Partie II – Qui gouverne l’automobile ?

Après avoir mis l’accent sur la mise sur agenda continue de la question automobile en ville, nous allons revenir dans une seconde partie sur la manière dont ce problème public en construction est gouverné par les pouvoirs urbains. Cette partie nous offre donc l’occasion d’aborder l’une des questions centrales et récurrentes de la science politique : « qui gouverne ? » ou comment un secteur / une question peut être gouvernable ?980 C’est notamment à partir de ce type de questionnement, que la science politique a tenté d’affirmer son autonomie tout en tissant des liens avec les autres sciences sociales981. Au niveau de l’analyse de l’action publique urbaine, nous avons vu que de nombreux travaux ont déjà permis de comprendre la manière dont les autorités locales sont gouvernées ou gouvernent un secteur982. Toutefois, parmi ces recherches, très peu reviennent sur le fonctionnement des commissions qui fera l’objet de notre chapitre quatre. Il s’agira de montrer comment la régulation de la question automobile en ville se construit à partir d’un gouvernement par commissions.

Appliquée à notre objet d’étude, la question du gouvernement peut paraître décalée ou inappropriée. A première vue en effet, du fait de son mode de développement et des caractéristiques juridiques et économiques de son utilisation, l’automobile semble échapper au questionnement « qui gouverne ? », comme si ce problème public n’était pas gouverné, notamment à l’échelle des villes. Ainsi peut-on véritablement parler d’un gouvernement de la circulation urbaine ? Est-ce un secteur d’action publique clairement identifiable, avec des acteurs et des structures en capacité de détenir des prérogatives que nous pourrions repérer ? Ne sommes nous pas plutôt face à un ensemble de modes d’action et de décision éclatés, sans finalité politique, sociale, économique ou technique983 ? Enfin, l’automobile a-t-elle d’ailleurs besoin d’être gouvernée ou encadrée dans le cadre des espaces urbains ?

Cette partie nous conduira à revenir sur le gouvernement urbain de l’automobile. A partir de l’étude de la régulation de ce secteur, nous chercherons à identifier les acteurs et les structures qui gouvernent ou tentent de gouverner l’automobile en ville. Nous allons présenter tout d’abord le système d’acteurs qui s’organise autour de la gestion des questions automobiles. Puis nous verrons comment un gouvernement par commissions s’appuie dans ce système pour offrir un cadre de gestion des problèmes automobiles.

Notes
980.

Sur cette interrogation, voir Leca J. et Papini R., Les démocraties sont-elles gouvernables ?, Economica, Paris, 1985.

981.

Voir sur ce point : Favre P., Naissances de la science politique en France 1870-1914, Fayard, Paris, 1989 ; Blondiaux L., « Pour une histoire sociale de la science politique », in Déloye Y. et Voutat B. (dir.), Faire de la science politique. Pour une analyse socio-historique du politique, Belin, Paris, 2002, pp. 45-63 ; Favre P., Hayward J. et Schemeil Y. (dir.), Etre gouverné, Etudes en l’honneur de Jean Leca, Presses de Sciences Po, Paris, 2003 ; Ihl O., Kaluszynski M. et Pollet G., « Pour une socio-histoire des sciences de gouvernement », in Ihl O., Kaluszynski M. et Pollet G. (dir.), Les sciences de gouvernement, Economica, Paris, 2003, pp. 1-21 ; Favre P., Comprendre le monde pour le changer, Epistémologie du politique, Presses de Science Po. Paris, 2005, pp. 309-354 ; ou Lagroye J., avec François B. et Sawicki F., Sociologie politique, Presses de Sciences Po et Dalloz, Paris, 2006, 5ème édition, p. 463-506.

982.

Pour une synthèse de ces travaux, voir notamment : Joana J., « Du gouvernement des villes au gouvernement municipal », Pôle Sud, n° 13, Novembre 2000, pp. 3-9 ; ou Dumons B. et Pollet G., « Espaces politiques et gouvernements municipaux dans la France de la Troisième République. Éclairage sur la sociogenèse de l’État contemporain », Politix, vol. 14, n° 53, 2001, pp. 15 – 32.

983.

Comme cela peut être le cas de bien d’autres secteurs d’action publique en construction, on renvoie notamment ici à l’exemple de l’intervention des pouvoirs publics dans le domaine de la culture développé dans les travaux de Vincent Dubois, La politique culturelle, Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Belin, Paris, 1999.