a) Le démarchage

Les archives des services techniques municipaux recèlent assez fréquemment une grande proportion de documents envoyés à l’administration (municipale ou préfectorale) par des sociétés privées. Plaquettes, brochures, tracts, ou même tirés à part⁷⁵⁴ d’articles publiés dans des revues techniques spécialisées⁷⁵⁵, émanent non seulement des sociétés qui conçoivent les projets d’ensemble mais également de toutes les entreprises qui fournissent un service ponctuel ou un équipement précis à la ville : moto-pompes pour les usines de pompage d’eau⁷⁵⁶, travaux de canalisations⁷⁵⁷, étuves à désinfection Geneste-Herscher, matériel de voirie⁷⁵⁸, et même corbeilles à papier publicitaires⁷⁵⁹.

Ces envois sont conçus pour présenter la société et/ou ses principaux produits, et donner aux administrateurs l’envie d’imiter les villes qui lui ont déjà fait confiance : pour cela, comme le montre la liste des documents joints à la lettre d’Henry Desrumaux au maire d’Avignon, il faut des « références » ou « certificats de capacité »⁷⁶⁰, des listes de villes⁷⁶¹, des témoignages⁷⁶², et même des photographies. La Compagnie Générale de l’Ozone demande au directeur du service des eaux d’Avignon de faire prendre aux frais de la compagnie deux clichés de 18x24 : « nous sommes en ce moment-ci en train d’établir une publication dans laquelle nous faisons entrer en particulier la description de toutes les usines de filtration et de stérilisation que nous avons déjà construites en France. Bien entendu celle d’Avignon figurera en bonne place, mais pour agrémenter le texte, nous désirons intercaler quelques gravures représentant soit une vue extérieure des usines, soit une vue intérieure »⁷⁶³. La Compagnie aérienne française, spécialisée dans l’établissement de plans de villes par relevés aériens, envoie à diverses villes des photographies de Nîmes ou de Saintes⁷⁶⁴.

Lettre de démarchage de la société Desrumaux auprès du maire d’Avignon (1910) AM Avignon, 3N 18, lettre du 20 janvier 1910.

Le démarchage en direction des municipalités, procédé loin d’être nouveau, est employé par de nombreux inventeurs (à vrai dire, quasiment tous). Comme la méthode n'est pas souvent couronnée de succès, les industriels tentent de miser sur le nombre des marchés potentiels en envoyant des lettres-circulaires à de nombreuses villes⁷⁶⁶. L’application de la loi de 1919 sur les plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension suscite un envoi massif de courriers de « bureaux d’étude » créés pour l’occasion, comme l’« Union urbaniste » : on peut supposer que la liste des villes assujetties à la loi a été utilisée pour un envoi quasi systématique⁷⁶⁷. Un démarchage répétitif cache parfois un manque de références sérieuses pour attirer l’attention des élus ou de leurs techniciens – ce qui est le cas de tous les inventeurs n’ayant pas encore pu appliquer « en grand » leurs procédés. Dans ce cas, la rhétorique insiste sur quelques points-clés : l’absence de risques financiers pour la municipalité, la technicité ou la simplicité du système. Autant d'arguments destinés à réduire l'incertitude⁷⁶⁸ du client potentiel mais qui laissent dans l'ombre l'historique de l'entreprise et/ou de l'innovation !