3/ L'adaptation des villes au temps de guerre

‘« Nul moment peut-être ne fut plus opportun pour prêcher l’Hygiène publique. » 1641

La première guerre mondiale désorganise les services d'hygiène, en provoquant une brutale pénurie de main-d'œuvre et d'attelages. Cela nécessite de modifier les conditions de la collecte des ordures ménagères, souvent en déshérence et reprise en régie quand elle était concédée1642. A Lyon, le maire demande par arrêté à ses administrés de brûler le plus d'ordures possible chez eux, afin que la pénurie de main-d'œuvre ne pénalise pas trop l'état de propreté de la voie publique : « Il est interdit de déverser dans les seaux à immondices et sur la voie publique tous déchets susceptibles d’être consumés, tels que papiers, cartons, paille, pelures, épluchures, résidus de fruits et de légumes, os et détritus d’origine animale ou végétale, etc. »1643. Des mesures analogues refont surface un quart de siècle plus tard, comme à Limoges où l'on donne aux citadins le choix entre brûler les ordures chez eux ou les enfouir dans leur jardin !1644 L'hiver 1916-1917 est difficile dans la capitale, où l'on fait appel à des camions militaires loués à l'administration de la Guerre ; cette dernière pallie également le manque de main-d'œuvre en mettant dans les usines d'incinération des ouvriers nord-africains mobilisés. Des écoles de conduite de tombereaux hippomobiles et électromobiles sont organisées, des dépôts de fortune sont ouverts dans des bastions de la ceinture de fortifications pour recueillir les immondices qui ne trouvent plus preneur dans le monde agricole1645.

Les nombreux ingénieurs qui tentent de tirer profit de la naissance d’une industrie du traitement des ordures évoquent le phénomène de l'adaptation aux circonstances issues de la guerre dans les opuscules qu’ils rédigent pour présenter leurs divers perfectionnements techniques : quand elles n'imposent pas l'arrêt des exploitations existantes (Toulon)1646, les difficultés matérielles incitent à la créativité. Selon l'un d’entre eux, la volonté de récupérer des sous-produits de l’incinération aurait germé avant et pendant la première guerre mondiale : « Les usines d'incinération, créées surtout dans un but unique de destruction, furent munies d’appareils complémentaires destinés à récupérer les gaz d'incinération et à les utiliser au mieux, en tenant compte de la constitution des appareils dont on disposait alors. Ce régime fut encore appliqué, et pour cause, pendant toute la durée des hostilités. »1647 En 1916, la ville de Grenoble est ainsi contactée par la Société de traitement des résidus métalliques qui affirme que, « fondée récemment à l’aide de capitaux exclusivement français, [elle] s’est constituée pour reprendre une industrie, jusqu’alors apanage exclusif des Allemands : le traitement des déchets métalliques de toutes sortes, et en particulier des vieilles boites étamées »1648. Cependant, peu d'indices existent d'une mise en application, quelque part en France, d'innovations techniques pour traiter les déchets, durant la Première Guerre mondiale. L'heure n'est pas à la prise de risques de ce côté-là pour les municipalités...

Notes
1641.

L'eau, 15 août 1915, p. 1.

1642.

AM Roanne, 7O 35, délibération du conseil municipal, 9 janvier 1916.

1643.

RM, 16-31 mars 1917, p. 69.

1644.

AM Limoges, 3D 113, avis du maire à la population, 4 janvier 1944.

1645.

« L’enlèvement des ordures ménagères à Paris pendant la guerre », RM, 16-30 avril 1918, p. 88-90.

1646.

AD Var, 2O 140.5.2.6, délibération du conseil municipal de Toulon, 17 novembre 1920.

1647.

AM Avignon, 1J 216, Extrait de la Revue Science et Industrie, n° hors série Cité Moderne, édition 1930. Les ordures ménagères. Comment, de leur destruction obligatoire, on obtient de l’énergie à bon marché, par M. Schwertzler, ingénieur I.C.F.

1648.

AM Grenoble, 1O 578, lettre du 7 juillet 1916.