Les propos qui précèdent montrent que les ingénieurs américains sont confrontés aux mêmes enjeux que leurs collègues français. D'après cet ingénieur de l'Iowa, s'exprimant devant ses collègues chargés de l'assainissement dans diverses localités de cet état, un bon ingénieur est également un metteur en scène et un « communicant », qui doit faire admettre aux citoyens que leurs impôts sont utilement employés. Pour cela, il a besoin de l'appui des hommes politiques locaux et de la presse, qui peut à l'occasion « scénariser » l'histoire du traitement des eaux d'égout, ou publier un article sur une large visite guidée dominicale ou un « expert » étranger intéressé par l'installation1458.
Si les projets édilitaires commencent en général par une phase de collecte de documentation, leur réalisation est donc souvent l'opportunité d'offrir de l'information aux municipalités qui sont alors justement dans la première phase : il ressort des dépouillements effectués dans diverses villes l'esquisse d'un tableau général où chaque acteur en est à une phase différente de ce qui s'avère être le cycle d'un équipement édilitaire. La correspondance entre villes existe donc à toutes les étapes des projets édilitaires, depuis la période où l'on se renseigne jusqu’à l’époque du fonctionnement – plus ou moins satisfaisant – de l’équipement réalisé. Nous rejoignons totalement ce qu’avait perçu William Cohen en étudiant cinq villes au XIXe siècle : « Si les villes étaient rivales, elles savaient également à quel point elles pouvaient apprendre l'une de l'autre. La correspondance évoluait continuellement entre des municipalités demandant de l'information sur la résolution de problèmes, comme le manque d'eau, d'égouts ou de réseaux de gaz, et l'étroitesse des rues. Le savoir acquis était utilisé pour améliorer les services aux citadins, mais aussi pour accroître le prestige de la cité et la distinguer de ses rivales. »1459
L'information produite au moment de la mise en service de l'équipement est présentée sur des supports variés et destinée à plusieurs catégories de récepteurs – pas seulement les autres édiles. La société civile et les entrepreneurs sont encore à considérer dans cette phase où l'équipement édilitaire joue le rôle de « vitrine » de l'action municipale et de la compétence technique des sociétés de travaux publics.
Traduction de « Visitors, and Publicity for Sewage Treatment Plants », Municipal Sanitation, janvier 1933, p. 14. Extrait d'une communication de Lyndon J. Murphy, ingénieur municipal, service de l’Iowa State College, Ames, Iowa, à la Conférence du traitement des eaux d’égout de l’Iowa. Texte anglais en annexe, section 5.
A Nancy, Imbeaux semble avoir bénéficié très tôt des faveurs de la presse (lors du projet puis des travaux de captation des eaux de la forêt de Haye), si l'on en croit ses collègues belges (La Technologie Sanitaire, 15 juin 1901, p. 530)
William B. Cohen, Urban Government and the Rise of the French City, op. cit., p. 18 : « If cities were rivals, they also knew how much they could learn from one another. Correspondence moved continuously between municipalities asking for information on how they had resolved such problems as water shortages, lack of sewers and gas lines, and narrow streets. The acquired knowledge was used to improve services to fellow citizens but it was also intended to increase the prestige of the city and distinguish it from its rivals. »