Intermède 1
Aux origines de l’Union Internationale des Villes

Nous avons noté dans le deuxième chapitre que plusieurs travaux historiques avaient déjà étudié la naissance et le fonctionnement de l'Union Internationale des Villes864, créée en 1913 et ancêtre d'un réseau de villes toujours existant (Cités et gouvernements locaux unis, qui a fusionné avec l'IULA, filiation directe de l'UIV). Il existe bien d'autres réseaux de villes, structurés par des facteurs d'unité géographiques (Eurocities) ou fonctionnels/thématiques (réseaux des villes de lumière, association internationale des villes éducatrices)865. Nos recherches ont permis de remonter un peu avant 1913 et de mettre en évidence des tentatives pionnières de collaboration inter-urbaine, qui précédèrent l'institutionnalisation des idées municipalistes par l'UIV.

Au cours de la première décennie du XXe siècle, alors que l’idée d’entente et de coopération entre les municipalités commence à se concrétiser dans certains pays (Association des Corporations municipales britanniques depuis les années 1880, Exposition des villes allemandes à Dresde en 1903, Association Statistique Italienne en 1904, Congrès des Maires de France en 1907), le même projet semble être porté à l’échelle internationale866. Ainsi, en 1905, le London County Council invite le conseil municipal de Paris à visiter la capitale du Royaume-Uni867. Dans le contexte du rapprochement franco-anglais868, élus et journalistes se félicitent de cette « entente cordiale municipale »869. Le socialiste Paul Brousse préside alors le conseil municipal de la capitale, instance déjà expérimentée dans les événements inter-municipaux870. Son homologue, Sir Thomas Barclay, informe un journal britannique qu’il nourrit des projets pour développer des échanges annuels « d’enseignement réciproque » entre villes provinciales anglaises et françaises : « Des négociations à ce sujet sont ou vont être engagées avec Lyon, Marseille, Lille, Roubaix, Toulouse, Bordeaux, Rouen, Le Havre, Nantes, Saint-Etienne, Toulon, etc., d’un côté, et avec Liverpool, Birmingham, Manchester, Leeds, Sheffield, Newcastle, Nottingham, Édimbourg, Glasgow, Aberdeen, etc., de l’autre côté. Les conseillers de Lyon, par exemple, feraient, une année, une visite aux conseillers de Birmingham, et ceux-ci rendraient cette visite l’année suivante »871. Le même système est proposé aux villes du Reich : en mai 1907, une visite est organisée en Allemagne. A l’invitation des « municipalités de Munich, Nuremberg, Francfort et Heidelberg, une délégation d’officiers municipaux anglais, comprenant deux lords-maires et de nombreux maires des principales villes d’Angleterre », se rend dans ces quatre villes ainsi qu’à Cologne pour visiter les écoles, les services publics et les entreprises municipales872. D’autres cités et d'autres pays deviennent des destinations de voyages d’études municipaux873. La filtration des eaux, l'assainissement, le traitement des ordures ménagères, partagent le programme des visites avec les tramways, les hôpitaux ou les usines municipales d'électricité.

Faisant donc œuvre de pionnier, le président du London County Council semble tracer le programme des unions futures :

‘« Ici, à Paris, au sein de cette Mecque de l’Évangile de la fraternité humaine, je voudraisadresser aux grandes villes et capitales du vieux et du nouveau monde un appel fraternel sans réserve et indiquer combien, dans mon humble opinion, c’est d’elles et de leur coopération que dépend la question de savoir si l’idée de la fraternité entre les hommes va faire de nos jours un grand pas en avant […]
J’ai déjà tracé dans la presse européenne un projet de congrès de capitales, qui, je l’espère, pourra remplir un double but : mettre en contact les grandes municipalités du monde et créer incidemment, entre les diverses cités, de nombreux liens de sentiments amicaux et de relations cordiales. » 874
Couverture du programme de la visite du conseil municipal de Paris à Londres en octobre 1905
Couverture du programme de la visite du conseil municipal de Paris à Londres en octobre 1905 Arch. de Paris, VONC 130.
Notes
864.

Renaud Payre et Pierre-Yves Saunier, « Municipalités de tous pays, unissez vous ! L'Union Internationale des Villes ou l'Internationale municipale (1913-1940) », Amministrare, anno XXX, n 1-2, gennaio-agosto 2000, p.217-239. Oscar Gaspari, « Cities against States ? Hopes, Dreams and Shortcomings of the European Municipal Movement, 1900-1960 »,Contemporary European History, 11/4 (2002), p. 597-621. A partir de Lyon: Renaud Payre et Pierre-Yves Saunier, « A City in the World of Cities: Lyons, France. Municipal Associations as Political Resources in the Twentieth Century », dans Shane Ewen et Pierre-Yves Saunier (éd.), Another Global City. Historical Explorations into the Transnational Municipal Moment 1850-2000 , New York, Palgrave, 2008, p. 69-85.

865.

La ville de Lyon est membre de tous ces réseaux et en donne une présentation succincte à partir de son site institutionnel : http://www.lyon.fr/vdl/sections/fr/international/reseaux_villes .

866.

Au Congrès international socialiste de Paris, en 1900, Émile Vinck, secrétaire de la fédération des conseillers communaux socialistes de Belgique depuis 1896, avait proposé la convocation d’une conférence internationale des conseillers municipaux socialistes et la mise sur pied d’un bureau international d’études municipales. Renaud Payre, A la recherche de la « science communale », thèse citée, p. 68.

867.

16-21 octobre 1905 : voyage de la délégation de Paris. 5-10 février 1906 : voyage de la délégation de Londres.

868.

L’Entente cordiale ayant été signée le 8 avril 1904 entre la France et le Royaume-Uni, après des visites d'Édouard VII à Paris (1903) et d'Émile Loubet à Londres. Pour une approche d'histoire culturelle de l'avant et de l'après-Entente cordiale sur les relations entre les deux pays, voir Diana Cooper-Richet et Michel Rapoport (dir.), L'Entente cordiale. Cent ans de relations culturelles franco-britanniques (1904-2004), Grâne, Créaphis, 2006.

869.

RM, 16-31 octobre 1905, p. 339. L’expression revient constamment sous la plume des journalistes lyonnais et britanniques en 1906-1907 lors des échanges entre Lyon, Manchester, Glasgow et Édimbourg (AM Lyon, 985 WP 25).

870.

AM Aix-les-Bains, 4R 4, circulaire du président du conseil municipal de Paris, 27 août 1900 : invitation à la grande Fête des Municipalités des 22-23 septembre 1900.

871.

RM, 16-31 octobre 1905, p. 339. En gras, les villes dont nous savons qu’elles ont participé au programme d’échange. On notera que le premier jumelage de la municipalité lyonnaise se fera justement avec Birmingham en 1951.

872.

RM, 16-30 avril 1907, p. 123.

873.

Le British Committee for the Study of Foreign Municipal Institutions organisa des visites de villes en Allemagne, Belgique, Suisse, États-Unis, Scandinavie, selon Marjatta Hietala, « La diffusion des innovations : Helsinki, 1875-1917 », Genèses, 10, 1993, p. 79. Shane Ewen a travaillé sur la ville de Birmingham, qui avait organisé en 1910 un voyage en Allemagne et en Autriche (communication au séminaire « La ville internationale », Lyon, UMR Triangle, 20 juin 2008). En 1907, une délégation de Barcelone se rend à Toulouse (AM Toulouse, 4D 802, délibérations du conseil municipal, 7 octobre 1930).

874.

Discours de M. E.A. Cornwall, président du conseil de Comté de Londres, dans Gaston Cadoux, Relation officielle de la visite à Londres du Conseil Municipal et de la visite à Paris du Conseil de Comté de Londres 16-21 octobre 1905 – 5-10 février 1906, Paris, Imp. Nat., 1906, p. 95-96 (c’est nous qui soulignons).

875.

Arch. de Paris, VONC 130.