1.1.3. L’accessibilité – au centre de la relation transport-urbanisation

La composante accessibilitése trouve au cœur de la relation transport-urbanisation. Elle influence la localisation des activités urbaines, déterminant l’utilité du choix de localisation des activités résidentielles et économiques dans le territoire.

Etant donnée sa complexité, la notion d’accessibilité fait l’objet de plusieurs propositions de définition et de mesure. Le choix d’une mesure ou d’une autre dépend finalement de l’objectif suivi par l’application envisagée.

De façon générale, l’accessibilité est une mesure de la séparation spatiale des activités humaines, ou bien de la facilité avec laquelle les activités peuvent être atteintes à partir d’une localisation donnée. Mais cette notion ne peut pas se résumer à une mesure de séparation spatiale, elle doit prendre en compte les coûts de transport et le motif du déplacement, qui est l’activité urbaine envisagée. Certains auteurs proposent même de construire des mesures d’accessibilité individuelles, sur la base de la théorie comportementale de l’individu.

Sous l’hypothèse d’une ville monocentrique, on peut avoir une première idée sur l’accessibilité en l’appréciant en termes de distance, coût ou temps d’accès au centre.Généralement, on considère que le temps de déplacement est une mesure plus adéquate pour apprécier le coût du transport que la distance. Il est à noter que la configuration géographique de certaines villes rende la distance physique difficile à utiliser pour approximer l’accessibilité.

Néanmoins, si on tient compte du fait que la plupart des déplacements constituent des moyens pour atteindre un objectif, pour effectuer une activité, une mesure de l’accessibilité qui reflète la distribution des activités à l’intérieur d’une ville semble pertinente, ou en tout cas plus adéquate et plus complète qu’un indicateur de distance, temps ou coût de transport, qui décrit simplement la facilité de parcourir une distance par un mode de transport donné.

En effet, il existe autant d’indicateurs d’accessibilité que de types d’opportunités : emplois, établissements d’enseignement, commerces, loisirs etc. Ensuite, la mesure de la séparation spatiale peut être exprimée de différentes façons : en termes de distance, de temps réel ou perçu, de coût, de coût (temps) généralisé, et cela implique de considérer les modes de transport utilisés.

Si on se réfère à l’accessibilité individuelle, Ben Akiva et Lerman (1979) considèrent que la perception de l’accessibilité varie en fonction des caractéristiques individuelles, du motif de déplacement, et finalement, ils affirment qu’on ne peut pas parler d’un indicateur mais d’indicateurs d’accessibilité.

En fonction de l’objectif envisagé et de la définition que l’on adopte pour l’accessibilité, on peut avoir plusieurs mesures, avec une diversité des éléments et de leurs combinaisons dans l’indicateur d’accessibilité.

Ainsi, si on veut mesurer le degré de connexion entre deux points, on parle de mesure d’accessibilité relative (partielle), qui reflète l’effort nécessaire pour se déplacer entre les deux points. En revanche, si on veut décrire le degré d’interconnexion entre un point donné et tous les autres à l’intérieur d’un territoire, on parle de mesure d’accessibilité totale (globale), qui indique un temps moyen d’accès à l’ensemble des opportunités sous contrainte du système de transport.

Deux approches se distinguent dans la démarche de mesurer l’accessibilité : l’approche gravitaire, dans laquelle l’indicateur d’accessibilité est une fonction directe du volume d’opportunités et inverse de la séparation spatiale par rapport à ces opportunités, et l’approche des mesures isochroniques, indiquant le nombre d’opportunités qui peuvent être atteintes dans une distance ou un temps donnés, qui sont souvent utilisées dans les études de planification urbaine. Une limite importante des mesures isochroniques est qu’elles ne rendent pas compte des perceptions et de l’effort des individus pour atteindre, avec un mode de transport, les activités et services de la ville (Bonnafous et Puel, 1983 ; Caubel, 2006). Cependant, ce type d’indicateurs présente un avantage pratique en termes de communication, étant « plus parlant ».

L’avantage des mesures gravitaires est qu’elles considèrent toutes les destinations possibles des déplacements et évitent ainsi la nécessité de faire des hypothèses subjectives et parfois aléatoires sur la frontière spatiale à considérer. En général, une mesure de l’accessibilité qui reflète la répartition des opportunités dans un territoire semble plus pertinente ou au moins plus complète que les indicateurs de distance, temps ou coût de transport, parce qu’elle exprime d’une manière synthétique l’accès (la proximité) de l’individu à toutes les activités et services.

La mesure de l’accessibilité la plus utilisée découle de celle proposée par Hansen (1959) :

A ik = ∑ j O jk f(c ij ) (1)

où :

A ik - l’accessibilité de la zone i aux opportunités de types k dans les zones j

O jk - une mesure des opportunités de type k offertes dans la zone j

c ij - une mesure de la séparation spatiale entre i et j

f(c ij ) - la fonction de résistance aux déplacements

En fait, Hansen traduit la mesure de l’accessibilité comme le produit entre une fonction d’attraction (les opportunités des zones de destination) et une fonction de résistance (la distance de déplacement). A partir de cette formule, on peut obtenir un ensemble de mesures de l’accessibilité, en fonction des types d’opportunités considérés (activités économiques, commerces, services, loisirs, etc.), de la façon d’exprimer la séparation spatiale (distance, temps ou coût), des modes de transport considérés ou de la façon de spécifier la fonction de résistance (les formulations les plus couramment utilisées sont du type hyperbolique – 1/d ou 1/d2 – et exponentielle négative – e-d).

Cette formulation proposée par Hansen a été remise en cause par certains auteurs, particulièrement en raison de la forte dépendance des résultats par rapport à la formulation de la fonction de résistance, dont les formulations ont l’inconvénient de pondérer très fortement les distances faibles et de manière très faible et uniforme les distances élevées.

Ben-Akiva et Lerman (1979) considèrent qu’elle élimine toute considération sur les bénéficiaires de l’accessibilité, les individus. Cette formulation de Hansen repose sur l’hypothèse que tous les individus d’une zone bénéficient du même niveau d’accessibilité. En effet, la perception de l’accessibilité varie en fonction des caractéristiques socio-économiques des individus. Ainsi, ils proposent une mesure de l’accessibilité basée sur l’approche de l’utilité aléatoire. Cette mesure serait l’espérance du maximum d’utilité que le consommateur pourrait obtenir dans une situation donnée :

A i = E(Max k U ik ) (2)

Une approche très intéressante est celle de Koenig (1974). Il propose une théorie économique de l’accessibilité qui cherche à évaluer l’utilité procurée par la possibilité d’accéder aux différents points d’intérêt de la ville par le réseau de transport. L’auteur part de l’insuffisance de la notion de coût généralisé, donnée par le fait qu’elle n’intègre que les facteurs négatifs (coûts monétaires, temps perdus), et donc elle ne peut pas traduire la satisfaction (utilité) ressentie par l’usager. La solution proposée par Koenig est d’associer à tout indicateur d’accessibilité les aspects positifs liés à l’amélioration de l’accessibilité. L’idée serait de mesurer l’utilité nette d’un déplacement pour un agent économique comme une différence entre la satisfaction attachée à la possibilité d’accéder à une destination donnée et le temps, l’argent ou l’inconfort qu’il faut « payer » pour s’y déplacer.

La théorie de Koenig s’appuie sur l’approche de la mesure de la satisfaction de l’usager de transport de Poulit (1974). Dans son indice de choix, Poulit propose qu’à toute progression linéaire du coût de transport soit associée une progression multiplicative des choix offerts à la destination. Mathématiquement, il propose donc de considérer le logarithme des ressources (biens) offertes pour exprimer la satisfaction de l’usager : A i = log(R j ). La satisfaction ressentie par l’usager, pour une liaison i – j, s’obtient en retirant le facteur négatif, c'est-à-dire le coût généralisé de transport c ij  :

A ij = log(R j e - C ij )(3)

L’indicateur (parfois appelé « logsomme ») proposé par Koenig pour mesurer l’accessibilité prend la forme suivante :

A i = log(∑ j R j e - C ij )(4) où :

A i – accessibilité (utilité, satisfaction) de l’individu par rapport à l’ensemble des choix possibles des activités de la ville

– constante d’ajustement

i – la zone de résidence de l’individu

R j – nombre de ressources de la zone j

C ij – coût généralisé du transport de la zone i vers la zone j

– paramètre de la sensibilité au coût généralisé (coefficient de conductance des modèles gravitaires)

L’accessibilité d’une zone doit tenir compte de l’ensemble de destinations possibles de ses déplacements générés.

Caubel (2006) propose un indicateur d’accès à un panier de biens. Cet indicateur est défini par le temps minimal pour accéder, depuis le lieu de résidence des individus, à au moins une activité de chaque type de services du panier avec un mode de transport donné. L’accessibilité est donnée par le temps maximal parmi les temps minimaux d’accès à au moins une activité de chaque type de services :

Accessibilité = Max(T min M (achats), T min M (santé), T min M (démarches), T min M (loisirs))(5)

avec M – mode de transport (VP ou TC)

Cette mesure donne une indication limitée sur la proximité des activités d’un lieu de résidence. Elle ne tient pas compte de la distribution et de la densité hétérogènes des activités et des individus, ni de leurs interactions au sein de l’espace urbain.

Un autre concept est celui de « prismes spatio-temporels » (Dijst et Vidakovic, 1997), qui tente de prendre en compte la dimension temporelle de l’accessibilité. Il s’agit de mesurer le volume d’activités potentiellement accessibles par les individus depuis un lieu donné de l’espace urbain, à un moment donné de la journée, sous les contraintes temporelles des individus et des activités. Le principe de ces prismes est que, pendant la journée, en fonction des contraintes spatiales et temporelles, le volume de ressources que peut atteindre un individu peut varier.

Hurd (1903) propose comme indicateur d’accessibilité la distance aux infrastructures de transport. Dans sa théorie, il postule que les aires résidentielles tendent à se développer le long des voies rapides. Elle est confirmée par l’étude de Asabere et Huffman (1996), qui évalue l’impact des infrastructures majeures de transport de la ville de Philadelphie sur les prix des logements. En utilisant comme indicateur d’accessibilité la distance à l’infrastructure, ils trouvent, par un modèle de régression hédonique, que la valeur des appartements diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne des grands axes. La conclusion qu’ils tirent c’est que les logements situés le long des grands axes de transport capitalisent davantage les gains d’accessibilité que les infrastructures plus éloignées.

Benjamin et Sirmans (1996) déterminent que la présence d’une station de métro augmente le prix des logements situés à proximité. Un autre constat c’est le fait que la modification de la valeur du sol se produit plus rapidement que les changements de l’occupation du sol et peut donc influencer la forme urbaine.

La théorie de la rente urbaine postule que le centre d’emploi est le premier facteur déterminant de la valeur des logements. Dans les centres d’emploi, les logements sont les plus chers et la densité de la population est la plus élevé.

Palmquist (1982) affirme que l’un des indicateurs d’accessibilité les plus utilisés serait la part de l’emploi dans un temps donné d’accès au centre (central business district – CBD). Mais on peut dire que cette approximation de l’accessibilité n’est raisonnable que dans la situation où on a des infrastructures desservant le centre.