1/ A la recherche des compétences

‘« […] la masse fort importante des villes, grandes et moyennes, dont les besoins sont aussi considérables et dont le personnel, en France tout au moins, n'a pas toujours, jusqu'à une époque récente, été formé dans les conditions propres à l'adapter aux fonctions accrues des municipalités et, en particulier, aux obligations urbanistiques, économiques et sociales que leur ont créées les lois nouvelles. » 1330

Maire provincial parmi les plus célébrés en matière de réalisations édilitaires durant la première moitié du XXe siècle, Édouard Herriot est bien conscient que la question des compétences techniques à la disposition des villes est une donnée importante du problème de l’amélioration du quotidien par les réseaux techniques : « le maire qui a la tâche la plus difficile à accomplir, ce n’est pas le maire de la grande ville, celui qui a à sa disposition des services administratifs, des techniciens comme dans les Ministères. Je crois connaître suffisamment les maires de France pour pouvoir affirmer sans crainte d’être contredit, que les maires que je plains le plus sont ceux qui, à la tête des petites ou des moyennes communes, sont obligés de faire face aux difficultés d’application des lois sans avoir les moyens dont nous disposons dans les grandes villes »1331. Ainsi, dans la station balnéaire de Dinard, en 1911, sur les 29 personnes qui reçoivent un traitement de la ville, on recense « 1 directeur du service des eaux, 3 mécaniciens, 1 fontainier-plombier, 1 fontainier (appartiennent tous au service des eaux), 1 architecte-voyer (services divers) ». Voilà tout le personnel municipal chargé de la qualité de l'environnement des habitants et des résidents saisonniers, pour un traitement relativement modeste1332. Comment les municipalités des villes petites et moyennes pallient-elles leur déficit de compétences, parfois déjà gênant lors de la phase de documentation ? Deux sortes de recours semblent s’imposer : soit l’appel au corps technique de l’État (ingénieurs des Ponts et Chaussées en service dans le département), soit la collaboration ponctuelle d’un « ingénieur conseil ». Dans le génie sanitaire comme dans l'urbanisme naissant, il existe des clivages entre spécialistes, renforcés par l'étroitesse du marché de la commande publique. Clivages entre personnes aux formations diverses (architectes, ingénieurs, médecins, etc.), qui rivalisent pour obtenir le statut de « chef d'orchestre »1333, mais également entre fonctionnaires et professions libérales. « Les différences de statuts structurent des attitudes diverses face à la commande, des positions distinctes devant les formations et le rôle de l'expérience de terrain, des manières également éloignées de considérer le rapport à la décision politique et la façon d'exercer les missions de conseil »1334.

Notes
1330.

AM Lyon, 1114 WP 5, tiré à part de L'organisation de l'Enseignement des Matières d'Intérêt Municipal en France, Rapport présenté par M. William Oualid, pour la Conférence internationale de Lyon de l'Union internationale des Villes et Pouvoirs Locaux (1934).

1331.

AM Lyon, 675 WP 23, discours de clôture d'Herriot reproduit dans le compte rendu du congrès des maires de France de 1935.

1332.

L' É dilité technique, « En attendant le statut des fonctionnaires », juin 1911, p. 230 et juillet 1911, p. 295. Le directeur du service des eaux touche de 2 200 à 3 000 F (à comparer avec le mécanicien : de 1 600 à 2 000 F, et les recommandations ministérielles pour le traitement des directeurs de bureaux d'hygiène, censé être supérieur à 4000 F par an).

1333.

Viviane Claude, « Le chef d'orchestre : un cliché de l'entre-deux-guerres », Annales de la Recherche Urbaine, 44-45.

1334.

Jean-Pierre Gaudin, « Les tourments du démiurge. Cultures professionnelles et savoirs urbanistiques », Dossiers des Séminaires Techniques, Territoires et Sociétés. Villes réfléchies. Histoire et actualité des cultures professionnelles dans l’urbanisme, Paris, Plan Urbain, 1990, p. 8.