2) Réflexions et enjeux concernant le fonctionnement de la commission municipale de circulation de la Ville de Lyon

L’évolution de la commission municipale de circulation s’inscrit dans la nécessité pour la municipalité de développer de nouvelles formes d’expertises et de connaissances sur les questions de circulation urbaine. Pour tenter d’apporter une première réponse à ces attentes, les principaux responsables de la gestion de la circulation à Lyon, le président de la commission municipale de circulation et celui de l’ACR notamment, décident de l’organisation des Journées d’études des commissions municipales de la circulation1645. Les premières rencontres ont lieu à Lyon en 1955. Pour la première fois dans un cadre national, les besoins des municipalités en termes de structures et de réflexions pour faire face aux problèmes de la circulation se trouvent explicitement formulés. Cette manifestation se prolonge par l’organisation à Rouen des secondes journées d’études des commissions municipales de circulation en 19591646.

Les questionnaires préalables au déroulement de ces journées permettent de faire un point auprès des autres villes françaises sur l’existence et le fonctionnement dans ces dernières d’organismes analogues1647. La première correspondance entre les responsables lyonnais et les autres villes françaises portent en effet sur la présentation de la commission municipale lyonnaise et interroge ensuite l’existence de tels organismes dans les villes sollicitées : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que les problèmes posés par la circulation et le stationnement des véhicules sur le territoire de la Ville de Lyon sont étudiés par une Commission Municipale de Circulation. A cette commission sont représentés, outre le Conseil Municipal et les services Municipaux et d’État intéressés les principaux usagers de la voie publique : Automobile-Club, Transports en Commun, Transporteurs Routiers, Garagistes, Taxis, Cyclistes, Syndicat d’Initiative, etc… Je vous serais bien reconnaissant de bien vouloir me faire connaître s’il existe une commission analogue dans votre ville et dans l’affirmative dans quelle condition elle fonctionne. En vous remerciant à l’avance des renseignements que vous voudrez bien me fournir (…) »1648. Avec les réponses fournies par les municipalités sollicitées ou participantes1649, on peut repérer un premier panorama des commissions municipales de circulation dans les villes françaises1650 :

[Les commissions municipales de circulation dans les villes françaises (1954)]
Les commissions municipales de circulation dans les villes françaises (1954)
Villes Instances délibératives Fréquence des réunions
Marseille Commission extra-municipale ;
Sous-commission exécutive ;
Comité restreint.
 
Lyon Commission extra-municipale ;
Sous-commissions spéciales
Une fois par mois pour la commission générale et pour les commissions spéciales régulières
Bordeaux Commission extra-municipale Périodiquement
Nice Commission extra-municipale 3 ou 4 fois par an
Nantes Commission extra-municipale Pas de date fixe
Lille Commission de la Voie Publique Une fois par mois ; Réunion spéciale pour circulation
Saint-Étienne Commission technique puis commission extra-municipale  
Strasbourg Commission extra-municipale. Trop lourd à manier, revenu à Comité restreint de fonctionnaires administratifs exclusifs  
Toulon Commission extra-municipale  
Nancy Commission municipale ; étudie un règlement de circulation  
Reims Commission extra-municipale Sur convocation du Maire
Clermont-Ferrand Commission de circulation Pas de date fixe
Limoges Commission extra-municipale Pas de date fixe
Rouen Commission extra-municipale Au moins une fois par trimestre
Le Havre Commission de circulation 3 ou 4 fois par an
Grenoble Commission de circulation 2 fois par an
Roubaix Commission de circulation 2 à 3 fois par an
Dijon Commission de circulation Pas de date fixe
Le Mans Commission de circulation  
Villeurbanne Commission de circulation (sous-commission de la Commission des Services techniques)  

En marge des réunions des commissions municipales de circulation en France, s’ouvre à Lyon, entre 1956 et 1965, une période intense de réflexions sur l’organisation et le fonctionnement de la commission municipale de circulation1651. En point d’orgue, l’opportunité de créer un bureau du trafic revient avec insistance dans les débats entre les responsables de la gestion des problèmes de circulation :

‘« Aussi nous paraît-il absolument nécessaire que soit constitué à Lyon, dans le délai le plus court, « un bureau du Trafic » qui dispose d’un effectif en personnel technique et administratif suffisant et de matériel nécessaire pour être en mesure de faire toutes les enquêtes indispensables (comptages, courants de circulation, renseignements sur les déplacements individuels, lieux de départ, d’arrivée de parking et de garage des véhicules, etc…) d’où résulteront l’étude des programmes de travaux à réaliser et la proposition des mesures à pendre pour améliorer la circulation »1652

Ce bureau du trafic permettrait notamment, aux yeux de ses promoteurs, de palier la saturation du système de formulation des avis ou de recueil des données par l’intermédiaire du Service Technique de la Ville ou de la commission municipale de circulation. Dans une note, les responsables du 3ème bureau de la 2ème Division de la Mairie centrale, chargé des questions de circulation, signalent en effet que le « 3ème Bureau de la Mairie de Lyon est débordé et n’est pas organisé comme un service extérieur à disposition de l’Ingénieur en Chef de la Ville (…). Cette situation imposera tôt ou tard, l’institution d’un service spécial doté du matériel, du personnel et de la hiérarchie nécessaire »1653. Le rapport du 27 Octobre 1959 statue en effet sur l’embouteillage du Service de Voirie par le nombre croissant d’affaires de circulation soumises à son examen pour rapport et avis. Dans ce dernier, est exprimée la volonté que certaines affaires soient traitées à l’échelon du Bureau de la Police ou à celui de la sous-commission compétente1654. Les techniciens lyonnais profitent de leur participation aux semaines internationales d’étude de la technique de la circulation routière de Nice en 1960 pour revenir avec plus d’insistance sur le besoin de création de ce bureau :

‘« Il n’est pas rationnel d’engager des sommes énormes pour l’exécution de travaux et d’imposer aux usagers des réglementations draconiennes, sans se baser sur des chiffres précis apportant la justification des uns et des autres. Les services municipaux ne sont pas équipés à l’heure actuelle, ni techniquement, ni administrativement pour ce genre d’études. La création d’un « bureau du trafic », groupant sous la direction d’un technicien, un matériel et un personnel (administratif et technique) spécialisés, apparaît indispensable. Des bureaux de ce genre fonctionnent déjà dans plusieurs grandes villes. Des enquêtes sont actuellement en cours à Dijon et Strasbourg en particulier, pour étudier les déplacements de groupes importants de travailleurs aux heures de pointe. La dispersion des efforts entre les services techniques, les services administratifs et la Commission municipale de la circulation ne peut subsister sans de graves inconvénients »1655.’

Parallèlement, au-delà des enjeux liés à la mise en place d’une structure technique et administrative s’occupant spécifiquement des enjeux de circulation1656, il s’agit aussi de réformer la commission municipale de circulation. Sur cette question, un rapport du 7 mars 1961 est adressé au Maire et transmis à l’adjoint Mercier1657. Il fait le point sur les opportunités de réorganisation de la commission municipale de circulation tant sur le plan de sa composition, de son fonctionnement et de ses attributions. Il met en avant deux possibilités : maintenir le système actuel, ou réformer le fonctionnement de la commission municipale de circulation.

Pour ses responsables, avec le développement de la circulation automobile, cette instance est amenée à traiter un nombre trop important de problèmes1658. De plus, son mode d’organisation et de rassemblement est devenu trop complexe. Son succès et son développement bloquent ses initiatives et ses capacités de réaction et d’action sur un plan strictement fonctionnel et opérationnel. Elle est en effet composée d’un nombre très important de membres et certaines de ses réunions ressemblent davantage à de grandes assemblées générales qu’à de véritables groupes de travail où il s’agit d’avancer sur des points et des problèmes concrets. De même, bien que cela favorise le travail de terrain sur des problématiques plus circonscrites, la mise en place de sous-commissions temporaires ou régulières nécessite également un suivi et une coordination d’ensemble. Dans cette configuration, la commission de circulation « générale » fait donc office de chambre d’enregistrement et de diffusion de l’information. Pour les principaux membres de la commission, il s’agit donc de reprendre le mode d’organisation de ces structures à la base.

Mais il faut attendre les élections du printemps 19651659 et l’arrivée d’une nouvelle équipe municipale pour que le président de la commission municipale de circulation reprenne en main ces réflexions. En poste depuis 1957, l’adjoint Mercier profite de ce renouvellement municipal pour réorganiser cette instance1660. Il sollicite en effet le Maire de Lyon afin qu’il prenne l’arrêté municipal du 25 mai 1965 portant organisation et fonctionnement de la commission municipale de circulation. Cet arrêté fixe les contours de la réorganisation de la commission municipale de circulation en créant un secrétariat permanent. Ce secrétariat a pour objectif de représenter la commission en comité restreint et devra se réunir le premier mercredi de chaque mois.

[Composition du Secrétariat permanent de la commission municipale de circulation de la Ville de Lyon]
Composition du Secrétariat permanent de la commission municipale de circulation de la Ville de Lyon
Le président de la commission municipale de circulation
Le chef de la 2ème Division
Le chef du 3ème Bureau de la 2ème Division
L’ingénieur principal du Service de voirie
L’ingénieur principal du Service de l’éclairage
Le Commandant de la Compagnie de Circulation
L’ingénieur délégué des ponts et chaussées
Le représentant de la Compagnie fermière du réseau des T.C.R.L.

Au-delà de ces séances régulières, certaines réunions exceptionnelles peuvent être organisées sur des problèmes qui seront exposés ensuite aux membres de la Commission de Circulation. La mission de ce nouvel organe consiste à étudier avec les Services Techniques de la Ville, ceux des ponts et chaussées et du Commissariat central les questions et les grands projets qui concernent les problèmes de circulation, afin de recueillir l’avis des organismes que représentent les membres de la commission1661. En même temps, il se substitue donc aux anciennes sous-commissions pour l’étude des questions mineures qui se posent à la commission de circulation. Les décisions qui en découlent doivent ensuite être soumises au Maire et au Conseil Municipal. Il s’agit également de permettre une coordination plus fine et plus directe de l’ensemble des groupes de travail et sous-commissions qui travaillent sur des thèmes précis.

Avec cette réorganisation, la commission de circulation « générale » devient officieusement et implicitement une sorte d’assemblée générale qui reprend l’ensemble des thèmes abordés par les structures qui la composent et qui rassemble, trois à quatre fois par an, l’ensemble des personnes intéressées par les problèmes de circulation en ville1662. Mais cette réorganisation ne suffit pas à faire taire les critiques1663. L’ACR relaie en effet au sein de sa revue l’image d’une commission trop nombreuse pour être efficace même avec la récente création du secrétariat permanent1664. A d’autres moments, le Club se plaint de ne pas voir ses positions, ses projets ou ses études suivis par la commission municipale. Depuis les années vingt, le stationnement reste alors le sujet le plus tendu suscitant des discordes entre la municipalité et l’ACR1665. Dans un autre registre, le Club profite des vœux qu’il transmet à partir de sa revue aux principaux responsables lyonnais à l’occasion de la nouvelle année ou d’une nouvelle prise de poste, pour leur suggérer des encouragements ou des améliorations des actions qu’ils mettent en œuvre1666.

La commission municipale de circulation continue donc de faire face à des réajustements de son organisation ou de ses missions. Ainsi, dans une lettre du 18 octobre 1968 adressée à tous les membres de la commission générale de circulation, le président, l’adjoint Marque, propose une redéfinition des objectifs de la Commission et de nouveaux liens avec le secrétariat permanent : « à partir d’octobre 1968 chaque membre de la Commission Générale de Circulation recevra le procès-verbal de la séance du Secrétariat permanent de la Commission municipale de Circulation qui a lieu tous les premiers mercredis du mois. Vous serez ainsi au courant des travaux effectués pendant ces séances ; vous aurez ainsi un aperçu de tous les problèmes qui peuvent être soumis et connaître les projets qui sont présentés en vue d’améliorer la circulation lyonnaise »1667.

Malgré les réformes engagées sur son mode de fonctionnement, le contexte des années soixante est difficile pour la commission municipale de circulation de la Ville de Lyon. Avec l’augmentation du parc automobile, les problèmes de gestion du stationnement1668 et la crise des transports en commun, la question des déplacements urbains devient de plus en plus problématique. Nous allons voir à présent comment les autres villes françaises traversent ces difficultés.

Notes
1645.

Cf. AML 1068 WP 064 et 1172 WP 022.

1646.

Nous reviendrons sur le déroulement et les enjeux propres à ces manifestations au cours de notre dernier chapitre.

1647.

Cf. AML 1068 WP 064.

1648.

Lettre du 17 décembre 1953 de l’Adjoint délégué au Maire de Lyon aux Maires de Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lille, Nice, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulon, Rennes, Nancy, Reims, Clermont-Ferrand, Limoges, Rouen, Le Havre, Grenoble, Roubaix, Dijon, Le Mans, cf. AML 1068 WP 064.

1649.

Au final 24 villes (Angers, Brest, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Le Havre, le Mans, Limoges, Marseille, Mulhouse, Nancy, Nantes, Nice, Reims, Rennes, Roubaix, Rouen, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulon, Toulouse, Vichy, Villeurbanne) plus Lyon, participent aux rencontres lyonnaises de mars 1955, dont 22 de plus de 100 000 habitants. Bordeaux et Lille sont les grands absents et Vichy, Villeurbanne, Brest, Mulhouse et Angers, villes plus modestes en nombre d’habitants, et non prévues dans le programme initial, se rajoutent aux villes pressenties.

1650.

Etabli sous forme de rapport par les services techniques de la Ville de Lyon, cf. AML 1068 WP 064.

1651.

Délibération du 19 mars 1956 qui autorise le Service Électromécanique à procéder à la mise au point d’un Bureau Central du Trafic (dans le cadre de la réforme de la Commission Municipale de Circulation et des Services Techniques Municipaux), cf. AML 1094 WP 0012.

1652.

Compte-rendu des cinquièmes semaines internationales d’études de la technique de la circulation routière à Nice réalisé par Boisselot, ingénieur principal du Service de Voirie, le 15 Novembre 1960, cf. AML 1068 WP 064.

1653.

Cf. Note manuscrite du 29 octobre 1959 à la suite du Rapport du 27 octobre de 1959, cf. AML 1094 WP 0012.

1654.

Cf. AML 1094 WP 0012.

1655.

Il est également écrit dans la marge : « Le bureau du trafic doit être autre chose que le service de comptage et des statistiques », cf. Compte-rendu des cinquièmes semaines internationales d’études de la technique de la circulation routière à Nice réalisé par Matthey le 15 novembre 1960 p. 9, AML 1068 WP 064.

1656.

Sur le plan municipal, cette structure sera laborieusement mise en place. Le 3ème bureau de la 2ème Division de la Mairie Centrale, appelé parfois avant 1939, « Bureau de la circulation », reste fonctionnellement le service concerné par cette mission. Mais c’est seulement à partir de 1969, qu’une branche de ce bureau est officiellement appelée « Bureau du trafic », à laquelle on attribue de nouveaux locaux et du matériel permettant notamment des études de comptage. Voir sur ce point le Rapport du 7 février 1969 sur « Locaux mis à la disposition du bureau du trafic » et la Lettre du 4 décembre 1969 du Directeur du Service de l’Architecture au Maire de Lyon, cf. 1086 WP 62. Par contre, du côté du service ordinaire des ponts et chaussées, un bureau du trafic routier est mis en place en 1956 aux côtés du Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées. Il devient en 1959 le bureau régional de la circulation, antenne régionale du SERC. Il fait partie avec le LRPC et la Division d’études des tunnels de l’Organe Technique Régional créé à Lyon en 1965 qui devient en 1970 le Centre d’Etude Technique de l’Equipement.

1657.

Cf. AML 1094 WP 0012.

1658.

Voir AML 1068 WP 064 et 1094 WP 0012.

1659.

Les périodes de renouvellement du Conseil municipal sont marquées par les sollicitations des anciens membres de la Commission municipale de circulation pour engager une reprise des travaux de la commission, tenter d’en faire partie ou continuer à en faire partie, comme en témoigne cette intervention en séance de la chambre de commerce de Lyon du 25 février 1965 : « Sur la suggestion de M. Dumond, la Chambre de Commerce décide de demander à la Mairie lorsque le Conseil Municipal aura été reconstitué qu’un siège lui soit réservé dans la Commission de la Circulation », cf. CR des Travaux de la CCL pour l’année 1965, p. 47.

1660.

C’est le dernier chantier important qu’il pilotera à la tête de cette structure puisqu’il quittera ses fonctions de président de la commission municipale de circulation en février 1966, remplacé par M. Marque.

1661.

Compte-rendu de la réunion du 9 février 1966 de la commission municipale de circulation, p. 2, cf. AML 1093 WP 55.

1662.

Coïncidence ou non, comme dans le cadre de la commission municipale de circulation, critiquée d’ailleurs par l’ACR pour le trop grand nombre de personnes qui y sont représentées, le nombre de membres de la commission de circulation de l’ACR diminue lui aussi au début des années 1960, passant de 50-70 membres dans les années cinquante à 18 membres en 1962 et 1963, cf. annuaires de l’ACR pour les années 1952, 1953, 1954, 1962, 1963 et 1965.

1663.

Voir sur ce point les entretiens réalisés avec Robert Batailly (11-01-2006) ou Colette Olivero (14-09-2004), conseillers municipaux, anciens membres de la commission municipale de circulation sous Pradel puis F. Collomb.

1664.

Voir l’article « En parlant un peu de circulation… et beaucoup de stationnement », Le Carnet de l’automobile, n° 166, novembre 1965, p. 5.

1665.

Voir l’article « Problèmes du stationnement, Perspective du compteur », Le Carnet de l’automobile, n° 168, janvier 1966.

1666.

Le rédacteur en chef du Carnet de l’automobile, Raymond Ergé, membre de l’ACR, présente ainsi en décembre 1965 les vœux du Club au président de la commission municipale de circulation, l’année où ce dernier a justement réorganisé le fonctionnement de cette structure. Ces vœux signalent à la fois les encouragements mais également l’impatience du Club vis-à-vis des améliorations à engager en matière de circulation urbaine, cf. Le Carnet de l’automobile, n° 167, décembre 1965.

1667.

Cf. AML 1065 W P012.

1668.

Voir sur ce point notre chapitre deux.