1/ Quel redémarrage dans le contexte de la crise du début des années 1920 ?

La fin de la Belle Époque apparaît, avec le recul, comme une période de relative effervescence, que vient brutalement stopper la Première Guerre mondiale. La Grande Guerre a ravagé les départements du Nord et de l'Est, les plus industrialisés ; elle a enlevé plus de 10% de la force de travail masculine française. La conséquence logique est l'explosion des coûts de la main-d'œuvre et des matériaux de construction : l’après-guerre est une période délicate, marquée par le quasi arrêt des travaux d’assainissement, lesquels réclament beaucoup d’ouvriers et des tuyaux en fonte1651. Les années 1919-1920 sont des années presque blanches dans ce domaine. De leur propre aveu, les efforts des hygiénistes sont « paralysés »1652. La modernisation du matériel de collecte des ordures ménagères et de nettoiement de la voie publique accuse des retards, d'autant que des grèves touchent les usines de la région parisienne, ralentissant la reprise des chantiers et la fourniture des voitures de collecte ou d'arrosage1653. La station d'épuration des eaux d'égout d'Aix-en-Provence peut être prise comme un exemple représentatif de l'envolée des prix après la Grande Guerre. Projetée dès 1909, elle n'est achevée qu'en 1923, après un redémarrage des travaux en 1920. Le prix forfaitaire initial de 435 000 francs est révisé par un arbitrage de l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées des Bouches-du-Rhône à 1 964 000 francs1654. A Avignon, le projet d'assainissement, qui avait fait l'objet d'un concours avant 1914, est au point mort, comme l'écrit le maire d'Avignon à son collègue de Clermont-Ferrand : « En ce moment-ci, les prix des travaux sont tellement élevés que leur exécution dépasse les ressources financières de la ville et la question de l'assainissement est forcément renvoyée à des temps meilleurs »1655. L'exécution des projets conçus avant 1914 n'est envisagée parfois qu'à la fin de la décennie 1920, comme dans la petite bourgade de Vidauban, 2500 habitants (Var), qui reprend un projet d'assainissement de 1913. Pour le rapporteur du Conseil supérieur d'hygiène,

‘« la seule modification qu’il présente après ces seize années c’est une augmentation extrêmement instructive du prix. Pour la construction du réseau d’égouts proprement dit était prévue en 1913 la somme de 121 500 francs et en 1929 celle de 700 000 francs. Pour l’usine d’épuration, on prévoyait 47 500 francs en 1913 et 320 000 francs en 1929. Donc pour l’ensemble des travaux 1 020 000 francs au lieu de 169 000 francs ; il est regrettable que le projet n’ait pas été exécuté en 1913, car même en comptant le franc d’alors comme 5 francs actuels, la dépense n’aurait atteint que 845 000 francs. Nous ne pouvons nous désintéresser de cette augmentation considérable du coût des travaux d’assainissement : nous comprenons que les communes hésitent à s’engager dans des entreprises même quand elles ont un caractère indispensable. » 1656

C'est donc un redémarrage timide et inégal, selon les domaines d'intervention, qui s'opère dans la première moitié des années 1920. L'épuration des eaux résiduaires n'est clairement pas une priorité, souligne F. Dienert en 1924 : « Si on examine les projets futurs ou en construction, on constate qu’une ville est en train, actuellement, de poursuivre la construction de son usine d’épuration. Dans 6 autres villes, des projets ont été établis, mais les municipalités attendent des jours meilleurs pour les réaliser. Enfin, dans 11 communes, des projets sont à l’étude et on ne sait encore quand ils verront le jour »1657. Durant les années qui suivent, les fluctuations du franc n'arrangent pas les affaires des constructeurs (municipalités ou sociétés privées), qui doivent faire face au dépassement systématique des budgets prévus quelques mois ou années en amont. La SEPIA reproche ainsi à la municipalité de Toulon de lui avoir demandé d'effectuer des modifications à l'usine d'incinération, et de lui avoir fait subir « tout le préjudice des hausses survenues à cette époque dans les prix et dans les salaires et dont la variation du cours du franc passé de : Livre = 102 frs (août 1925) à Livre = 145 frs (mars 1926) mesure l'importance. »1658

Notes
1651.

AM Romans, 1O 100, lettre de l’ingénieur conseil François Daydé au maire de Romans, 13 octobre 1920 : « Depuis la fin de la guerre les prix pratiqués pour les tuyaux en fonte en ont rendu l’emploi absolument prohibitif et je n’ai pas pu vous commander et vous conseiller de reprendre ces travaux ».

1652.

TSM, juin 1921, allocution de M. Dabat à l'assemblée générale de l'AGHTM du 15 juin 1921, p. 122-126.

1653.

AM Lyon, 923 WP 236, correspondance de l'ingénieur en chef (notamment avec la société de Dion-Bouton), 1919-1920. AM Rouen, 1I 17, délibération du conseil municipal, séance du 14 décembre 1921.

1654.

AM Aix-en-Provence, I6 69, traité du 16 juillet 1920 et arbitrage du 14 janvier 1921.

1655.

AM Clermont-Ferrand, 2O 2/16, lettre du maire d'Avignon 2 septembre 1920. AM Avignon, 5J 5.

1656.

CSHP 1929, p. 586-587.

1657.

F. Diénert, « Épuration des eaux d’égout en France. État actuel de la question », RHPS, novembre 1924,
p. 1096.

1658.

AM Toulon, 1O 9, lettre de la SEPIA au maire de Toulon, 5 avril 1929.