Les progrès de la chimie et de la physique, à la Belle Epoque, nourrissent l'imagination de certains inventeurs : la stérilisation des liquides fait partie des applications pressenties. Le procédé physique le plus efficace, de l'avis unanime des savants, est l'ébullition, difficilement applicable aux grandes masses d'eau. Suite au concours de Marseille, la filtration simple semble reconnue insuffisante, tandis que « les procédés de purification par l'ozone ou par les rayons ultra-violets ont fourni des résultats constamment favorables »2296.
La principale méthode est mise au point successivement en Hollande et en Allemagne (par le néerlandais Tyndal et par la firme Siemens et Halske), d'une part, puis en France ; elle consiste à stériliser l'eau par l'ozone. Le savant Marius-Paul Otto, après une thèse de sciences physiques sur l'ozone, devient le principal artisan de son développement en France, alors qu'elle reste étrangère, en grande partie, au champ d'intérêt des ingénieurs britanniques et américains. Dès 1899, il fait fonctionner une usine expérimentale à Auteuil, et conçoit des projets pour épurer les eaux de sa ville natale, Nice2297. La stérilisation, appelée « ozonisation » (parfois « ozonation » ou « ozonification »), consiste à mettre en contact l'eau avec de l'air électrisé, qui produit de l'ozone (O3).
Alors que l'ozone a déjà acquis ses lettres de noblesse (premier prix au concours de la ville de Paris, marchés à Nice, Chartres, etc.), vers 1909 apparaît une autre méthode, d'abord proposée à l'Académie des Sciences par l'hygiéniste lyonnais Jules Courmont, avec l'aide de ses collègues de la Faculté de Médecine de Lyon. Il s'agit de la stérilisation par les rayons ultra-violets. Pour cela, on utilise une lampe en quartz à vapeur de mercure, forte productrice de ce rayonnement microbicide2298. Deux méthodes sont possibles : soit la lampe est complètement immergée dans l’eau, chaque radiation qu’elle produit se trouvant naturellement absorbée par les milieux environnants ; soit la lampe est placée à proximité immédiate de l’eau à stériliser, mais brûle à l’air libre sans être immergée. Pour les collègues parisiens de Courmont, Helbronner et von Recklingshausen, travaillant à la Sorbonne, la première semble la plus séduisante par sa simplicité, mais elle a de graves inconvénients : l’eau refroidit la lampe qui brûle à une température moins élevée et émet moins de radiations. Ils préfèrent mettre au point des appareils où l’eau, tout en passant le plus près possible de la source de rayons ultra-violets et en étant agitée pour soumettre chaque particule d'eau à l'action de la lumière, se trouve néanmoins séparée de celle-ci par une couche d’air. En 1912, selon eux, deux applications existent en France, à Maromme-les-Rouen (500 m3 par jour) et à L'Isle-sur-la-Sorgue, après filtration préalable par le système Puech-Chabal ; ensuite, le même procédé est proposé à Carmaux et à Saint-Malo – sans recueillir l'aval du CSHP pour cette dernière ville2299. Un tel procédé semble avoir fonctionné à Lunéville, sans que nous ayons plus de renseignements à ce sujet, et avoir été appliqué pour des installations militaires2300. Le vrai problème de ce système, qui attira la convoitise de diverses sociétés avant 1914, était de disposer d'une eau limpide, et donc de nécessiter la filtration préalable ; ajoutons à cela une consommation non négligeable d'électricité – qui existait aussi dans le cas de l'ozone. L'un des inventeurs de la stérilisation par l'ozone, Louis Marmier, résumait ainsi la question :
‘« Les dépenses d'installation semblent devoir être moindres pour les procédés aux rayons ultra-violets que pour les procédés à l'ozone. Mais on doit tenir compte du fait que la société exploitant les brevets de stérilisateurs par l'ultra-violet demandera une redevance à ceux qui utiliseront ce procédé […]Les principaux procédés pour rentre les eaux potables sont donc découverts avant 1914 ; certains disparaissent rapidement (le ferrochlore, les rayons ultra-violets), d'autres nécessitent un complément : la firme Puech-Chabal base son argumentation dans les années 1900 sur l'aspect « naturel » de son procédé, mais doit recourir aux hypochlorites dans les années 1920. Le chlore continue d'avoir mauvaise presse auprès du grand public et il serait intéressant de chercher plus de témoignages sur la perception de l'eau « du robinet » par le grand public, alors que d'autres boissons la concurrençaient (eau en bouteille pour les élites, vin pour les milieux populaires).
TSM, juin 1912, p. 149.
L’épuration des eaux de Nice par l’ozone. Mémoire présenté au conseil municipal en réponse aux observations de M. Balestre, docteur en médecine, par M. Marius Otto, docteur ès sciences, ingénieur-directeur des services techniques de la Compagnie française de l’ozone, avril 1903, Nice, typographie et lithographie Malvano, 1903.
J. Courmont, « Les rayons ultra-violets, leur pouvoir bactéricide, application à la stérilisation des liquides et notamment de l’eau », RHPS, juin 1910, p. 578-596.
« Résultats obtenus jusqu’à ce jour dans l’application des rayons ultra-violets », RHPS, décembre 1912, p. 1446-1453. AD Tarn, 2O 65/35. Eau et hygiène, avril 1912, p. 47. CSHP 1914, p. 699-705.
J. Tanton, « La stérilisation de l'eau de boisson en campagne par les rayons ultra-violets », RHPS, janvier 1913, p. 1-11. L'auteur fait référence au camp d'Oudjda, en Algérie, où la filtration sur sable non submergé était pratiquée avant 1909 (Félix Marboutin, « Les nouveaux filtres à sable non submergé système de MM. le docteur P. Miquel et Mouchet », art. cité, p. 311).
L. Marmier, « L'ozone ou l'ultra-violet comme agent de stérilisation des eaux potables », RHPS, janvier 1913, p. 34.