A) Les facteurs d’émergence de relais central et national

A partir des formes d’expertise développées pour gérer le problème du stationnement en ville, nous allons repérer comment certains acteurs s’organisent et se positionnement sur cette thématique centrale pour les municipalités. Il s’agira aussi de percevoir l’émergence d’autres configurations d’acteurs, en fonction des préoccupations locales et nationales, au niveau de la construction de parkings.

Pour Gabriel Dupuy, « le stationnement est le service de base pour l’automobiliste »2302. De fait, les voitures sont en stationnement 95% du temps, en moyenne. Cela pose des problèmes d’occupation des espaces privés et publics que les premiers urbanistes avaient déjà bien en tête. Ainsi la question du stationnement en ville apparaît-elle comme l’un des enjeux majeurs de la gestion et de l’aménagement urbain, dès les années vingt–trente, puis surtout à partir des années cinquante. Aux Etats-Unis, cette problématique et les premières solutions qui y sont apportées émergent dès les années vingt2303. A Paris, les premiers projets de réglementation et de construction de parkings apparaissent à la même période2304. En France, le cas parisien sera d’ailleurs très largement convoqué comme exemple2305 ou comme contre exemple2306 d’une politique d’aménagement de parkings en centre ville. On retrouve également à Lyon, avec cependant moins d’ambitions, de nombreuses discussions sur ce thème et quelques projets dès les années vingt, dans les séances du Conseil Municipal ou lors des réunions de la commission municipale de circulation.

Pour beaucoup d’acteurs engagés dans les politiques de déplacement dans les villes, cet enjeu reste aujourd’hui au centre des tensions liées à la gestion urbaine2307. Ainsi « le stationnement apparaît comme le lieu privilégié d’expression des contradictions de la ville »2308. A la charnière entre le champ urbain et celui des déplacements, il symbolise en effet la tension entre deux dimensions difficilement conciliables : la volonté de favoriser l’attractivité urbaine et en même temps la recherche de la maîtrise de la circulation2309. Mais à Lyon comme dans d’autres villes, avant l’aménagement de parkings urbains, d’autres besoins et équipements sont apparus plus urgents2310, notamment dans les années cinquante et soixante, où l’on s’est surtout préoccupé de la circulation des véhicules et du transit à l’intérieur de la ville. Il convient en effet de noter que de nombreuses raisons à la fois fonctionnelles, techniques, esthétiques voire sociales et politiques ont contribué à opposer circulation et stationnement2311. De manière plus ou moins schématique, l’augmentation du nombre d’automobiles a donc d’abord mis en évidence des problèmes de congestion. Le stationnement a nécessité des réglementations une fois que le nombre de véhicules était suffisamment important pour gêner l’organisation de la circulation et de l’espace public, c’est-à-dire à partir des années vingt. Mais en dehors des aspects souvent épineux qui concernent sa réglementation, ce n’est véritablement qu’à partir des années quatre-vingt dix que la construction de parkings devient à Lyon l’objet d’un programme d’action publique spécifique, autour duquel s’installe un large débat2312.

La question des parkings soulevée à Lyon dès l’entre-deux-guerres puis renouvelée dans les années cinquante, est donc devenue centrale, mais de manière tardive. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. D’une part, la taille de la ville, qui n’est pas identique à celle des villes où les réflexions en matière de stationnement aboutissent2313. D’autre part, l’émergence des problématiques routières portées très tôt dans la Ville de Lyon par les ingénieurs des collectivités locales puis par les ingénieurs de l’Etat semble à certains moments avoir conduit les responsables locaux à se focaliser sur les enjeux de circulation et de transit, en laissant parfois de côté les questions de stationnement2314. Ce contexte nous amène à dessiner les étapes de l’institutionnalisation d’une expertise en matière de stationnement. Au préalable, nous aborderons donc le contexte français de tentatives d’implantation d’une expertise en matière de stationnement. Nous verrons que si plusieurs pôles de compétences se distinguent, une première institutionnalisation des réflexions a lieu autour de certains ingénieurs des ponts, du fait de l’importance de leur réseau, du développement de services d’études et du soutien financier des structures étatiques. Ainsi nous montrerons comment certains ingénieurs des ponts et chaussées se mobilisent dans les années soixante pour soutenir et centraliser les enquêtes sur le stationnement apparues en France dès les années cinquante.

Notes
2302.

Cf. Dupuy G., La dépendance automobile, Symptômes, analyses, diagnostic, traitements, Economica, Paris, 1999, p. 126.

2303.

Voir Taylor C. P., Traffic Officers Training Manual, Chicago, National Safety Council, 1930.

2304.

Voir sur ce point Flonneau M., 2005, op. cit., pp. 117-119.

2305.

Voir « Circulation dans les agglomérations urbaines, Exemple de la région parisienne (La) », Techniques et sciences municipales, Novembre 1959, p. 341 ; ou Lebreton, J., « La circulation et le stationnement à Paris », Architecture Française, Vol. 261-262, 1964, pp. 61-63.

2306.

Voir LPA, « Villes et stationnement : qui doit investir et gérer ? L’exemple probant de « Lyon Parc Auto », société anonyme d’économie mixte », Brochure éditée en 1972, cf. Bibliothèque des AML 1 C 303.227.

2307.

En attestent les nombreuses mobilisations sur la politique de tarification de Lyon Parc Auto ou les préoccupations de certaines associations sur la construction de parkings en centre ville, comme la DARLY (se Déplacer Autrement dans la Région Lyonnaise), cf. entretien avec Pierre Grosjean (03-11-04), en charge des questions de stationnement pour la confédération d’associations DARLY.

2308.

Cf. Jarrige J.-M., Fourrier A.-M. et Thomas J.-N., Le stationnement privé au lieu de travail, facteur d’évolution de la mobilité et de la structure urbaine ?, Dossiers du CERTU, Lyon, janvier 1994, p. 9.

2309.

Cf. Perrin E., L’automobile en milieu urbain, op. cit., p. 687.

2310.

C’est le cas notamment pendant les Trente Glorieuses des politiques de construction de logements, voir sur ce point l’étude classique de Jean Lojkine, La politique urbaine dans la région lyonnaise, 1945 – 1972, Éditions Mouton, Paris, 1974.

2311.

Voir Belli-Riz P., avec la collaboration de Vayssière B. et Perrin E., Le stationnement résidentiel, enjeux et moyens d’une action publique locale, Rapport pour le compte du PUCA, Programme « Stationnement résidentiel », décembre 2000.

2312.

Pour la compréhension des enjeux contemporains, voir Ben Mabrouk T. et Gardon S., « Le recours aux savoir-faire locaux pour la construction de parkings en centre-ville », in Bardet F. (dir.), Institution des expertises urbaines dans la construction de l’action publique. Retour sur la métamorphose urbaine lyonnaise depuis les années 1960, Rapport pour le Plan Urbain Construction et Architecture, Vaulx-en-Velin, septembre 2005, pp. 117-135.

2313.

Néanmoins, comme nous le verrons, la topographie de la Ville de Lyon, et la densité des enjeux propres à la Presqu’île, entre Rhône et Saône, la rapprochent des préoccupations aiguës en matière de construction de parkings qu’on retrouve dans certaines villes côtières comme Nice ou Toulon.

2314.

Voir Bardet F. et Gardon S., 2008, op. cit.