Ils consistent à reproduire, en plus grand, l'expérience observée de l'épuration de l'eau par les sols sableux, où des bactéries détruisent les microbes contenus dans le liquide. La filtration peut être conduite de deux manières : dans la plupart des procédés commerciaux de la Belle Époque, le sable est posé au fond de bassins dans lesquels on fait passer l'eau ; une autre technique apparaît, consistant à ne pas submerger le sable.
La filtration « classique » est améliorée par Armand Puech et Henri Chabal. Puech, industriel tarnais, imagine un « dégrossisseur » consistant à faire passer l'eau dans des bassins contenant des sables de plus en plus fins. Tout comme une décantation préalable, pratiquée ailleurs, cela permet d'obtenir une eau moins chargée en matière organique à l'entrée des filtres proprement dit, et d'allonger la période durant laquelle ils peuvent fonctionner : la membrane biologique sature moins vite.
Vers 1910, la filtration sur sable submergé subit de plus en plus d'attaques, non seulement d'ingénieurs proposant des méthodes concurrentes, qui vont être présentées ci-dessous, mais également d'hygiénistes influents. Ainsi, dans un article de la Revue d'hygiène, Edmond Bonjean, chef du laboratoire du Conseil supérieur d'hygiène publique, affirme que les filtres sur sable submergé « ne peuvent arrêter d’une façon absolue la fièvre typhoïde d’origine hydrique et à plus forte raison, le choléra ; ils n’ont pas préservé les villes de Russie alimentées par des eaux de rivière filtrées, notamment à Saint-Pétersbourg, contre les dernières épidémies de choléra »2283. Puech et Chabal innovent cependant, en proposant des systèmes de nettoyage rapide de leurs filtres par air comprimé, et restent compétitifs au moins jusque dans l'entre-deux-guerres (installation filtrante pour Toulouse), même s'ils doivent parfois employer des procédés au sulfate d'alumine, comme certains de leurs concurrents (voir plus bas)2284.
La filtration au sable non submergé
Une autre technique de filtration voit le jour vers 1904-1905, grâce aux travaux de deux scientifiques parisiens : le docteur Miquel, chef du service micrographique de l'observatoire municipal de Paris, à Montsouris, et son assistant, Mouchet. Ils reprennent, à une échelle expérimentale (le filtre établi en 1904 fait 20 mètres carrés de surface), un principe observé dans la nature : « C'est par filtration sur sable non submergé que la plupart des nappes d'eau souterraines sont formées par les pluies, et tout le monde sait que dans les formations géologiques sableuses les sources exutoires de ces nappes, donnent une eau dont la composition bactériologique les a fait classer parmi les sources d'eau pure, toute contamination locale mise à part »2287. Dès l'année suivante, l'ingénieur Louis Baudet, maire de Châteaudun, fait installer dans sa petite ville un filtre de ce système2288.
Pour les ingénieurs et bactériologistes qui étudient cette invention, le filtre à sable non submergé présente de nombreux avantages. Grâce à lui, plus besoin de périodes d'arrêt de la filtration pour cause de nettoyage de la fameuse membrane biologique. De plus, ils ne laissent pas passer les bactéries que l'eau soumise à la filtration peut contenir : la stagnation de l'eau dans les filtres à sable submergé, le contact avec une membrane où se développent des micro-organismes, rendent en effet possible une « auto-contamination » de ces dispositifs. Bien sûr, « le mode idéal serait de pouvoir réaliser une véritable pluie réglée de telle sorte que, le débit et la perméabilité du filtre étant supérieures, il n’y ait jamais d’excès d’eau à la surface du sable » ; mais en tout cas, avec les filtres de Miquel et Mouchet, « on obtient ainsi un débit d’eau filtrée égal à celui que donne un bassin à sable noyé sous un mètre d’eau en tous ses points »2289.
Le dernier atout de la méthode est de taille : l'invention n'est pas brevetée. Elle fait l'objet d'études et de promotions de la part de savants-fonctionnaires. C'est sans doute pour cela qu'elle a du mal à percer, dans un marché dominé par des firmes aux méthodes de communication agressives, même si elle trouve également des défenseurs parmi de petits bureaux d'ingénierie-conseil ou des firmes non spécialistes de l'eau potable2290. Elle se répand ensuite à partir des années 1910, utilisée par exemple pour clarifier les eaux avant de leur faire subir un traitement par l'ozone.
« Les eaux d’alimentation publique : choix des eaux d’alimentation publique », RHPS, octobre 1910, p. 1075.
AD Manche, 1012 W 147, rapport de l’ingénieur de la société C. Chabal & Cie, 8 octobre 1948.
AD Tarn, 2O 65/35. Je remercie Jean-François Malange de m'avoir procuré ce cliché.
AM Annonay, 6O 1.
Félix Marboutin, « Les nouveaux filtres à sable non submergé système de MM. le docteur P. Miquel et Mouchet », Mémoires et compte rendu des travaux de la Société des ingénieurs civils de France, vol. 92, 1909, 1er semestre, Paris, Société des ingénieurs civils, 1909, p. 265.
AD Eure-et-Loire, 2O 842, lettre du maire de Châteaudun reçue à la préfecture le 14 février 1906.
AD Vaucluse, 2O 54/15, brochure « Ville de Châteaudun. Expériences sur un filtre à sable non submergé » (tiré à parti d'un rapport de G. Dimitri au Conseil supérieur d'hygiène sur les expériences effectuées sur un filtre d’essai à Châteaudun).
AM Avignon, 3N 18, lettre du Bureau technique d'hygiène au maire d'Avignon, 27 novembre 1909 et lettre de la Société anonyme d'assainissement des Eaux, 24 septembre 1910.