Durant la Belle Époque, la France occupe un rang majeur sur la scène des Congrès internationaux d’hygiène et des grandes expositions. C'est le pays de Pasteur, il est donc important de s'y rendre et d'y exposer ses innovations et recherches. Ainsi, l'Exposition d'hygiène de Dijon (1893) accueille des documents sur le service d'assainissement de Varsovie2081. Cependant, les villes françaises – à l'exception de Paris – ne semblent pas vraiment attirer les visiteurs ; le flux des voyages, des correspondances, semble davantage se diriger vers l'extérieur2082, ce qui indique que l'innovation est plutôt à l'œuvre à l'étranger. Un premier indice : l'internationalisation des Congrès de l’AGHTM. Certes, l'Association des Hygiénistes municipaux est internationale dès sa création, portée sur les fonds baptismaux par des ingénieurs de quatre pays francophones (essentiellement par le couple formé par Victor Van Lint à Bruxelles et Édouard Imbeaux à Nancy). Mais très vite, les Congrès se « délocalisent » dans des villes non francophones : Dresde en 1911, Londres en 1912, Milan et Turin en 1913.
Quant aux Français qui fréquentent leurs collègues étrangers, ils sont conscients d’un défaut national qui consiste à ignorer ce que font leurs voisins (et de manière générale, les autres peuples « civilisés » comme les États-Unis et le Canada2083) :
‘« Nous croyons généralement, en France, et c’est là une de nos faiblesses, que nous avons le monopole des études sociales, que nous seuls pensons aux déshérités de ce monde, que nous seuls cherchons les moyens de leur venir en aide. Quand un de nos compatriotes assiste et participe à ces grandes assises internationales qui se tiennent périodiquement dans les capitales d’Europe et où s’agitent les grandes questions d’hygiène publique, il lui faut bientôt reconnaître que toutes les nations sont travaillées par les mêmes aspirations et que, partout, on cherche la solution du plus intéressant des problèmes. » 2084 ’Le reproche de « nombrilisme » peut toutefois être relativisé : les ingénieurs qui discutent la question du tout-à-l'égout en province sont informés de ce que réalisent non seulement les techniciens parisiens, mais également leurs collègues de villes étrangères2085. En Angleterre, « un des pays où l’hygiène est le plus en honneur »2086, les hygiénistes sont également attentifs à l’échange : ainsi en 1894, le Sanitary Institute invite le conseil municipal de Paris à son Congrès d’hygiène organisé à Londres ; trois conseillers parisiens et un architecte membre de la Commission des logements insalubres forment la délégation envoyée en réponse à l’invitation2087. Les ingénieurs sanitaires britanniques se rendent six ans plus tard à Paris pour tenir leur congrès sur le Continent, à l’occasion de l’Exposition universelle2088. Mais ce congrès a-t-il pour but d'examiner les réalisations parisiennes ou plutôt les techniques allemandes et américaines réunies pour l'occasion à Paris ? Cette manifestation fait l'objet d'un état des lieux du savoir technique en matière d'eau potable, d'assainissement et de propreté de la voirie, confié à Édouard Imbeaux2089. Dans son compte rendu fleuve (plus de neuf cents pages), les expériences françaises tiennent bien moins de place que leurs homologues anglaises, allemandes et états-uniennes. Il semble bien qu'entre France et Angleterre, les échanges d'ingénierie sanitaire ne soient pas symétriques.
Le Génie sanitaire, juillet 1893.
Voir supra, chapitre IV, paragraphe C.
Défaut relevé également par les observateurs étrangers en France : Pierre Guillaume, « Les étonnements d'un Canadien français dans la France de la Belle Époque », dans Pierre Guillaume et Laurier Turgeon (dir.), Regards croisés sur le Canada et la France. Voyages et relations du XVIe au XXe siècle, Paris, CTHS/Presses de l'Université Laval, 2007, p. 351.
Ambroise Rendu, « Le Congrès d’hygiène de Madrid », RM, 30 avril 1898, p. 417.
Parmi les brochures et ouvrages qui manifestent cette culture technique nationale et internationale en matière d’assainissement : De l’assainissement intérieur et extérieur des villes et de l’épuration des eaux d’égout, par P. Pignant, ingénieur des Arts et Manufactures, Dijon, imprimerie Aubry, décembre 1884 (consulté aux A.D. Côte d’Or) ou Ville de Montluçon. Projet d’assainissement général dressé par M. Dupin, ingénieur des Ponts et Chaussées, Montluçon, imprimerie Midon, 1902 (AM Montluçon, 2O 1/10).
BAVP, 3329, La question des gadoues en Angleterre, rapport de mission, Paris, imprimerie municipale, 1894. Expression de M. Petsche, p. 7.
BAVP, 6251,Rapport sur le congrès d’hygiène de Londres en 1894, présenté par Georges Morin-Goustiaux, Paris, Imprimerie municipale, 1895.
E. Vallin, « Le Congrès du Sanitary Institute à Paris », RHPS, septembre 1900, p. 861-863.
Édouard Imbeaux,L'alimentation en eau et l'assainissement des villes, Paris, Bernard, 1901, 960 p. (2 vol).