1/ La composition de la commission du concours

La « commissionnite » existe dans certaines municipalités où, même sans organiser des concours, on constitue de nombreuses commissions ad hoc 1225, qui sont cependant régulièrement formées des mêmes personnes. Certaines de ces commissions sont dites « extra-municipales », car on y inclut des ingénieurs ou médecins résidant sur place mais travaillant à leur compte, pour une entreprise ou pour l’administration départementale1226. En outre, leur composition n’est pas forcément purement locale. Cela ne veut pas dire que la municipalité ne fasse pas confiance à l'addition des notabilités, des techniciens en poste dans la localité et de ses propres élus. Mais en général, la constitution des jurys de concours est mixte, comme celle de la Commission du concours d’assainissement d’Avignon, 1912-1913, qui contient, à côté des membres vauclusiens, des experts dont la municipalité a demandé la nomination aux différents ministres intéressés par la question. Tel est le cas de Félix Launay, désigné par le Ministre des Travaux Publics1227, à qui l’on confie la tâche de préparer un rapport d’ensemble ; il accepte à condition que les deux ingénieurs du service départemental des Ponts-et-Chaussées lui préparent le terrain1228. Avignon avait sollicité la présence d’un membre du Conseil supérieur d’hygiène publique, mais le CSHP avait poliment décliné l’invitation, tout comme celle de la municipalité de Belfort qui avait désiré imiter l’exemple de la cité des Papes1229. Il semble donc que les villes intéressées par la constitution d’un jury d’experts soient attentives aux concours tenus dans d’autres villes, afin de bénéficier des meilleurs spécialistes possibles. Ces ingénieurs réputés pour leur compétence circulent de ville en ville dans les années précédant la première guerre mondiale. On retrouve Félix Launay à Avignon, mais également à Belfort et à Toulouse. Édouard Imbeaux à Saint-Malo, Lyon, Belfort. Albert Calmette, quant à lui, est présent à Saint-Malo et à Lyon. Ainsi, Saint-Malo, en prévoyant dès la fin du XIXe siècle « un jury composé du maire, de trois ingénieurs étrangers au département, d'un membre de la commission municipale des travaux »1230, donne la majorité aux experts (3 voix sur 5), et décide de faire appel aux spécialistes de renommée nationale. Un esprit de solidarité professionnelle existe entre les ingénieurs municipaux, qui font appel à des « camarades » d’autres villes : l’ingénieur en chef de Lyon André Auric est appelé à siéger dans le jury de Toulouse en 19071231. Le programme du concours de Valenciennes, rédigé par l’ingénieur municipal en 1921, précise que le jury comprendra « trois ingénieurs spécialistes choisis parmi les Directeurs des Travaux des grandes Villes de France »1232. Toulouse veut « cinq ingénieurs spécialistes choisis parmi les Directeurs des travaux des grandes villes de France et de l’étranger, notoirement connues par le degré de perfectionnement auquel elles auront su porter leur système d’assainissement »1233..

Ainsi, dans des villes très éloignées, on retrouve sensiblement les mêmes jurés… mais aussi les mêmes entreprises en compétition ! Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes, à en juger par les articles contestataires écrits par des concurrents battus, écartés du marché public qu'ils convoitaient. En effet, il semble bien, dans cette période des balbutiements de l’assainissement urbain, que l’enjeu du concours dépasse la ville même. Les polémiques ne se cantonnent pas toujours à la sphère locale (où elles peuvent aussi être liées à des enjeux politiques) et sont entretenues dans les séances des associations parisiennes et dans les colonnes des revues spécialisées par les entrepreneurs qui ont concouru sans succès1234. De leur côté, les villes cherchent à se protéger : le règlement écrit par Valenciennes présente des passages classiques en précisant que « l’auteur du projet classé n°1 sera chargé de procéder avec son personnel technique à l’établissement du projet définitif, pour laquelle étude il sera alloué une indemnité de 1% du montant total du projet, déduction faite de la prime déjà payée. Moyennant cette allocation, le projet deviendra la propriété de la Ville qui aura toute liberté d’appréciation quant à sa réalisation ou sa non-exécution »1235.

Notes
1225.

AM Saint-Étienne, 1I 116, arrêté du maire du 3 août 1908 nommant une commission à l’effet d’étudier les voies et moyens de réaliser les améliorations que comporte le service actuel de l’enlèvement, du transport et du traitement des cendres et immondices. Arrêté du 24 avril 1936 constituant une Commission spéciale chargée d’examiner les modèles de poubelles à couvercle soumis par divers constructeurs.

1226.

Exemple de la Commission d'assainissement d'Annecy en 1904 (AM Annecy, 4O 79).

1227.

AM Avignon, 1O 91, lettre du Ministère des Travaux publics, 21 juin 1913.

1228.

AM Avignon, 5J 5, procès-verbal de la réunion du 28 juillet 1913 du jury chargé de l’examen des projets d’assainissement d’Avignon.. « Le Jury prie M. Launay de vouloir bien se charger de faire l’analyse de chacun d’eux et de préparer un rapport d’ensemble. M. Launay a accepté cette mission à la condition que MM. Gubiand et Payan voudront bien se charger de l’étude préparatoire de ce travail d’ensemble ».

1229.

AM Avignon, 1O 91, lettre du préfet au maire, 28 juin 1913. AD Territoire de Belfort, 2O 10, lettre du Ministère de l’Intérieur (Direction de l’Assistance et de l’Hygiène publique) à l’Administrateur du Territoire de Belfort, 27 septembre 1913.

1230.

La Technologie Sanitaire, supplément au numéro du 1er octobre 1896, p. 39.

1231.

Jury où l’on ne trouve que des ingénieurs des Ponts et Chaussées : outre Auric, Launay (Paris), Imbeaux (Nancy) et Jannin (Albi). L’ingénieur en chef de Nantes, Henri Michel, était également prévu mais n’a finalement pas siégé, sans que nous en connaissions la raison.

1232.

TSM, mars 1922, p. 65.

1233.

AM Toulouse, 170W 283, lettre du maire au préfet, 16 novembre 1907.

1234.

E. Chardon, « Assainissement de Saint-Malo », TSM, octobre 1908, p. 224-225.

1235.

TSM, mars 1922, p. 65.