4/ L'après-voyage

Une dernière interrogation sur cette forme d'acquisition de connaissances peut porter sur le devenir de ce qui a été observé et entendu au cours de la « leçon de choses ». Quelle peut être l’efficacité de la visite ? Qu’en retire-t-on ? Lorsqu’on lit les récits de visite, y a-t-il des jugements, des indications sur la valeur de l’expérience acquise au cours du voyage, comme lorsqu'à Limoges on déclare : « Nantes et Saint-Nazaire nous apprennent ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter »1089 ?

Au cours de chaque excursion, les ingénieurs ou les conseillers prennent des notes résumant leurs impressions ou les renseignements délivrés par leurs interlocuteurs : ces comptes rendus rédigés en style télégraphique sont parfois conservés dans les archives laissées par les projets édilitaires. En 1954, l’ingénieur de Chambéry va observer l’usine d’incinération de Blois, mise en fonctionnement avant la Seconde Guerre mondiale. Ses notes permettent à la fois de se rendre compte de l’image que la municipalité de Blois a de son équipement, de l’opinion des ingénieurs à l’égard de la technique et de ses progrès, et même d’obtenir un jugement de l’époque sur l’état de l’incinération à travers les villes françaises.

‘« Maire Blois satisfaction 15 ans d’expérience.
Rolland satisfait. Cheminée à éloigner des fours. Se méfie des perfectionnements. Choix ou appareillage ultra simple ou rien.
Nombre d’usines ont fermé par suite exploitation difficile. »1090

Ensuite, les renseignements peuvent à l'occasion être convertis en tableau comparatif (procédé courant pour les informations collectées par simple correspondance), où données chiffrées et observations qualitatives se côtoient, comme dans l'illustration suivante, alors que Toulon vient d'abandonner l'incinération pour le traitement des ordures par fermentation et cherche à comparer le fonctionnement de sa nouvelle installation avec celui des usines déjà existantes.

Du voyage d'étude au travail de bureau : le tableau comparatif
Du voyage d'étude au travail de bureau : le tableau comparatif AM Toulon, 11M 1.

Enfin, certains voyages restent dans les mémoires. Un conseiller municipal de Dijon, en 1952, se plaint que l’incinération des ordures ne figure plus dans le Plan d’équipement de la ville, alors qu’il apparaissait dans les priorités dégagées en 1948. Il convoque le souvenir d’un voyage à Nancy en 1936 qui aurait enthousiasmé les édiles et motivé les études de l’ingénieur municipal à la suite desquelles, en 1939, la ville était sur le point d’aboutir1092.

Ainsi, l'inventaire et l'analyse des visites repérées au cours de nos dépouillements nous amènent à formuler l'hypothèse que c'est la combinaison des voyages de municipalités qui se renseignent à l'étranger pour innover, et des déplacements moins lointains de villes qui viennent voir les pionnières pour les imiter, qui permet aux équipements techniques de se répandre progressivement. Les missions « d'étude » sont en tout cas des occasions de joindre l'utile à l'agréable pour les conseillers qui les pratiquent ; elles offrent également des occasions de convivialité, où la municipalité visitée invite ses hôtes à déjeuner, occasions lors desquelles des informations variées ont pu être échangées et l'affirmation d'une solidarité inter-municipale renforcée1093.

Notes
1089.

Délibérations imprimées du conseil municipal de Limoges, 1925, p. 323.

1090.

AM Chambéry, 1O 93, notes manuscrites, s. d. (le voyage a eu lieu le 19 octobre 1954). Nous validons la remarque finale : le milieu des années 1950 semble marquer la fin du cycle d'implantation d'usines entamé dans l’entre-deux-guerres.

1091.

AM Toulon, 11M 1.

1092.

AM Dijon, SG 58G, lettre de Georges Connes au maire de Dijon, 1er décembre 1952.

1093.

Voir le compte rendu d'un voyage rouennais (1930) dans les annexes, section 5.