b) Les associations

Un autre vecteur d’information, plus souple et potentiellement plus interactif que les revues, est incarné par les associations de villes et les groupements professionnels d’ingénieurs ou d’hygiénistes. Certains de ces réseaux sont mus par des idéaux d’émancipation ou de défense des prérogatives municipales ; tous cherchent à justifier leur utilité par l’argument de leur rôle de centre documentaire. Les associations capitalisent en effet un vivier potentiel de compétences, balayant une grande étendue géographique. L’Union des Villes et Communes de France affirme, peu après sa mise en route, qu’elle « doit constituer une documentation qui ne peut être fournie en France par le seul dépouillement des publications et qui doit être recherchée par relations, par correspondance, par voie d’enquête, etc. […]. Elle se trouvera ainsi en mesure de répondre d’une manière détaillée et complète à toutes questions que les municipalités pourraient lui poser, réalisant de cette manière l’avantage qu’elle leur a promis lors de sa constitution ; de les dispenser de l’effort pour lequel elles ne sont pas outillées, en accomplissant cet effort de telle sorte qu’il puisse profiter à tous »936. Mais qu’en est-il des « dossiers documentaires » qu’elle s’était engagée à « produire » ? Combien de municipalités ont-elles consulté l’Union ? Il est difficile d’avoir une réponse précise, mais les archives dépouillées ne laissent pas présager une très grande utilisation des réseaux officiels par les édiles provinciaux en quête d'informations hygiénistes. Nous n'avons trouvé trace d'une intention de consulter l'UVCF, à Clermont-Ferrand, qu'après avoir dépouillé plus de 40 dépôts municipaux différents...937

L’Association des Maires de France ne fait guère mieux ; elle passe une convention avec l’AGHTM en 1922 : mais le Comité de consultation technique mis en place par les ingénieurs et hygiénistes intervient peu et sur des sujets plutôt à la marge de ses centres d’intérêt938, quand il ne décourage pas tout simplement les clients potentiels939. Durant l’hiver 1925-1926, des conseils sont donnés aux villes de « Béziers, St-Louis, Mâcon, Reims, Le Chambon-Feugerolles, Quimperlé, Lorient, Abbeville, Strasbourg, Dombasle, Mulhouse » et en avril, une circulaire de l’association relaie une enquête du maire de Strasbourg sur les harmonies et fanfares municipales940. En tout cas, aucun de ces réseaux francophones ne développe autant l’idéal de coopération documentaire que l’Union internationale des villes.

L’UIV : une insatiable ambition documentaire
En 1921, la toute jeune Union des Villes de France explique longuement, dans la Quinzaine urbaine, les relations réciproques qu'elle compte entretenir avec l’Union Internationale des Villes en matière de documentation. « Les Unions nationales s’engagent à fournir à l’Union internationale le dépouillement complet et méthodique de toutes les publications paraissant dans leurs pays en ce qui concerne la connaissance des villes, l’aménagement de celles-ci, leur gouvernement : urbanisme, organisation et administration municipales »941. La documentation est au cœur des préoccupations de l’UIV, notamment de certains de ses dirigeants. A Gand, en 1913, le secrétaire général du Comité provisoire de l’association est Paul Otlet, féru de questions bibliographiques et déjà secrétaire général de l’Union des Associations internationales, fondée à Bruxelles en 1910, qui poursuit l’objectif de recueillir le maximum de données bibliographiques – et sous d’autres formats, comme des cartes, photographies, diagrammes, etc. – sur tous les sujets. A son siège, « établi à Bruxelles, siège actuel de 65 organismes internationaux », installé dans un ensemble de locaux prêtés par le Gouvernement belge (4200 m²), fonctionnent plusieurs services : « 1° Le Musée international (16 salles, comprenant environ 3000 objets et tableaux) ; 2° La Bibliothèque collective internationale (73 000 volumes) ; 3° Le répertoire bibliographique universel (11 millions de notices sur fiches classées par matières et par auteurs) ; 4° les archives documentaires internationales (10000 dossiers comprenant environ 300 000 pièces et documents iconographiques) ; 5° un service collectif de librairie fonctionnant au sein de l’Office central »942.
Au début des années 1920, la remise en route de l’UIV s’accompagne donc d’un discours répété en faveur de cette coopération documentaire, dont le fonctionnement peine cependant à être établi de manière définitive. Débats et tâtonnements du bureau de l’UIV à ce sujet sont perceptibles dans L’Administration locale. D’un côté, l’Union veut être capable d’exercer une influence sur les villes : « l’établissement d’un lien entre l’Union Internationale et les organisations de fonctionnaires et techniciens municipaux nous fournit une occasion intéressante de pénétrer plus intimement dans le travail journalier des municipalités et de les habituer davantage à s’inspirer de nos travaux et à recourir à nos services »943. Mais elle doit faire face aux difficultés de l’organisation d’une coopération documentaire internationale efficace. Lors d’un débat interne, le Britannique Montagu Harris et l'Allemand Haekel paraissent réticents à un dépouillement systématique et complet de toute la littérature d’intérêt municipal944, alors qu’au sortir de la guerre, selon un membre, on entretenait « l’espoir de pouvoir faire à Bruxelles le dépouillement de tous les périodiques nécessaires pour être au courant de ce qui se passait dans tous les pays ». En fait, les dirigeants de l’UIV doivent accepter l’idée « des difficultés que les Unions Nationales rencontrent elles-mêmes à se documenter sur ce qui se passe dans leur pays »945. Ils n’en continuent pas moins à expérimenter des formules : ainsi en 1933 les revues de l'UIV L’Administration locale et les Tablettes documentaires fusionnent dans les Fascicules et Documents. Ce système de cahiers détachables, sur le principe d’un document par sujet, est présenté comme un outil pratique offert aux administrateurs, qui peuvent « les répartir, selon leur projet, dans les divers services intéressés »946. La première étude qu’ils publient, à partir du document n°2, concerne notre objet d’étude : rédigée par Victor Van Lint, ingénieur-directeur honoraire du Service du nettoiement de la voirie de la Ville de Bruxelles, longtemps directeur de la Technique Sanitaire et Municipale, elle s’intitule « Propreté de la voirie ; Collecte et destination des immondices urbaines. Méthodes actuelles du nettoiement de la voirie et du traitement des immondices »947.
Même si nos dépouillements ne saisissent plus l'UIV à l'œuvre dans le domaine du génie urbain lors de sa remise en route en 1948, l'amélioration de l'environnement des citadins reste une préoccupation mondiale, intéressant tous les édiles, ainsi que les ministères de l'Intérieur, depuis les rivages de l'Atlantique jusqu'à Tokyo948. Le Japon urbain utilise toujours les services de l'Union Internationale des Villes : en 1957, la municipalité de Lyon reçoit un questionnaire sur les services sanitaires préparé par la ville d’Osaka et envoyé par le secrétariat de l'Union à La Haye. Le bureau de la salubrité publique de la ville japonaise avait choisi de passer par l'organisme international, qui demande aux villes enquêtées de répondre de préférence en anglais, pour faciliter la tâche des services nippons949.

Il reste donc très difficile de mesurer l'efficacité des réseaux officiels, associatifs et sur support écrit, censés travailler au partage des expériences et à la circulation de l'information. L’utilisation des réseaux nationaux n’a probablement été qu’un moyen de documentation parmi d’autres, prisé d'abord des membres de ces associations, tels les ingénieurs municipaux. Les échanges informels entre élus à l’occasion des congrès des Maires de France ont pu être utiles aux municipalités, même s’ils n’ont pas laissé beaucoup de traces. Le maire d’Annecy écrit par exemple à ses collègues de Gien et de Saint-Lô, villes bien éloignées de la Haute-Savoie, que l’« on a affirmé à mon premier adjoint qui a assisté au Congrès des Maires à Paris que votre ville recevait de l’État et du Département une redevance pour le nettoiement des routes nationales et départementales traversant la ville et pour l’enlèvement des immondices dans ces mêmes voies »950. Pour conclure provisoirement sur ces réseaux, aisément repérables pour le chercheur qui travaille en bibliothèque sur les sources écrites qu'ils ont produit, qui ont déjà été assez bien étudiés951, nous choisissons de rester prudent sur leur impact effectif pour la diffusion de l'information au sein de l'armature urbaine et sur les contenus concrètement échangés. Les sources locales dont nous disposons montrent que la documentation préalable à la décision a plutôt – ou également – été constituée par des démarches d’enquête, menées de façon directe : correspondances (ce sont ainsi plus de 1250 lettres sur le sujet de l'hygiène urbaine qui ont été retrouvées et rentrées dans notre base de données) et voyages d’étude. N’oublions pas également que les communications téléphoniques ont pu être un moyen plus rapide d’accéder à l’information, probablement utilisé de manière croissante au fil des décennies, et qui a laissé beaucoup moins de traces !952

Notes
936.

La Quinzaine urbaine, n°1, 15 janvier 1921, p. 5-6.

937.

AM Clermont-Ferrand, 2O 2/16, minute d'une lettre adressée à S. Bruère, secrétaire de l'Association des hygiénistes et techniciens municipaux et à M. le secrétaire de l'Union des villes de France, 6 décembre 1922.

938.

TSM, février 1923, p. 26. TSM, juillet 1924, p. 154.

939.

AM Lyon, 1112 WP 001, compte rendu de la réunion du bureau de l’Association des Maires de France, 24 octobre 1923 : Paul Bellamy explique que « la Ville de Lisieux, qui avait demandé l’assistance de ce Comité, a dû y renoncer, à cause de la somme qui lui avait été demandée pour cette consultation (1200 francs). Bien que cette somme comparée aux émoluments d’avant-guerre ne paraisse pas exagérée, le Bureau est d’avis que des prix très modérés engageraient davantage les Villes à avoir recours plus souvent aux consultations du comité ».

940.

AM Lyon, 1112 WP 001, compte rendu de la réunion du bureau de l’Association Nationale des Maires de France, 24 mars 1926 et circulaire du 9 avril 1926 relayant la demande de M. Peirotes.

941.

La Quinzaine urbaine, n°1, 15 janvier 1921, p. 5.

942.

AM Lyon, 782 WP 21, circulaire de Paul Otlet, 8 août 1913 et documents imprimés, s. d. Dans cette perspective, Otlet entretient une importante correspondance avec les autorités lyonnaises en vue d’une participation à l’Exposition internationale de Lyon 1914.

943.

L’Administration locale, mai-juin 1928, n°41-42.

944.

Ibid.

945.

L’Administration locale, octobre-décembre 1929, n°52, p. 855.

946.

Fascicules et documents de l’Union internationale des villes, Fasc. n°1 Doc. N°1, janvier 1933.

947.

Une grande partie des documents est conservée dans un ensemble documentaire constitué par l’ingénieur de la voirie de Villeurbanne (AM Villeurbanne, 1J 21).

948.

Arch. Paris, VONC 130, copie d’une lettre de l’ambassadeur du Japon au préfet de la Seine, 22 février 1919.

949.

AM Lyon, 969 WP 92, lettre du secrétaire général de l'UIV, 16 octobre 1957.

950.

AM Annecy, 1O 204, lettre du 10 novembre 1910. Les maires de Gien et Saint-Lô répondent respectivement les 12 et 17 novembre (1O 19).

951.

Pour mémoire : Viviane Claude, L’Association Générale des Hygiénistes et Techniciens Municipaux (AGHTM), É cole et/ou lobby, 1905-1930, rapport pour le compte du Plan Urbain, Ministère de l’Équipement et du Logement ARDU, Paris VIII, 1987. Christian Topalov (dir.) Laboratoires du nouveau siècle. La « nébuleuse réformatrice » et ses réseaux en France 1880-1914, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999. Renaud Payre, À la recherche de la « science communale ». Les « mondes » de la réforme municipale dans la France de la première moitié du vingtième siècle, thèse pour le doctorat de science politique, IEP de Grenoble, décembre 2002.

952.

Quant aux télégrammes retrouvés dans les cartons dépouillés, ils transmettent de l’information « fraîche », dans un contexte de réalisation en cours ou de projet en voie d’approbation.