2) La mise en place d’une réglementation générale de la circulation

Après cette période d’après Guerre, intense en matière de réflexions sur la circulation à Lyon, les élus lyonnais, comme leurs collègues d’autres villes1558, envisagent une harmonisation des règles de circulation en ville. Entre juillet 1925 et février 1926, une nouvelle Commission municipale d’études pour faciliter la circulation dans Lyon est instaurée afin de mettre en place un règlement général de circulation dans la ville de Lyon1559. C’est l’arrêté municipal du 25 juillet 1925 qui nomme cette « Commission spéciale chargée d’étudier les moyens aptes à faciliter la circulation, à Lyon, des véhicules de toutes sortes » :

‘« Vu les divers arrêtés, réglementant actuellement la circulation des voitures automobiles et autres véhicules sur le territoire de la Ville de Lyon ;
Considérant qu’en raison de l’accroissement constant de la circulation, les dispositions prévues par ces arrêtés sont insuffisantes pour assurer la sécurité publique ;
Considérant que de nouvelles mesures s’imposent en vue de compléter la réglementation en vigueur ;
Considérant qu’à cet effet il y a lieu, pour l’Administration municipale, de s’entourer des avis des personnes et de représentants de groupements particulièrement qualifiés (…) »1560

Dans son compte-rendu du travail de cette commission, un article du Progrès indique que « pareille commission avait déjà fonctionné en 1919. Elle avait arrêté toutes les améliorations actuellement en vigueur : agents-vigies, refuges, détermination des voies à sens unique, etc. Mais l’intensification de la circulation automobile qui marque d’une année à l’autre, une progression à peu près géométrique, a rendu ces mesures tout à fait insuffisantes aujourd’hui. Elles doivent être revues et considérablement augmentées »1561. Comme pour la première grande commission mise en place à l’automne 1912, la composition de cette nouvelle structure est plus large et étendue, elle comprend vingt-cinq membres représentant à la fois des élus, des fonctionnaires et des membres du monde des transports. Pour la première fois, on observe la présence de membres de sociétés de taxis, preuve que l’automobile s’est développée, que le monde automobile lyonnais s’est encore diversifié et que les chauffeurs de taxis se sont organisés. Il y aussi de plus en plus de membres du secteur privé, via la CCL, l’AICA et les différents syndicats ou chambres syndicales.

Cette commission tient plusieurs rencontres régulières qui rassemblent un nombre important de personnes. Elle se réunit notamment à l’Hôtel de Ville le 5 août 1925, le 12 août 19251562, le 19 août 19251563, ou le 2 septembre 1925 jusqu’à l’adoption le 1er février 1926 du premier règlement général de la circulation pour la Ville de Lyon qui reprend en grande partie les dispositions de l’Ordonnance du 15 mars 1925 sur la réglementation de la circulation à Paris1564. Plusieurs grandes questions sont donc débattues au cours des différentes réunions de cette commission extra-municipale : le stationnement1565, la vitesse des véhicules, la mise en place d’une signalisation lumineuse en ville, la place des transports en commun en ville, l’encombrement et les arrêts des tramways, les sens uniques, la mise en place de trottoirs-refuges, les passages piétons, la mise en place de passages souterrains pour les piétons. Surtout, ces rencontres sont l’occasion de premiers échanges de documentation sur la réglementation de la circulation. Ainsi les membres de cette commission ont en main les règlements nationaux du code de la route1566. Ils se tiennent notamment au courant des réglementations en vigueur à Paris, qui inspirent largement la mise en place de la réglementation générale de la circulation pour la Ville de Lyon le 1er février 1926. Ce besoin d’échanges traduit également une volonté d’harmoniser la signalisation de la circulation en ville1567, dont témoignent collectivement les membres de la commission1568.

Par ailleurs, cette période est marquée par de vives tensions entre les pouvoirs publics et les organismes privés représentant les intérêts économiques et les utilisateurs d’automobiles. Ces organisations tiennent un rôle de plus en plus important qui oscille entre la contestation et la formulation de propositions. En point d’orgue, la réglementation du stationnement mobilise leur attention, mais il s’agit aussi d’améliorer les conditions de circulation en ville. Ainsi l’ACR et l’AICA suivent activement les débats concernant cette question entre les années 1925 et 1926. Cette participation est reprise dans le bilan de l’année 1926 fait par l’AICA :

‘« dans le domaine des transports purement local, nous avons eu à intervenir dans le problème de la circulation. Dans le courant de l’année 1926, notre Association a été appelée à faire partie de la Commission de Révision du règlement de la circulation. Elle a déposé un mémoire complet, précis, demandant modification des arrêtés municipaux sur plus de 60 points. Elle n’a pas eu la satisfaction d’être suivie ; mais elle s’apprête, au bénéfice de l’expérience, à redemander à la Ville un nouvel examen de ce problème qui nous intéresse si directement. Elle est intervenue contre le droit de stationnement et, quelles que soient les raisons plus ou moins habiles par lesquelles certains ont essayé de le justifier, il constitue un véritable non sens économique. Aujourd’hui, l’automobile en ville n’est ni un sport, ni un plaisir ; c’est un élément d’activité qu’il faudrait encourager au lieu de l’entraver »1569. ’

Les tensions sur ces questions restent perceptibles jusqu’aux années trente et il faut attendre la mise en place d’une nouvelle commission pour envisager un début d’apaisement en ce qui concerne les différences de vues entre les organismes privés et les pouvoirs publics1570.

Nous avons donc vu qu’émerge progressivement un gouvernement par commissions de la circulation urbaine. A partir de la mise en place d’instances de concertation temporaires, se structure un espace de délibération et de réflexion autour de la municipalité. Les organisations intéressées par les problèmes de transport participent à ces discussions même si le dialogue entre la sphère publique et la sphère privée devient sur certaines thématiques plus problématique. Une seconde institutionnalisation de ce mode de gouvernement semble nécessaire afin de renouveler les liens entre intérêts privés et publics concernant les questions de circulation urbaine.

Notes
1558.

Voir sur ce point notre chapitre deux.

1559.

Voir « Pour améliorer la circulation à Lyon », Le Nouveau Journal, 13 août 1925, cf. ADR 4 M 514.

1560.

Cf. ADR 4 M 514.

1561.

Voir « La circulation à Lyon. La commission municipale a décidé déjà quelques améliorations intéressantes », Le Progrès, 13 août 1925, cf. ADR 4 M 514.

1562.

Voir « Pour l’Amélioration de la Circulation » Le Nouvelliste, 13 août 1925, cf. ADR 4 M 514.

1563.

Voir « Pour l’amélioration de la circulation, Troisième séance de la commission de la circulation », Le Nouvelliste, 20 août 1925 et « La commission municipale de circulation », Le Progrès, 20 août 1925, « Le problème de la circulation », Le Lyon, 20 août 1925, « Le problème de la circulation », Le Nouveau Journal, 20 août 1925, cf. ADR 4 M 514.

1564.

Cf. extrait du Compte-rendu de la séance du 22 août 1929 de la sous-commission technique de la commission départementale de circulation, cf. ADR S 2587.

1565.

Comme le rapporte l’article « Pour améliorer la circulation à Lyon » du Nouveau Journal du 13 août 1925 : « C’est du stationnement des véhicules que dépend pour une grande partie la solution du problème. Ce sont en effet, les voitures arrêtées de chaque côté de la chaussée qui apportent les plus grosses entraves à la circulation ».

1566.

Notamment le fascicule « Ce qu’il faut connaître / Le Code de la Route (texte officiel et complet) Pour les Automobilistes, Pour les Cyclistes, Pour les Voituriers, Pour les Piétons »

1567.

Proposition relayée par M. Bouvard : la mise à l’étude d’une entente entre municipalités à l’effet d’établir une signalisation uniforme dans toute les grandes villes françaises. « A ce sujet, la commission a émis, à l’unanimité, le vœu que, dans toutes les villes, les indications concernant la circulation soient d’un modèle uniforme », cf. « Le problème de la circulation », Le Nouveau Journal, 20 août 1925.

1568.

Au même moment où ces questions sont débattues au sein de la Société des Nations, par l’entremise de l’Union Internationale des Villes, l’Association Internationale des Automobiles-Clubs Reconnus et l’Association Internationale Permanente des Congrès de la Route, voir sur ce point Bernardin S. et Gardon S., « Conceiving a Transnational Cause: Cities as Actors of Urban Road Traffic Regulation », Eighth International Conference on Urban History, Stockholm, 30 août - 2 septembre 2006.

1569.

AICA, AG du 25 avril 1927, Rapport moral sur l’année 1926 (présenté par Bernard) et allocution de M. le Président Fougère, Bilan moral, p. 9, cf. AML 1 C 305 724.

1570.

Abordées plus en détail lors de chapitre deux.