L’hygiène internationale : les ancêtres de l’OMS.

‘« […] l'âme française, par son harmonieux équilibre de sensibilité et de raison, est la plus humaine ; elle saura concilier la médecine individualiste traditionnelle avec les nouveaux devoirs sociaux de l'hygiène collective et internationale. » 2398

Les associations de techniciens, créées « par le bas », en dehors des gouvernements, comme l’AGHTM, furent des organismes précurseurs de la coopération transnationale en matière d’hygiène, avant d'être rejointes par des organismes internationaux dont l'existence était redevable aux États eux-mêmes2399 : le premier en date est l’Office international d’hygiène publique (OIHP), créé à Paris par l’arrangement international du 9 décembre 1907, après des tentatives avortées en 1874 et 19032400. Il compte 12 membres fondateurs et plus d'une trentaine moins de 10 ans plus tard2401. L'OIHP répond au désir de centraliser tous les renseignements concernant les maladies épidémiques, dans un contexte d'expansion impérialiste européenne et de hantise du retour de grandes épidémies cholériques sur le Vieux Continent. Son rôle est limité au recueil et à la diffusion de l'information, pour éviter toute recommandation pouvant s'apparenter à de l'ingérence dans l'administration des États. D'ailleurs, l'Office, qui n'emploie qu'une dizaine de personnes, dont deux ou trois seulement sont « qualifiées », est placé sous le contrôle d’un Comité international composé de représentants techniques désignés par les États participants, qui nomme le directeur et le secrétaire général2402. Son bulletin est cependant régulièrement lu et analysé par d'autres revues, et permet aux spécialistes de faire le point sur les recherches en cours, en matière de génie sanitaire comme dans d'autres domaines de l'hygiène, dans le monde entier.

L’entre-deux-guerres est marqué par l’action de l'Organisation d’hygiène de la Société des Nations, instituée après les bons résultats d'une Commission des Épidémies, qui lutta en 1919 contre le choléra et le typhus exanthématique, particulièrement en Europe centrale2403. Une de ses missions fut de faciliter la formation du personnel sanitaire : voyages d’études dans divers pays2404, cours internationaux d'hygiène dispensés à la faculté de médecine de Paris2405. Elle mène également des enquêtes qui permettent d’établir des comparaisons entre pays, comme sur la fièvre typhoïde2406. Selon un de ses membres, elle poursuit l’objectif de « la coordination de recherches, menées selon un plan commun, par des spécialistes des divers pays ou la collaboration des services sanitaires nationaux. Cette coordination s’opère au sein de commissions spécialisées, temporaires ou permanentes, suivant le cas, en conférences gouvernementales, en de petits groupes d’experts »2407.

En 1924, les responsables de l'Organisation d'hygiène de la SDN sont contactés par un émigré russe (un certain Rashkovitch) résidant en Angleterre, désireux de fonder un Institut International du Génie Sanitaire. Il semble avoir lancé les premiers éléments de son projet l'année suivante, mais le destin de son idée nous est inconnu. Ensuite, dans les années 1930, l'hygiène s'élargit à divers domaines de la vie sociale et quotidienne : alimentation, logement, et concerne beaucoup le monde des campagnes (Conférence internationale d'hygiène rurale tenue à Genève en 1931).

L'œuvre de l'Office international d'hygiène publique et du Comité d'hygiène de la SDN fut poursuivie par l'Organisation Mondiale de la Santé, qui tint sa première assemblée à Genève en 1948, mais décida de rester indépendante de l'ONU, pour éviter le sort de ses prédécesseurs2408. Il est remarquable que si le terme anglais « Health » ne varie pas d'une organisation à l'autre, la dénomination française remplace « hygiène » par santé, marquant symboliquement le déclin de l'hygiène publique à vocation universelle, telle qu'elle s'était construite à partir de la fin du XIXe siècle.

Notes
2398.

A. Rochaix, Le Mouvement Sanitaire, janvier 1932, p. 38.

2399.

Voir Dr Ichok, Hygiène, médecine et assistance sociales, Éditions de l’imprimerie de Clairvivre (Dordogne), 1939, chapitre 17, p. 239-243. Pour un exemple d’étude sur ces institutions, on dispose des articles de Lion Murard et Patrick Zylberman, « L’organisation d’hygiène de la Société des Nations. Coopération internationale et stratégies nationales dans le domaine de la santé publique dans l’Entre-deux-guerres » et « Genève et la rationalisation des outils intellectuels de la coopération sanitaire (1935-1939) », dans L’administration sanitaire en France dans l’entre-deux-guerres. Le ministère de l’hygiène : création et action, CERMES, Convention MIRE-INSERM, 1996.

2400.

Dr Paul Faivre, « L’Office international d’hygiène publique », RHPS, novembre 1908, p. 929.

2401.

En 1916, les pays participant à l’Office sont : Argentine, Belgique, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Chili, Danemark, Égypte, Espagne, États-Unis, France, Algérie, Colonie française de l’Indochine, Grande-Bretagne, Indes britanniques, Australie, Canada, Italie, Mexique, Monaco, Norvège, Pays-Bas, Pérou, Perse, Portugal, Russie, Serbie, Suède, Suisse, Tunisie, Turquie, Uruguay.

2402.

Dr Paul Faivre, « L’Office international d’hygiène publique », op. cit., p. 934-937.

2403.

TSM, février 1925, p. 35.

2404.

Ceux-ci sont d'ailleurs fortement subventionnés par la fondation Rockefeller jusqu'en 1924 (Ibid.). Un voyage consacré au génie sanitaire est organisé en Angleterre en 1926 (archives de la SDN, C.H./E.P.S. 112, « Échange d’ingénieurs sanitaires en Grande-Bretagne, voyage d’étude entrepris sous les auspices de l’organisation d’hygiène de la SDN (21 juin – 20 juillet 1926) ».

2405.

Archives de la SDN, carton 985.

2406.

Jean-Luc Pinol,Histoire de l’Europe urbaine, tome II, p. 94-96.

2407.

Cité par Dr Ichok, Hygiène, médecine et assistance sociales, op. cit., p. 241.

2408.

Milton Roemer, « Internationalism in Medecine and Public Health », dans Dorothy Porter (éd.), The History of Public Health and the Modern State, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1994, p. 403-423.