L’assainissement urbain et les politiques municipales en faveur de l’hygiène publique ont déjà fait l’objet d’études monographiques, dont certaines ont insisté sur la durée séculaire de mise en place des équipements, « la longue maturation des projets hydrauliques »876. L'objectif ici n'est pas d'ajouter de nouvelles monographies aux travaux existants, mais plutôt de mieux comprendre les aléas des processus de prise de décision à l'égard de l'innovation, en se concentrant sur les correspondances et les décalages entre le temps court de la décision et le rythme plus lent de l'élaboration puis de la réalisation du projet. Pour cela, on peut se proposer de rentrer dans les mairies, dans les bureaux de leurs services techniques, et de suivre les acteurs du début à la fin d'un projet édilitaire, en se penchant sur les épisodes-charnières de ces longues opérations qui ont mené en fin de compte à une meilleure maîtrise de l’environnement urbain dans la deuxième moitié du XXe siècle. On privilégiera les moments où le débat municipal porte sur l’adoption d’une nouvelle technologie d'épuration de l'eau, de traitement des déchets, ou sur la création d’un réseau d'assainissement, autant de mesures censées répondre à un problème d’hygiène urbaine. Durant ces phases, la réflexion et le processus qui mènent à la décision, puis à la réalisation édilitaire, ne s’opèrent pas en vase clos. C’est donc en s'intéressant de près aux conséquences de l’insertion des municipalités et des acteurs de l’espace urbain dans les réseaux de communication présentés précédemment, que l'on cherchera à éclairer sous un nouveau jour le travail des administrations municipales, et peut-être à faire émerger des facteurs structurants de la modernisation de l’espace urbain et, plus généralement, de l’action édilitaire.
Dans le corpus retenu pour l’analyse, les réalisations « marquantes » (ou présentées comme telles) côtoient des projets adoptés puis jamais mis en œuvre, ainsi que des pistes un temps suivies, avant d’être abandonnées. En effet, en matière de diffusion d'innovations techniques, « les échecs et les ralentissements sont monnaie courante »877. L’histoire de l’échec peut d'ailleurs mobiliser une masse documentaire assez considérable pour le sujet qui nous intéresse : ces sources ne sont pas à négliger, d’autant que leur confrontation aux archives portant sur les projets menés à leur terme peut aider à comprendre le rôle des acteurs locaux et des facteurs exogènes dans les phases successives du processus de décision et dans son issue.
Pour dégager les différentes modalités au moyen desquelles les municipalités ont pensé et conduit leurs projets édilitaires, on examinera les interactions des catégories d’acteurs évoquées précédemment : municipalités, techniciens locaux, administration centrale, entreprises, citadins, etc. On suivra les démarches municipales telles que les archives nous les restituent – souvent après que le chercheur a reconstitué le puzzle engendré par les vicissitudes de la conservation des documents « techniques ». On étudiera les acteurs à l’œuvre dans la phase de discussion, d’enquête et d’élaboration du projet municipal, les méthodes employées par les municipalités (élus et techniciens) pour s’informer, prendre leur décision, et obtenir si nécessaire l'aval de l'autorité supérieure. Cette partie suivra la circulation de l’information et des hommes jusqu’à l’inauguration et la mise en fonctionnement du nouvel équipement.
Franck Scherrer, L’ É gout, patrimoine urbain. L’évolution dans la longue durée du réseau d’assainissement de Lyon, thèse d’urbanisme, Université Paris XII, 1992. Voir aussi la thèse de Vincent Lemire, La soif de Jérusalem. L'eau dans la ville sainte. Enquêtes archéologiques, politiques hydrauliques, conquêtes territoriales (1840-1940), université de Provence, 2006.
Liliane Hilaire-Pérez, « Échanges techniques dans la métallurgie légère entre la France et l'Angleterre au XVIIIe siècle. Du modèle de la supériorité à l'histoire des hybrides », dans Jean-Philippe Genet et François-Joseph Ruggiu (dir.), Les idées passent-elles la Manche ? Savoirs, Représentations, Pratiques (France-Angleterre, Xe-XXe siècles), Paris, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2007, p. 164.