C/ L’amélioration de l'environnement urbain français : retard ou spécificités ?

‘« Le grand Pays qui a vu naître Pasteur doit se mettre à l'œuvre pour améliorer les conditions sanitaires de tout son territoire. […] N'est-il pas honteux de songer que les principes et les idées inventées par le génie de nos savants ou de nos jurisconsultes reçoivent la première application pratique à l'Étranger ? »2228

La circulation des documents, des hommes, des expériences, a bien montré qu'on peut « imaginer d'autres manières que le comparatisme d'échapper aux contraintes d'une historiographie nationale », comparatisme qui fige ses objets et risque « d'ignorer un tissu de relations réelles »2229. Une partie des documents étudiés témoignent des interactions entre des cultures techniques diverses, au sein d'un espace international de l'ingénierie sanitaire, que ce soit lors du démarchage des villes françaises par des sociétés et ingénieurs étrangers, ou au cours des missions envoyées au-delà des frontières de l'Hexagone pour observer le fonctionnement des innovations techniques et administratives qui améliorent le cadre urbain. Comme les idées philosophiques, les techniques de l'hygiène urbaine font l'objet de processus de transferts inter-culturels où la référence à l'expérience étrangère répond à des fonctions de légitimation ou de subversion2230.

Parmi les témoignages relatant ces échanges entre techniciens et élus municipaux, les rapports consécutifs aux voyages d'études, apparaissent deux thématiques principales : d'une part, l'idée, souvent argumentée, d'un « retard »2231 français, évalué à l'aune des expériences techniques étrangères et du taux d'adoption des innovations techniques, et non plus seulement des statistiques démographiques. De l'autre, la spécificité culturelle ou nationale de certaines manières d'organiser la salubrité urbaine, tant sur le plan technique que sur celui de sa gestion administrative. Ce thème, dégagé par les acteurs de l'époque, rejoint l'idée de François Caron, pour qui au XIXe siècle « chaque pays avait donné à des problèmes identiques (mais jamais tout à fait semblables) des réponses différentes. Cette différenciation était en partie volontaire mais aussi liée à des environnements différents »2232. Des travaux récents sur les services urbains ou les innovations s'appuient également sur la recherche de facteurs de différenciation entre les pays2233.

Notes
2228.

AM Aix-en-Provence, registre des procès-verbaux des séances du conseil municipal, 29 décembre 1909.

2229.

Michel Espagne, « Sur les limites du comparatisme en histoire culturelle », Genèses, 17, 1994, p. 112 et 116.

2230.

Michel Espagne et Michaël Werner, « La construction d'une référence allemande en France 1750-1914. Genèse et histoire culturelle », Annales ESC, n°4, 1987, p. 969-992.

2231.

Exemple d'emploi du terme : F. Dienert, « Épuration des eaux d’égout en France. État actuel de la question », Revue d'hygiène, novembre 1924, p. 1097. Reprise du mot dans une critique de l'article précédent : B. Bezault, « L’épuration des eaux d’égouts en France depuis 25 ans », TSM, mai 1925, p. 134.

2232.

François Caron, « Histoire technique et histoire économique », Histoire, Économie et Société, vol. 2/1 (1983), p. 12.

2233.

Dominique Lorrain, Les processus d'innovation technologique dans la gestion urbaine, op. cit. Casper, Steven et Van Waarden, Frans, Innovation and Institutions. A Multidisciplinary Review of the Study of Innovation Systems, Cheltenham, Edward Elgar, 2005.