont » et « Eau et Assainissement » font désormais partie, respectivement, de Suez et de Vinci. La « Compagnie des Eaux et de l’Ozone » est quant à elle une filiale de Véolia.

695.

Dominique Barjot, La grande entreprise de travaux publics (1883-1974), Paris, Économica, 2006, p. 54.