Section 3) Une mise sur agenda privée et décisive des enjeux de circulation et de stationnement

Pendant que les élus débattent des enjeux automobiles en assemblée, et en parallèle à l’organisation de rencontres importantes sur ces questions, les acteurs privés se mobilisent lorsqu’ils estiment que les décisions prises par les pouvoirs publics ne facilitent pas l’utilisation de l’automobile en ville ou pire, freinent son développement. Leur activité se traduit par la production de documents importants sur les questions de circulation urbaine ainsi que par une intégration dans les structures de réflexions instituées par les autorités locales afin de mettre en place des réglementations ou des aménagements de la circulation.

Dans ce cadre, les premiers grands rapports réalisés sur la circulation urbaine à Lyon sont directement connectés à la participation des acteurs des mondes automobiles aux définitions des problèmes automobiles locaux. Ils sont l’œuvre d’« amateurs éclairés », parfois extérieurs à la sphère publique comme certains membres de l’ACR, de l’Association Industrielle, Commerciale et Agricole (AICA) de Lyon815 ou de la Chambre de Commerce de Lyon (CCL). Au sein de l’ACR, dès les premières années, plusieurs membres s’affairent ainsi pour débattre, accueillir ou développer des connaissances afin d’améliorer les conditions de circulation à Lyon. Dans ce rôle, on retrouve successivement Jean Bernard, les docteurs Carle, Bonnet et Bouget, Aymé Bernard, président par ailleurs de l’AICA, puis après la Seconde Guerre Mondiale, l’avocat Amieux, l’ingénieur Erpelding ou l’économiste Vaté.

Dans les premiers rapports, le développement de nouvelles formes de savoirs reste très étroitement lié aux personnalités de ceux qui les portent. On observe ainsi qu’à l’ACR c’est surtout le Docteur Bonnet, puis Henri Vaté, qui par leurs propres expériences et leurs propres recherches de documentation, les inventent, les soutiennent et les consolident au-delà des structures qu’ils tentent finalement de mettre en place ou qui leur préexistent. Dans ce sens, on peut dire que ces structures n’arrivent pas véritablement à soutenir ces capacités d’expertise. Par ailleurs, cette personnification du rôle d’expert se retrouve aussi renforcée par le phénomène de nomination dans les commissions, par la conduite individuelle des rapports ou avec l’incitation qui est faite aux différents experts de rapporter individuellement sur telle question ou sur tel sujet816.

Notes
815.

Sur l’AICA et sa place dans les milieux patronaux locaux, voir Angleraud B. et Pellisier C., 2003, op. cit., pp. 600-604.

816.

D’une certaine manière, nous verrons qu’on retrouve le même phénomène ensuite avec les parcours d’ingénieurs des ponts et chaussées qui construisent localement et personnellement leurs propres capacités d’expertise (comme Jacques Rérolle ou Fernand Ramel), ou dans un cadre national (Joseph Elkouby, ou Christian Gerondeau).