IV/ La « Sanitation universelle »2325

« La Sanitation universelle. Cette phrase semble chimérique, absurde, irréelle. Il y a quelques années, elle aurait été considérée comme parfaitement impossible à réaliser. Mais dans les cinq dernières années, de grandes choses ont été accomplies, et elles préparent des événements plus grands encore. Déjà, les hommes de science s’aperçoivent que la sanitation universelle n’est pas une utopie. Les hommes d’état et les hommes d’affaires la considèrent comme une nécessité. Malgré les guerres, malgré les luttes commerciales, malgré les frontières politiques, les différences de race et de langue, de religions et de mœurs, il y aura toujours un but commun entre les hommes : le désir de vaincre la maladie. A la base de notre optimisme au sujet de la sanitation dans le monde entier, se trouve la conviction que la race humaine apprend enfin comment l’on peut enrayer les maladies contagieuses par un effort en commun, par l’entr’aide. Ceci est vrai aussi bien entre les nations qu’entre les individus. [...]

‘Les villes industrielles dans beaucoup de pays ont été bâties rapidement et d’une manière défectueuse en ce qui concerne l’ouvrier. L’agglomération, la mauvaise sanitation, le manque d’isolement nécessaire, d’espaces pour permettre aux enfants, aux adultes et aux vieillards d’avoir une vie heureuse et normale, tout cela a contribué pour une grande part à la décadence sociale. [...]
Le perfectionnement des moyens de communication a rapproché les villes et les pays, et a facilité ainsi la transmission des épidémies d’une partie du monde à l’autre. [...]L’étude des épidémies dans le passé et dans le présent démontre suffisamment le trajet toujours plus rapide des maladies. La grande épidémie de grippe de 1918 est peut-être l’exemple le plus frappant de tous les temps à l’appui du dire que le monde est lié par des chaînes bactériologiques.
C’est l’application des sciences biologiques à la médecine préventive et au travail de l’ingénieur civil qui a fait le plus grand bien à la santé de l’humanité […]
Le mot sanitation mérite d’être expliqué. Il dérive d’un mot latin, sanitas, qui veut dire, santé. Lorsque nous songeons à tout ce qu’ont fait les Romains pour la santé publique, aux aqueducs et aux égouts, aux bains publics qu’ils ont fait construire, il est bien naturel que nous nous servions du mot sanitation pour toutes les questions d’environnement qui ont rapport à la santé humaine. Le mot hygiène vient du terme grec qui signifie santé. Si nous rappelons tout ce que les Grecs ont fait pour la santé, et l’importance qu’ils ont donnée à la beauté plastique et aux prouesses individuelles, nous ne serons pas surpris que l’on associe le mot hygiène aux habitudes personnelles qui se rapportent à la santé. Mais l’homme ne saurait être séparé de son entourage, et de même l’hygiène et la sanitation ne sauraient être séparées. Elles ont en commun une science : celle de la santé. Mais il y a là deux arts : celui du médecin, qui s’occupe des êtres humains, et qui comprend de nos jours la médecine préventive, et celui de l’ingénieur sanitaire, qui a trait à l’alimentation en eau des villes et des villages, à l’assainissement des eaux d’égout, à la plomberie et à la ventilation, au drainage des marais et au logement, ainsi que la mise en pratique et le coût de ces installations. L’entente toujours croissante entre ces deux grandes professions, la médecine et le génie sanitaire, est du meilleur augure pour le progrès des mesures sanitaires. « Mon collègue, le médecin », dit l’ingénieur civil ; et « Mon collègue, l’ingénieur sanitaire », dit le médecin, car tous deux travaillent de concert pour la santé de l’espèce humaine. C’est là, l’esprit de la Croix-Rouge que la Ligue désire encourager.
Dans certains pays, l’expression « ingénieur sanitaire » désigne les plombiers eux-mêmes, les personnes qui s’engagent par contrat à faire l’installation des eaux et des égouts, du drainage et de la ventilation dans les bâtiments. Ceci représente sans doute une partie essentielle de la sanitation, mais auprès des grands problèmes vitaux, cette conception strictement commerciale du terme devrait faire place à la conception plus vaste de l’œuvre de l’ingénieur sanitaire, en tant qu’application des sciences du génie civil au besoin qu’ont les hommes d’un entourage propre et sain.
Avant nos théories actuelles sur la transmission de la maladie, on considérait la saleté par elle-même comme un facteur dangereux ; mais le problème de la propreté change de face depuis que l’on connaît que certaines maladies sont produites par des micro-organismes spécifiques, qui sont non seulement vivants, mais qui ont leur histoire particulière, et leurs modes spéciaux de transmission d’une personne à l’autre. Les efforts des ingénieurs sanitaires sont mieux canalisés, et dirigés vers la recherche des organismes pathogènes, au lieu d’être limités à la malpropreté habituelle. La sanitation moderne se rapporte donc non seulement à la propreté générale dans les villes ou dans les maisons d’habitation, mais encore à l’épuration de l’eau dans le but d’éviter le choléra, la fièvre typhoïde et la dysenterie ; elle se rapporte encore à la protection des bâtiments contre les rats, afin d’éviter la peste bubonique ; à l’installation des égouts et à l’assainissement des eaux d’égouts, à la plomberie ; à l’éloignement et le traitement des ordures et à l’assainissement de l’atmosphère. Elle comprend encore l’éclairage et la ventilation des fabriques et des mines, la conservation et la manipulation des aliments, la surveillance du lait et des crustacés. Ces questions sont trop connues de nos jours pour nécessiter une explication plus détaillée. Il nous suffira d’affirmer que la sanitation dans son sens le plus large comprend la propreté et la sûreté de l’environnement de l’homme. »’

Ce texte de 1920 est la première traduction en français du terme anglais « environment » que nous ayons trouvée. Florian Charvolin attribuait au géographe Vidal de la Blache la paternité de la traduction, vers 1921-19222326. Un traducteur anonyme aurait donc précédé le savant français...

Notes
2325.

George Whipple, « La sanitation universelle : une possibilité du vingtième siècle » », Revue internationale d'hygiène publique, n°1, 1920, p. 36-39. L'auteur est un ingénieur sanitaire américain, chef des services de la salubrité publique à l'Office Médical Général de la Ligue de la Croix-Rouge, à Genève.

2326.

Florian Charvolin, « L'environnementalisation et ses empreintes sémantiques en France au cours du XXe siècle », Annales des Mines. Série Responsabilité & Environnement, n°46, avril 2007, p. 7-16.