On a déjà évoqué le rôle joué par la présence de casernes dans l'effort de certaines villes en vue d'assainir leur environnement ou de sécuriser leur approvisionnement en eau potable. La guerre renforce l'attention des autorités militaires envers la protection des ressources en eau. A Lyon (et dans les autres villes de la 14e région militaire), à la demande du Ministre de l'Armement, le général Ebener, gouverneur militaire de Lyon, fait procéder à l'étude des mesures de protection des réservoirs de l'agglomération « contre les tentatives de destructions possibles et contre l'introduction dans les réservoirs ou canalisations d'amenée de germes de contamination »1631. Surveiller les villes n'est qu'une des priorités du service de santé des armées. L'autre est bien évidemment d'alimenter les troupes pour éviter une épidémie sur le front. Or, « n'est-ce pas une cité à la population très dense et aux demeures d'un confort assez primitif que celle qui s'étend le long de notre front ? »1632
Les technologies d'épuration de l'eau ou de destruction des déchets mises au point pour les villes à la Belle Époque sont donc utilisées pour l'hygiène des campements1633. Des échanges croisés auront également lieu aux États-Unis, durant la deuxième guerre mondiale1634. Dans un mouvement inverse, les expériences faites pour protéger les soldats des épidémies hydriques profitent généralement aux agglomérations urbaines. De nombreux témoignages signalent l'accroissement du souci de la qualité des eaux à partir de 1915/1916. La guerre accélère ainsi l'usage du chlore pour épurer les eaux distribuées aux citadins : c'est le cas à Paris, notamment en raison du stationnement de troupes dans les contrées où des sources sont captées (Dhuis et Avre)1635. L'attention porté à la sécurité des citadins alimentés en eau se manifeste par le développement de la javellisation et de la chloration, mais également par l'acroissement de la surveillance des sources et du contrôle bactériologique1636. F. Diénert, chef du service de surveillance des eaux de la capitale, affirme que « le chlorure de chaux a permis de résoudre facilement et rapidement le problème de l’épuration bactériologique des eaux potables de Paris pendant la guerre »1637. L'armée américaine, à partir de 1917, utilise massivement cette technologie déjà fort répandue dans les villes états-uniennes ; ses installations peuvent ensuite être récupérées pour des usages civils. Le Congrès interallié d'hygiène, au printemps 1919, formule le vœu « que soit organisé sans retard par les pouvoirs publics, dans les régions dévastées, un service provisoire des eaux potables analogue à celui qui existait aux armées pendant la guerre, faisant l’application des méthodes en usage sur le front, et en utilisant le matériel sans emploi délaissé par le service des eaux de l’armée »1638. C'est même le cas à l'arrière du front, comme à Tours, où l'armée américaine « a fourni et installé deux machines à stériliser par le chlore […] à chacune des deux pompes élévatoires de la ville près de la rivière Cher, et assura l’inspection par un expert, de leur fonctionnement et les analyses occasionnelles de l’eau pour déterminer la quantité de chlore à employer pour produire une eau saine »1639. A Dijon, la ville possède également un appareil de stérilisation par le chlore laissé par les Américains, mais inutilisable sans plusieurs mois de réparations1640.
AD Rhône, 5M 12, lettre du général Ebener, gouverneur militaire de Lyon au préfet du Rhône, 8 juillet 1917.
Dr Crinon, « Les laboratoires qui veillent, aux armées, sur la santé de nos troupes », La Nature, 29 juin 1918, p. 414.
Dr Bordas, « Nouveau procédé de destruction des ordures ménagères », TSM, mars 1911, p. 52. Louis Gaultier, « Filtration et Stérilisation des eaux par les rayons ultra-violets applicables aux armées en campagne et aux agglomérations », TSM, 5e numéro hors-série, juillet-août 1915.
Jean Vincenz, commissaire des travaux publics de la ville californienne de Fresno et qui y met au point la version américaine de la technique de la décharge contrôlée, devient en 1941 chef assistant d'un service du quartier général de l'US Army Corps of Engineers à Washington. Vers 1944, plus d'une centaine de camps de l'armée américaine utilisent cette méthode pour se débarrasser de leurs déchets, et une année plus tard, le même nombre de villes ont recours au « sanitary landfilling » pour leurs ordures (Martin Melosi, Garbage in the Cities, Pittsburgh, Pittsburgh University Press, 2005, p. 184).
« La surveillance des eaux d’alimentation à Paris », RM, 1-16 juin 1916, p. 182-183.
Dr Henry Thierry, « Assainissement des champs de bataille de la Marne » (TSM, novembre-décembre 1915). « Le casier sanitaire des eaux potables », TSM, février 1916, p. 43.
« Javellisation et chlorination des eaux », TSM, février 1921, p. 40.
Congrès interallié d’hygiène sociale pour la reconstitution des régions dévastées par la guerre, réuni à Paris, à la Sorbonne, du 22 au 26 avril 1919, Compte rendu général des travaux, tome I, Paris, Editions Ernest Leroux, 1919, p. 67.
« Stérilisation par la chlorine de l’eau du Cher », RM, 1-14 avril 1919, p. 80.
AD Côte-d'Or, 4O 239/ 196, délibération du conseil municipal de Dijon, 19 avril 1921.