Chapitre VIII
La diffusion des innovations de technique sanitaire au sein du réseau urbain français

‘« Avant la guerre, l'autonomie communale, en matière d'équipement, était assez largement assurée. […]
Aucune autorité n'avait pouvoir d'ordonner, par exemple, à une commune de renoncer à l'édification d'un stade pour réaliser à sa place l'extension de sa distribution d'eau potable. […]
C'est ce qui explique que l'équipement des collectivités locales se présentait à l'ordinaire dans des conditions fort différentes et inégales, selon la personnalité, l'esprit d'initiative, les conceptions, le plus ou moins grand dynamisme des élus locaux. » 1733

Après avoir étudié les processus décisionnels en suivant une dynamique longitudinale, et maintenant que le cadre chronologique et événementiel commun aux différentes villes étudiées a été retracé, il est possible de repartir des documents produits par les services techniques des municipalités pour reconstituer le cheminement des technologies sanitaires, de la Belle Époque à l'aube des Trente Glorieuses. Il s'agira ici de s'interroger sur les logiques de la diffusion d'innovations urbaines au sein du territoire français, avec les réserves nécessaires à l'égard des sources utilisées1734, en se demandant s'il y a d'autres explications que la simple « personnalité » des élus comme le laissait à penser l'observation d'un contemporain citée en ouverture de ce chapitre.

Cette diffusion peut être interprétée de différentes manières. Elle peut correspondre à un phénomène d'imitation de pratiques qui deviennent de plus en plus répandues parmi les agglomérations : dans ce cas, il faut se demander ce que signifie le fait d'être une ville modèle pour une autre (avec le cas de Paris) et quelles sont les localités « phares », guidant la décision des édiles. Ceux-ci s'inspirent-ils avant tout des expériences de villes de même taille, ou de même profil socio-économique ? La diffusion peut aussi s'inscrire dans une dynamique de concurrence entre villes, l'innovation étant portée par la volonté d'offrir un environnement plus « hygiénique » que les rivales, ou du moins le souci de ne pas être stigmatisé par des « retards  en la matière. Mais on verra que des conditions géographiques locales et des problèmes environnementaux spécifiques ont entraîné ici et là la mise en œuvre de réponses techniques adaptées.

La recherche doit également étudier comment se construit le statut de ville avant-gardiste, de référence dans un domaine. Pour cela, on peut reconstituer une géographie de l'innovation : nous disposons de cartes ou de listes de références établies par les entreprises elles-mêmes, qui peuvent être vérifiées en les confrontant aux articles publiés dans les revues techniques ou aux grands ouvrages de synthèse. Un chercheur seul ne pouvant ensuite se rendre dans toutes les villes citées dans ces documents, il a fallu faire des choix. On a décidé de chercher à remonter « à la source », en étudiant les villes pionnières, en privilégiant celles qui se sont trouvées en position d'innovatrices avant 1914 et en supposant que les phénomènes de diffusion de l'innovation seraient semblables pour le reste de la période. Très vite est apparu le fait que cette géographie de l'innovation en ingénierie sanitaire était particulière, le poids de Paris méritant d'être précisément mesuré, et cela sans schéma préconçu.

Notes
1733.

« L'Équipement des collectivités locales », Urbanisme, n°114, avril 1947, p. 72.

1734.

On ne doit pas oublier qu'à certains moments, des villes peuvent être « en dehors » des circuits de circulation de l'information sur les innovations édilitaires, et/ou qu'elles réalisent leurs équipements quasiment par elles-mêmes, ce qui fait rester leurs expériences dans l'ombre : cas des usines d'incinération de Villeurbanne (1911) et de Lille (1922), qui ne sont jamais citées dans les documents contemporains sur le sujet.