2) Les représentants de l’Etat dans un rôle de coordinateurs

De nombreux échanges entre les Ministères de l’Intérieur et des Travaux Publics et les Préfets sont l’occasion de relayer les modifications successives apportées par décret aux dispositions du Code de la route. Elles sont accompagnées d’instructions diffusées par le Ministre de l’Intérieur ou le Ministre des Travaux publics. Il s’agit parfois de chercher à contenir les plaintes des différents regroupements ou catégories d’usagers. Dans une lettre du 23 février 1933 du Ministre de l’Intérieur aux Préfets1074, il est d’ailleurs rappelé le décret du 19 janvier 19331075 portant modification d’un certain nombre de dispositions essentielles du Code de la route. Le Ministre des Travaux Publics a lui-même adressé parallèlement aux Préfets une circulaire concernant l’application du nouveau règlement. Le Ministre de l’Intérieur profite de cette correspondance pour rappeler les abus signalés par cette circulaire et qui ont, selon lui, à plusieurs reprises provoqué des réclamations de la part des assemblées locales, des Chambres de commerce et d’agriculture et des groupements d’usagers. Il met l’accent sur l’intérêt des prescriptions édictées au sujet des croisements, des dépassements, du stationnement et de la vitesse des véhicules afin d’éviter notamment ce genre de problème. Il invite donc les Préfets à donner le plus rapidement possible à ces nouvelles dispositions réglementaires toute la publicité nécessaire tout en faisant en sorte que les agents placés sous leur autorité et qui collaborent à la police de la circulation intensifient leur activité de surveillance « de manière à obtenir sur la route une stricte discipline et, par la même un accroissement de la sécurité des usagers »1076.

Dans le cadre de ces consignes données par les ministères aux représentants départementaux de l’Etat, la presse devient un moyen de publiciser les informations relatives aux réglementations de la circulation. Nous avons vu que ce genre d’intervention auprès des journaux locaux était déjà utilisé, avec le même effet recherché, par les élus locaux ou les associations automobilistes1077. Il s’agit donc de poster des messages ou de diffuser des articles visant à communiquer des informations concernant les règles de conduite automobile ou afin de donner des conseils de prudence aux usagers de la route. Ainsi, dans sa lettre aux Préfets du 19 juin 19331078, le Ministre de l’Intérieur les invite à transmettre une note1079 à la presse et aux maires de leur département. Il leur indique qu’aux termes du Décret du 19 janvier 1933, à compter du 1er juillet prochain, les cyclistes doivent munir leurs machines d’un feu rouge arrière et les automobilistes d’un dispositif d’éclairage-code, rendant lisible à 25 mètres, par temps clair, le numéro d’immatriculation inscrit sur la plaque arrière, d’un miroir rétroviseur, ainsi que d’un appareil de changement de direction lorsque leurs automobiles ont plus de deux mètres de largeur. De même dans sa lettre du 9 octobre 1933 à MM. Les Préfets1080, le directeur de la Sûreté Générale, G. Thomé, qui représente le Ministre de l’Intérieur, les incite à faire publier une note1081 qu’il leur transmet, dans la presse de leur département et à la communiquer aux maires en les priant de lui donner toute la publicité nécessaire. Ainsi de manière quasiment quotidienne, les Ministres de l’Intérieur et des Travaux Publics s’emploient à diffuser des consignes et des conseils afin de favoriser à la fois l’amélioration des conditions de circulation et la surveillance de celle-ci.

Parfois, elles se transforment en injonctions en vue de faire appliquer des normes ou des dispositions techniques (poids, organes de sécurité, feux de conduite…) concernant les véhicules ou leur circulation. Dans une lettre du 29 mars 19341082, le Ministère de l’Intérieur s’adresse à MM. les Préfets pour leur rappeler de faire appliquer très strictement les prescriptions du Code de la route :

‘« Au moment où les fêtes de Pâques vont intensifier, d’une manière importante, la circulation, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien attirer à nouveau l’attention des services de police et de gendarmerie placés sous vos ordres sur la nécessité, dans l’intérêt de la sécurité publique, d’assurer très strictement l’application des prescriptions du Code de la route, et notamment celles qui sont relatives à la signalisation et à l’éclairage des véhicules. »’

Dans certains cas, il peut s’inquiéter de certaines pratiques routières qui posent problème pour la sécurité de la circulation. Une lettre du 29 mars 1934 du Ministre des Travaux Publics à MM. les Préfets1083 revient explicitement sur ces problèmes :

‘« Mon attention est appelée sur le fait que certains Services de transports publics par automobiles font valoir auprès du public la rapidité de la durée du trajet. Or, dans bien des cas, ce résultat ne peut être atteint sans que soient enfreintes les prescriptions relatives à la limitation de la vitesse des véhicules automobiles de poids lourds. (…) La question intéresse la sécurité de la circulation (….) »’

S’ils développent leur rôle de coordinateur auprès des collectivités locales, les services de l’Etat sont également sollicités par les demandes des associations automobiles et touristiques. Là aussi, une collaboration peut se mettre en place à partir des interventions suggérées par les organismes privés. Ainsi, plusieurs cas de figure témoignent du positionnement des services de l’Etat vis-à-vis de la question automobile, notamment lorsque ces derniers relaient des initiatives locales dont le succès est avéré pour chercher à les étendre ensuite à l’ensemble du territoire1084. Dans cette perspective, une lettre du Ministre de l’Intérieur du 28 octobre 1927 est instructive pour notre analyse. Elle est adressée au Ministre de l’Instruction Publique (Direction de l’Enseignement primaire)1085 pour lui indiquer le souhait d’étendre une idée instaurée dans le département du Nord et qui vise à éduquer les écoliers à certaines dispositions élémentaires du code de la route :

‘« Je viens d’être informé qu’à la suite d’un vœu du Conseil Général du Nord, auquel vous avez donné votre agrément et sur la demande du Préfet, le recteur de l’Académie de Lille a établi d’accord avec l’Administration des Ponts et Chaussées, un résumé pratique des principales dispositions du Code de la route qu’il a fait adresser aux instituteurs et aux institutrices pour leur servir de guide dans l’éducation des enfants des écoles primaires. En présence de l’inquiétante multiplication des accidents de la route, cette initiative présente un intérêt certain tant pour la sécurité personnelle des enfants que pour la sécurité publique elle-même. Aussi importerait-il à mon avis que cet exemple fût généralisé, et que des instructions analogues fussent adressées à tous les membres de l’enseignement primaire, les invitant à enseigner le plus complètement possible et de la façon qui leur paraîtra la plus rationnelle, à la jeunesse scolaire les précautions élémentaires que l’intensification de la circulation moderne impose à tous les usagers de la route. »’

Avec cette lettre, est transmise une Note de quatre pages reprenant les « Maximes sur le code de la route à enseigner et commenter dans les écoles ». Elle développe en plusieurs points les principes généraux, puis le Code du piéton (distinguant les rues où il existe des trottoirs, celles ou il n’y a pas de trottoirs et les places publiques), le Code du cycliste, et enfin des Conseils aux futurs conducteurs de véhicules. Sur notre période d’étude, d’autres exemples peuvent illustrer le cas d’initiatives locales relayées par l’Etat. De même, nous pouvons mentionner plusieurs occasions partielles, inachevées ou manquées de remontée nationale et centrale de tentatives « provinciales » parfois utopiques ou audacieuses visant à améliorer les conditions de circulation et de sécurité routières1086.

Néanmoins lorsqu’une proposition rencontre le succès et parvient jusqu’aux services centraux, de nombreux exemples révèlent que les informations parviennent d’une manière ou d’une autre à redescendre et à s’étendre vers les collectivités locales par le Préfet ou via le service ordinaire des ponts et chaussées et les services de police. A ce titre, on retrouve donc une interaction directe et continue entre le niveau local et celui des services de l’Etat. Elle témoigne d’une véritable complémentarité entre les collectivités locales et les services centraux ou déconcentrés des ministères concernés1087. Comme on l’a vu, les initiatives qui fonctionnent bien localement remontent et sont étendues à d’autres départements. Dans l’autre sens, des expérimentations sont parfois mises en œuvre par certaines directions centrales dans certains départementaux, dans le but d’être testées avant de pouvoir être élargies à d’autres territoires. Le système complexe d’acteurs que nous étudions lie donc toujours ces deux échelons d’action imbriqués. Nous verrons par la suite que des liens se nouent également à partir d’autres niveaux d’échanges, sur le plan national ou international, à travers des organisations non gouvernementales, des réseaux professionnels ou associatifs, et entre villes, et permettent parfois une meilleure connaissance ou une reconnaissance d’initiatives réussies localement ou à l’étranger.

Les collectivités locales constituent donc des relais importants pour proposer des initiatives, faire remonter des vœux, des avis, ou prendre position vis-à-vis de certaines réglementations ou dispositifs du code de la route. Dans les comptes-rendus des délibérations du Conseil Général du Rhône ou dans ceux du Conseil Municipal de la Ville de Lyon, on a pu repérer un nombre très important d’avis ou de décisions de ce type, adressés à certains ministres ou personnalités politiques en charge d’un secteur d’activités lié aux transports. Dans de nombreux cas, le destinataire du message est tout simplement et de manière réductrice la figure de l’Etat, à qui l’on demande de s’engager, d’agir ou de prendre position contre tel problème, tel fléau, telle nuisance. Aux archives nationales1088, nous avons pu également trouver la trace de nombreux vœux ou avis transmis aux services étatiques1089 par les collectivités locales françaises (principalement des Conseils Généraux). Ils ont pour objet principalement les différentes dispositions du Code de la route : signalisation, vitesse, police de la route, éclairage, dispositifs techniques des véhicules, dispositifs de sécurité1090

Mais on peut retrouver également, au milieu de ces nombreuses requêtes, des avis ou des vœux d’autres associations ou institutions (Fédération nationale des clubs automobiles de France, automobiles-clubs régionaux, Touring-Club de France…). Ainsi de leur côté, les associations automobilistes et de tourisme jouent aussi le rôle de relais pour alerter les pouvoirs publics sur les conditions ou les dangers de la circulation. Les réunions périodiques (sessions plénières, réunions du bureau, assemblées générales…) qu’elles tiennent sont l’occasion de formuler des vœux pour améliorer le développement de l’automobile. Ces vœux ont souvent pour origine les recommandations issues des groupements automobilistes régionaux ou locaux. On trouve ainsi de nombreux exemples où l’ACR transmet des vœux, rédigés à l’occasion d’assemblées générales ou de réunions du Comité d’administration1091, à la Fédération Nationale des Automobiles-Clubs de France1092, qui, à son tour, peut ou non les reprendre pour leur assurer un écho national. On a donc de ce point de vue aussi, au niveau associatif ou corporatiste, une remontée des problèmes ou des idées et initiatives du local vers le national. Ensuite, les responsables nationaux de ces fédérations jouent le rôle de passeurs vers les instances ministérielles pour faire valoir les vœux exprimés par leurs sociétaires. Cette transmission est d’autant plus facilitée que certains responsables ministériels ou associatifs participent régulièrement aux mêmes commissions d’études1093.

Dans ce sens, on peut prendre l’exemple de la circulation au sein des bureaux ministériels d’une initiative portée par la Fédération Nationale des Automobiles Clubs de France (FNACF). L’assemblée générale de la FNACF du 13 octobre 1933 a été l’occasion pour plusieurs de ses clubs affiliés de soulever une question relative au fonctionnement des commissions consultatives pour le retrait des permis de conduire, auxquelles participent dans certains départements des représentants des automobiles-clubs régionaux. A partir de ces premières revendications, la Fédération a établi deux vœux : « I° - que le fonctionnement des Commissions Consultatives pour le retrait des Permis de Conduire soit uniformisé, principalement en ce qui concerne la fréquence des réunions ; 2° - que le fait de conduire lorsque le permis a été retiré ou suspendu, soit considéré comme un délit susceptible des peines correspondantes et non plus simplement d’une faible amende ». Ces vœux sont ensuite transmis par une lettre du 4 novembre 1933 du Président de la FNCAF, M. de Rohan, au Ministre de l’Intérieur1094. Dans sa réponse du 13 novembre 19331095, ce dernier lui indique qu’il souhaite consulter à son tour ses collègues, ministres des Travaux Publics et de la Justice. Dans la foulée, il écrit donc le 13 novembre au Ministre des Travaux Publics (Direction de la Voirie Routière) et au Ministre de la Justice (Direction des Affaires Criminelles)1096 en leur indiquant qu’ « (…) Une loi serait à mon avis nécessaire pour transformer en délit l’infraction au Code de la Route que commettent en continuant à conduire leur voiture, les automobilistes dont le permis a été retiré. Etant donné le plus grand intérêt pour la sécurité publique à ce que les intéressés ne puissent faire usage de leur automobile au risque de causer de nouveaux accidents, j’estime qu’il y aurait lieu, lorsqu’ils sont surpris en flagrant délit, de faire mettre, à leurs frais, la voiture dans un garage jusqu’à ce qu’une décision soit prise à leur égard par l’autorité judicaire. J’attacherais du prix à connaître votre avis sur ces différents points. »

Dans sa lettre du 25 novembre 1933 au Ministre de l’Intérieur (Sûreté générale, 3ème Bureau)1097, le Garde des Sceaux indique que pour satisfaire le premier des vœux de la FNCAF, les instructions à donner aux Préfets concernant la tenue des commissions consultatives pour le retrait des permis sont du ressort de la compétence du Ministre de l’Intérieur rajoutant que sa « manière de voir ne peut appeler aucune observation de ma part ». Le Ministre des Travaux Publics est plus loquace dans sa réponse1098. S’il répond en effet qu’il n’a pas d’observations concernant les instructions que peut donner le Ministre de l’Intérieur aux Préfets, il estime comme le Ministre de l’Intérieur qu’ « une loi serait nécessaire pour transformer en délit l’infraction actuelle au Code de la Route consistant, pour un automobiliste, à continuer de conduire lorsqu’il est frappé par une décision de suspension ou d’annulation du permis. »

Après cette première consultation, le retour est plutôt positif et les vœux transmis par la FNCAF semblent trouver une issue consensuelle. En effet, dans sa lettre du 8 décembre 19331099 à M. de Rohan, président de la FNCAF, le Directeur de la Sûreté Générale, représentant le Ministre de l’Intérieur, lui confirme que des instructions ont été données aux préfets afin de rendre périodiques et uniformes les réunions des commissions consultatives départementales de retrait des permis de conduire. D’autre part, il ajoute qu’il a pris connaissance des avis du Garde des Sceaux et du Ministre des Travaux Publics et qu’il estime « qu’une loi serait nécessaire pour ériger en délit l’infraction au Code de la route consistant, pour un automobiliste, à conduire lorsque son permis a été retiré temporairement ou annulé ». En effet selon lui, il n’y a « pas d’objection juridique à l’introduction dans les lois pénales d’une disposition qui pourrait assurer une répression plus sévère des infractions commises et, partant, une amélioration des conditions de la circulation ». Il invite donc MM. les Ministres de la Justice et des Travaux Publics à étudier avec ses services la préparation à ce sujet d’un projet de Loi qui pourrait être soumis aux délibérations du Parlement.

Ce même jour, le 8 décembre 19331100, le Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur envoie également deux autres lettres, l’une adressée au Ministre de la Justice et l’autre au Ministre des Travaux Publics. Il leur confirme d’une part son intervention auprès des Préfets, et d’autre part il laisse au Ministre de la Justice « le soin d’apprécier s’il est possible de demander aux tribunaux de hâter l’examen des procès-verbaux, d’infractions et l’envoi des décisions de justice aux administrations préfectorales ». Dans ces deux lettres, il ajoute également pour avis une Note concernant un projet de loi « pour ériger en délit le fait, pour un automobiliste de conduire après retrait définitif ou temporaire de son permis », afin de tenir compte non seulement du vœu de la FNCAF, mais également de nombreux voeux émis par des Conseils généraux ou d’arrondissement. En retour dans sa lettre du 27 décembre 19331101 au Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur (Direction de la Sûreté Générale), le Ministre des Travaux Publics (Direction Générale des Chemins de Fer et des Routes) lui répond qu’il est favorable au projet de Loi établi par son département « conformément aux suggestions de la FNCAF et de divers Conseils généraux ou d’arrondissement en vue de renforcer les pénalités applicables aux automobilistes coupables d’infraction au Code de la Route et notamment à ceux qui continuent à conduire malgré une décision prononçant le retrait temporaire ou l’annulation de leur permis de conduire ». Il estime d’autre part, qu’il y aurait tout intérêt à déposer, en l’occurrence, un projet de Loi spéciale. De même, dans sa lettre du 23 janvier 19341102 au Ministre de l’Intérieur (Sûreté Générale), le Garde des Sceaux (représenté par le Conseiller d’Etat, Directeur des Affaires criminelles et des Grâces) lui renvoie la circulaire qu’il a fait établir le 23 janvier 1934 à l’ensemble des Procureurs Généraux près la Cour d’Appel concernant l’examen des procès-verbaux, d’infractions et l’envoi des décisions de justice aux administrations préfectorales. Il y indique qu’il est également favorable au projet de Loi qu’il lui a soumis tout en formulant plusieurs observations concernant des aspects techniques et juridiques de ce texte.

Toutefois les enjeux politiques et les procédures administratives peuvent rendre complexe la mise en place de telles mesures. Plusieurs échanges et de nombreuses correspondances1103 se poursuivent ainsi entre les services des trois ministères à partir des discussions de ce projet de loi jusqu’à l’été 1936. Entre temps, la question de l’ivresse au volant1104 a également été portée sur la scène publique1105. En effet on recense notamment une initiative dans ce sens de l’UNAT1106 dont le directeur écrit le 13 mars 19341107 au directeur de la Sûreté Nationale (Ministère de l’Intérieur) pour souligner les dangers que les conducteurs d’automobiles en état d’ivresse présentent pour la circulation publique. Cette lettre est accompagnée d’une Note concernant les conditions dans lesquelles il est possible de provoquer le retrait du permis de conduire, à partir notamment de l’infraction au paragraphe 3 de l’article 7 du Code de la Route. Elle est ensuite également communiquée au Ministre des Travaux Publics ainsi qu’au Garde des Sceaux (Direction Criminelle, 1er Bureau)1108. Parallèlement, ces questions sont transmises et longuement débattues au sein de la Commission centrale des automobiles et de la circulation générale1109. Cette dernière produit un avis qui permet de faire aboutir le dossier1110. Ainsi deux projets de loi1111 sont déposés en juillet 19361112 dans le but de renforcer les pénalités applicables aux conducteurs d’automobiles qui conduisent en état d’ivresse et aux conducteurs qui conduisent sans permis ou malgré une décision prononçant la suspension temporaire ou l’annulation de leur permis1113.

Le dossier que l’on vient de présenter, concernant la pénalisation de certaines pratiques automobiles n’est qu’un exemple parmi d’autres. On peut en effet recenser de nombreuses correspondances sur des questions annexes (pénalisation des infractions, renforcement des pénalités des infractions, sanctions pour le conducteur après un vol réalisé avec sa voiture etc.) entre les Ministères de l’Intérieur, des Travaux Publics de la Justice, avec dans la plupart des cas, constitution puis examen de projets de loi1114.

Cet exemple montre donc que les informations transmises par les associations et groupements automobilistes peuvent avoir un écho certain. En témoigne une lettre du Ministre de l’Intérieur aux Préfets le 7 avril 19331115. Il leur signale que la Fédération des Clubs automobiles de France lui a indiqué que, dans de nombreuses localités, les maréchaux-ferrants, serruriers ou autres artisans effectuent leurs travaux devant leurs ateliers et jettent sur la voie publique les clous arrachés aux anciennes ferrures, ce qui provoque trop souvent des crevaisons de pneumatiques pouvant entraîner des accidents regrettables. Il les invite à solliciter sur cette question l’attention des maires de leur département en leur donnant les « instructions nécessaires pour faire cesser ces négligences très fréquentes et préjudiciables aux usagers de la route ».

Autour de la question automobile, par l’intermédiaire des préfets notamment, l’Etat renforce son rôle de coordinateur des politiques publiques construites dans un cadre national ou initiées localement. Cette action centralisatrice qui est au cœur de l’activité des services de l’Etat se trouve renforcée par la mise en place d’instruments d’action publique, telle que la construction de statistiques automobiles1116, qui, sous couvert d’un appareillage technique, peuvent contribuer à produire du consensus1117. Mais quand on observe le mode de réponse à certaines questions de réglementation de la circulation automobile ou de construction des statistiques automobiles, à partir du fonctionnement quotidien des services centraux de l’Etat, on perçoit que l’échelle de compréhension géographique est confinée à un niveau de représentation territoriale à la fois large et homogène. Les villes ne sont pas spécifiquement prises en compte à travers ce régime de fonctionnement. Nous verrons en effet qu’il faut attendre les années cinquante et soixante pour voir poindre une véritable compréhension des enjeux urbains au sein du Ministère des Travaux Publics, à la fois au niveau des études produites et au niveau de la restructuration des services du ministère. Enfin, de manière générale, les différentes préoccupations étatiques concernant l’automobile nous permettent de repérer, dès les années trente, un mouvement de centralisation et de repositionnement de l’Etat1118 au niveau des enjeux de réglementations de la circulation en ville, comme l’ont montré d’autres auteurs au niveau de l’urbanisme1119, des enjeux municipaux1120 ou d’autres politiques sectorielles, sociales plus spécifiquement1121. Ce phénomène s’accentue particulièrement à la fin de cette décennie. Il parait se confirmer après la Seconde Guerre Mondiale, de manière très claire1122, par la mise en place de commissions ou dans le cadre de la conception des projets routiers et des études urbaines. Toutefois cela n’empêche pas que les municipalités jouent un rôle de plus en plus important dans la gestion des problèmes de circulation urbaine.

Notes
1074.

Cf. AN 1994 0495 ART 21.

1075.

Publié au Journal Officiel du 28 janvier 1933.

1076.

Cf. Lettre du 23 février 1933 du Ministre de l’Intérieur aux Préfets, AN 1994 0495 ART 21.

1077.

Voir sur ces points nos chapitres un et deux.

1078.

Cf. AN 1994 0495 ART 21.

1079.

Cette note pour la presse de quatre pages datée du 4 mai 1933 porte sur les modifications apportées au Code de la route par le Décret du 19 janvier 1933.

1080.

Cf. AN 1994 0495 ART 21.

1081.

C’est une note qui reprend les modifications techniques imposées à la circulation des véhicules et des cyclistes par le Décret du 19 janvier 1933.

1082.

Cf. AN 1994 0495 ART 21.

1083.

Idem.

1084.

Voir les nombreux travaux qui ont déjà mis en avant ce phénomène, dans des domaines distincts notamment présentés par Bruno Dumons et Gilles Pollet, 2001, art. cit.

1085.

Cf. AN 1994 0495 ART 21.

1086.

Les revues automobiles locales et nationales abondent de micro exemples présentant des essais ou initiatives allant dans ce sens.

1087.

Comme l’ont montré les travaux du Centre de sociologie des organisations sur la régulation croisée, cf. Worms J.-P., 1966, art. cit. ; Grémion P., 1970, art. cit. ; Crozier M. et Thoenig J.-C., 1975, art. cit.

1088.

Voir le carton AN 1994 0495 ART 21.

1089.

Essentiellement à destination du Ministère de l’intérieur étant donné que les collectivités locales sont sous sa tutelle.

1090.

Mais l’ensemble de ces propositions est compilé par les services du Ministère de l’Intérieur dans des tableaux de manière précise, mais rien n’apparaît clairement quant aux suites données à ces demandes.

1091.

Voir sur ce point notre premier chapitre.

1092.

L’ACR est amené à transmettre des décisions ou des prises de position aux collectivités locales ou directement à certains ministres ou hommes politiques (lettres ouvertes, avis, vœux…). A ce titre, on rappelle la lettre ouverte envoyée par le Docteur Carle aux 36 000 maires de communes françaises pour lutter contre l’autophobie, et publiée dans le n° 7 de juillet 1933 de la Revue de l’ACR. (voir notre premier chapitre). Les éditoriaux de ces revues sont également des occasions régulières de relayer des messages à destination des responsables politiques ou des administratifs (fiscalité automobile, accidents de la route, éducation des usagers, gestion des routes notamment en cas d’intempéries…). Les conférences ou les assemblées générales organisées par le Club donnent l’occasion aux membres de l’ACR de s’exprimer sur certains sujets sensibles notamment en présence de personnalités politiques ou administratives.

1093.

Nous aurons l’occasion de revenir sur cet aspect à l’occasion de notre chapitre quatre.

1094.

Cf. AN 1994 0495 ART 22.

1095.

Idem.

1096.

Idem.

1097.

Idem.

1098.

Lettre du 27 novembre 1933 Ministre des Travaux Publics (Voirie Routière, 2ème Bureau) au Ministre de l’Intérieur (Sûreté générale, 3ème Bureau), cf. AN 1994 0495 ART 22.

1099.

Cf. AN 1994 0495 ART 22.

1100.

Idem.

1101.

Idem.

1102.

Idem.

1103.

Voir la Chemise « Infractions permis de conduire » du carton AN 1994 0495 ART 22.

1104.

Voir sur ce point les travaux de Anne Kletzlen : De l’alcool à l’alcool au volant, La transformation d’un problème public, L’Harmattan, Paris, 2007. Voir aussi Laé J.-F., « Genèse de l’alcool au volant à travers la jurisprudence (1830-1980) », Droit et Société, n° 29, 1995, pp. 157-179.

1105.

Voir également les débats locaux sur cette question présentés dans notre chapitre deux.

1106.

Union Nationale des Associations de Tourisme, 9, rue Pérignon, Paris.

1107.

Cf. AN 1994 0495 ART 22.

1108.

Cf. Lettre du 26 avril 1934 du Garde des Sceaux (Direction criminelle, 1er Bureau) au Ministère de l’Intérieur, AN 1994 0495 ART 22.

1109.

Lettre du 10 novembre 1934 du Ministre des Travaux Publics (Direction des Chemins de Fer et des Routes) au Ministre de l’Intérieur (Direction générale de la Sûreté Nationale) : « En réponse à votre lettre du 10 octobre 1934, j’ai l’honneur de vous confirmer, comme suite à ma communication du 11 août répondant à votre dépêche du 4 août 1934, que j’ai soumis le 20 juillet 1934 à l’examen de la Commission Centrale des Automobiles et de la Circulation générale les suggestions contenues dans votre lettre du 26 juin 1934, relative au renforcement des pénalités dont sont passibles les automobilistes non munis du permis de conduire, à la suspension ou au retrait du permis, en cas d’ivresse, et au transfert aux Tribunaux Judiciaires du soin de prononcer la suspension ou le retrait du permis. Dès que la Commission se sera prononcée sur ces diverses questions, je ne manquerai pas de vous en informer. », cf. AN 1994 0495 ART 22.

1110.

Voir la lettre du Ministre des Travaux Publics (représenté par le Conseiller d’Etat, Directeur général des Chemins de Fer et des Routes) du 24 juin 1936 au Ministre de l’Intérieur (Direction de l’Administration de la Police et des Affaires Générales) : « J’ai l’honneur de vous soumettre ci-joint le texte de deux projets de loi établis sur votre demande et d’après l’avis de la Commission Centrale des Automobiles et de la Circulation Générale », cf. AN 1994 0495 ART 22.

1111.

Voir la lettre du 8 juillet 1936 du Ministre de l’Intérieur au Ministre de la Justice, cf. AN 1994 0495 ART 22.

1112.

Projets de loi concernant ces deux infractions proposés et signés par les Ministres de l’Intérieur, des Travaux Publics et de la Justice, cf. AN 1994 0495 ART 22.

1113.

Cf. lettre du 8 juillet 1936 du Ministre de l’Intérieur au Ministre des Travaux Publics (Direction Générale des Chemins de fer et des routes), cf. AN 1994 0495 ART 22.

1114.

Notamment dans le carton AN 1994 0495 ART 22.

1115.

Cf. AN 1994 0495 ART 21.

1116.

Nous reviendrons plus en détail sur la mise en place de statistiques automobiles dans le cadre de notre chapitre cinq.

1117.

On renvoie ici aux recherches menées sur l’instrumentation de l’action publique et notamment au rôle des statistiques comme instruments d’action publique, voir Lascoumes P. et Le Galès P. (dir.), Gouverner pas les instruments, Presses de Science Po, Paris, 2004.

1118.

Sur la dynamique de recentralisation de l’Etat, voir Burdeau F., 1994, op. cit., pp. 222-231.

1119.

Voir Gaudin J.-P., « La genèse de l’urbanisme de plan et la question de la modernisation politique », Revue Française de Science Politique, Vol. 39, n° 3, juin 1989, pp. 306-312.

1120.

Voir Payre R., 2007, op. cit., pp. 228-241.

1121.

On retrouve le même phénomène en ce qui concerne les politiques sociales, voir sur ce point Dumons B. et Pollet G., L’Etat et les retraites, Genèse d’une politique, Belin, Paris, 1994.

1122.

Mais qu’il faudra parfois nuancer comme le suggère Olivier Borraz, 1998, op. cit., p. 15.