Construction thématique et mise en perspective chronologique

Concernant la périodisation de notre travail d’enquête, celui-ci débute principalement au tournant des années dix. L’enquête sur les mondes automobiles remonte jusqu’au début du vingtième siècle mais le traitement principal de la question automobile et sa mise en administration à travers le fonctionnement de commissions commencent dans les villes françaises que nous avons étudiées au début des années dix. Par ailleurs dans la restitution de ce travail, nous avons volontairement cherché à ne pas distinguer des périodes historiques précises correspondant à l’arrivée, au développement, ou à la contestation de l’automobile en ville. Cette absence d’historicisation de la question automobile nous permet au contraire de souligner, au-delà d’une perception quantitative, que l’automobile constitue autant un problème pour les pouvoirs urbains, dans les années vingt que dans les années cinquante ou soixante. Cette approche qualitative nous permet par ailleurs de relativiser les grandes opérations de catégorisation de la place de l’automobile dans les villes et les sociétés occidentales. Nous verrons ainsi que la période qualifiée de démocratisation de l’automobile234 et celle de « tout automobile »235, stabilisées dans l’imaginaire automobile occidental, sont au final plus difficiles à repérer. De même le lien entre pouvoirs publics, acteurs privés et usagers est largement à nuancer voire à déconstruire, notamment s’il s’agit de souligner les caractéristiques d’un lobbying automobile236. Ainsi, si notre restitution ne conduit pas à respecter une histoire linéaire de l’automobile en ville, nous nous efforcerons de respecter la plupart du temps l’intégralité de notre chronologie dans le développement de chacun des chapitres. Cette construction plus thématique de notre objet implique en retour une moins grande attention à certains enjeux locaux ou nationaux que traverse notre période d’étude (guerres, enjeux socio-politiques nationaux et locaux) sur lesquels nous ne pourrons pas revenir en détail.

Concernant la fin de notre enquête, nous bornerons celle-ci au début des années soixante-dix. Au niveau du contexte lyonnais, cette période marque une évolution importante du système politico-administratif local de prise en charge des questions de transports. En effet la Société d’Etudes du Métro de l’Agglomération Lyonnaise (SEMALY) est créée en 1968, alors que la Communauté Urbaine de Lyon (COURLY), la Police Municipale et la Société d’Economie Mixte Lyon Parc Auto (LPA) sont mises en place en 1969. Ces institutions marquent un tournant dans la régulation des questions de circulation urbaine avec le positionnement de nouveaux acteurs et l’émergence de nouvelles questions (sociales, environnementales…). Elles confirment un changement d’échelle territoriale qui se répercute dans la mise en place de nouvelles commissions débordant le cadre communal. Par ailleurs, il faut aussi noter que de nombreux travaux commencent leur investigation par les années soixante ou soixante-dix. Ainsi au niveau des enjeux de transports lyonnais, notre étude fait la jonction avec les recherches déjà mentionnées de Christian Montès et Emmanuel Perrin sur l’automobile, et avec celles de Harold Mazoyer ou Jean-Marc Offner237 sur les transports urbains. Notre objectif a pu en ce sens consister à proposer une genèse de cette première série de travaux sur les transports en ville, partant du principe que les conditions de réalisation d’une thèse nous offrait l’occasion de revenir plus en détail sur cette période historique. Enfin sur le plan national, comme au niveau des autres villes françaises238, les années soixante-dix constituent également une période de renouvellement et d’éclatement des réflexions sur la question des transports et de la place de l’automobile en ville, tant sur le plan social, politique qu’administratif239. Ainsi cette période est marquée notamment par le rapatriement d’une expertise en matière de circulation urbaine au niveau des services centraux de l’Etat, via les procédures de réalisation des plans de circulation240, et la prise en compte de nouvelles aspirations sociétales241.

La question du gouvernement urbain de la circulation urbaine sera au cœur de notre enquête. Elle se déclinera en trois moments. Nous reviendrons dans un premier temps sur la mise sur agenda des questions automobiles à partir des sphères privées et publiques, dans un cadre local, national et international. Dans un second temps, il sera question d’analyser le système d’acteurs et les dispositifs d’action publique qui concourent au gouvernement de la circulation urbaine. Enfin dans un dernier temps, nous regarderons comment s’organise cette régulation de la question automobile à partir notamment de la mise en place d’instruments d’action publique et du développement de savoirs.

Notre première partie portera sur la construction et l’identification de la circulation urbaine comme problème public. Il s’agira d’analyser la mobilisation de différents acteurs et institutions, tant privés que publics, à travers leur participation à la définition et à la structuration d’un nouveau champ d’intervention. Le chapitre un portera sur les mondes automobiles. Nous regarderons à travers plusieurs thématiques (circulation / stationnement ; éducation des usagers / acceptation / propagande ; sécurité routière) comment ces acteurs se mobilisent et se positionnent sur ces nouveaux champs d’action publique. Le chapitre deux reviendra sur la mise sur agenda transversale des questions automobiles. A partir de l’analyse des débats politiques locaux, de la mobilisation des acteurs privés et des discussions nationales et internationales des questions automobiles, il s’agira de montrer comment les enjeux de circulation urbaine sont construits et identifiés comme nécessitant une intervention publique. Au final, cette première partie sera l’occasion de montrer les différentes définitions à travers lesquelles se décline la question automobile.

Notre deuxième partie sera consacrée à la régulation de ce secteur d’intervention publique et au gouvernement de l’automobile en ville. Nous verrons ainsi comment s’organisent les pouvoirs urbains, à travers les attributions qu’ils cherchent à contrôler et les actions qu’ils mettent en place. Au cours du chapitre trois, nous reviendrons sur le système d’acteurs qui gravite autour de la gestion de la circulation urbaine. Il s’agira de montrer comment on passe d’une gestion privée à une gestion mixte des problèmes automobiles. Nous analyserons également les relations entre l’Etat et les collectivités locales à partir des questions automobiles et à travers certains parcours (ingénieurs des villes et ingénieurs de l’Etat). Puis le chapitre quatre nous permettra de mettre en avant un gouvernement par commissions, que nous identifierons principalement au niveau municipal mais également à partir d’autres niveaux d’action. Nous reviendrons en effet sur le fonctionnement par commissions au niveau privé ou départemental, dans les associations ou dans les services centraux des ministères. Cette troisième partie nous permettra de mettre en évidence un mode de faire, un mode de gouvernement et d’organisation para-municipal, au-delà même de la mise en place des structures en tant que telles.

La dernière partie présentera la manière dont les pouvoirs urbains administrent et gouvernent l’automobile. Il s’agira de revenir sur les outils et instruments d’action publique ainsi que sur les savoirs développés pour gouverner la circulation urbaine. Le chapitre cinq nous permettra de revenir sur la mise en administration des problèmes automobiles. Nous présenterons les processus de formalisation qualitative et quantitative des enjeux de circulation urbaine à travers l’activité des services administratifs et techniques des autorités locales et nationales. Nous reviendrons également sur la mise en place de structures permettant l’étude et l’administration des problèmes de circulation urbaine. Le chapitre six s’organisera autour de l’analyse de la production de savoirs (associatifs, municipaux, nationaux, professionnels, inter-villes, transnationaux) comme réponses aux questions automobiles. Nous analyserons leur construction à partir de deux dynamiques. D’une part, nous présenterons un processus de circulation des savoirs à partir d’échanges entre villes, infra- ou supra-nationaux, dans un cadre associatif ou professionnel. Puis, nous reviendrons sur les tentatives de centralisation de ces connaissances dans le cadre de structures étatiques et à travers le parcours de certains ingénieurs de l’Etat. Nous reviendrons ainsi sur les liens qui unissent les acteurs mobilisés sur ces champs et sur la construction d’une expertise localisée, plurielle et éclatée.

Données comparatives au niveau des villes et des départements étudiés
Données comparatives au niveau des villes et des départements étudiés
Notes
234.

Voir sur ce point Flonneau M., « Rouler dans la ville au XXe siècle : automobilisme et démocratisation de la cité, Surprenants équilibres parisiens », Articulo Revue de Sciences Humaines, à paraître en 2009.

235.

Voir notamment Flonneau M., « Georges Pompidou, Paris, le « tout automobile » : mythes et réalités », in Pleins phares sur l’automobile, Médiathèque Hermeland, Saint-Herblain, 2000, pp. 82 – 87.

236.

Voir sur ce point Sauvy A., Les quatre roues de la fortune : essai sur l’automobile, Flammarion, Paris, 1968.

237.

Cf. Offner J.-M., « L’expertise locale en transports urbains : entre logiques professionnelles et organisationnelle », Politiques et Management Public, Vol. 6, n° 1, 1988, pp. 81-102.

238.

Voir Flonneau M., 2005, op. cit.

239.

Voir notamment Offner J.-M., 1988, art. cit.

240.

Voir sur ces questions Jouve B., Les politiques de déplacements urbains en Europe, L’innovation en question dans cinq villes européennes, Ed. L’Harmattan, Paris, 2003, p. 83 et 84 ; et Faivre d’Arcier B., Offner J.-M. et Bieber A., Les plans de circulation : évolution d’une procédure technique, Rapport de recherche, Ministère de l’Equipement, Institut de recherche sur les transports, Arcueil, 1979.

241.

Si notre restitution s’arrête dans le cadre de cette recherche doctorale aux années soixante-dix, nous avons profité d’autres occasions pour approfondir nos recherches jusqu’à la période actuelle toujours à partir d’une enquête sur les politiques locales de transports. Ainsi nous nous sommes efforcé d’intégrer les enjeux contemporains pour l’étude des projets routiers (dans le cadre d’un article paru dans Métropoles, n° 2, septembre 2007), pour revenir sur la construction de parkings en ville (Recherche pour le compte du PUCA, septembre 2005, publication à paraître en 2009), et au niveau des projets de transports urbains (recherche GIP EPAU POPSU, décembre 2008).