1.2.2. La théorie de la microéconomie urbaine

Les apports de la microéconomie urbaine pour l’analyse des interactions entre transport et urbanisme sont significatifs. Elle offre des éléments très intéressants pour la compréhension de ces interactions dans le cadre du fonctionnement urbain global. Les contributions de Von Thünen (1826), Wingo (1961) et Alonso (1964) constituent les travaux fondateurs de ce champ, et cette direction a été continuée et développée par le courant de la Nouvelle Economie Urbaine.

Cette approche se préoccupe notamment des comportements des ménages en termes de choix de localisation résidentielle et de formation du prix foncier.

Alonso (1964) propose une transposition de la théorie de la localisation agricole de Von Thünen à la localisation résidentielle et des firmes urbaines, pour expliquer le fonctionnement interne de la ville. Pour cela, il construit une approche économique dans laquelle il cherche à relier la rente foncière à l’utilisation des sols.

Le modèle d’Alonso se base sur un certain nombre d’hypothèses ayant un caractère très réducteur. Ainsi, la ville est considérée circulaire, monocentrique et implantée sur une plaine isotrope. Le modèle monocentrique s’appuie sur l’hypothèse de base selon laquelle dans la ville, le centre attire la plupart de l’activité (l’emploi) de sa région et le résidentiel est situé autour de ce centre. Une autre hypothèse de cette théorie est que les décisions de localisation résidentielle et le prix du logement sont une fonction de l’accessibilité – coût de transport, du coût du terrain et du revenu du ménage.

Selon la logique proposée par Alonso, dans le jeu du marché résidentiel, les résidents sont en compétition pour les différentes zones, en accord avec leur disponibilité à payer pour accéder à ces zones (« bid rent theory »). La localisation des différents groupes relativement homogènes de la population doit être en accord avec le gradient de leur courbe « bid rent ». Les valeurs foncières résultent d’un arbitrage entre les coûts de transport et l’accessibilité. Les coûts de transport augmentent avec la distance au centre d’emploi (« central business district ») et sont identiques pour l’ensemble des ménages suburbains, et donc les rentes et les densités diminuent avec la distance au centre. L’augmentation des coûts de transport entraîne un accroissement de la pente de la rente de marché et une réduction de la taille de la ville. Inversement, lorsque les coûts de transport diminuent, la pente de la rente s’aplati, et la taille de la ville de la ville augmente, l’amélioration des transports abaissant les valeurs foncières au centre tout en les augmentant à la périphérie, ce qui favorise l’urbanisation de nouvelles surfaces.

Dans son approche, Wingo (1961) donne aussi un rôle central aux transports dans le fonctionnement urbain, en considérant que le marché foncier est conditionné par les transports urbains. Son apport essentiel c’est la prise en compte dans le modèle d’un coût généralisé de transport au lieu d’un coût de transport fonction linéaire de la distance au centre. Ce coût généralisé reflète l’ensemble des dépenses monétaires de transport et la valeur attribuée au temps de trajet. Il arrive à la conclusion que l’amélioration du réseau de transport entraîne une diminution des valeurs foncières et des densités résidentielles et une extension de la ville.

Face au caractère réducteur des hypothèses de ces modèles, divers auteurs ont tenté d’apporter des améliorations, en levant certaines hypothèses.

Mills (1967) a introduit dans son modèle le secteur des transports en tant que secteur de production.

Capozza (1973) considère deux modes de transport : le métro, qui doit être construit près du centre urbain, et la route, qui doit couvrir tout le territoire urbain.

Anas et Shyong Duann (1985) ont essayé d’intégrer l’effet de capitalisation du réseau de transport dans les biens fonciers et immobiliers, dans un modèle qui avait comme objectif de rendre compte de l’impact d’une amélioration des transports sur les valeurs des biens immobiliers en milieu urbain.

Ryan (1999) a souligné aussi que les hypothèses faites sur les coûts de transport et les distances dans le modèle initial sont valables que si les villes sont supposées monocentriques. Les villes polycentriques génèrent des schémas de déplacement difficilement prévisibles dans la mesure où les dessertes offertes par l’infrastructure peuvent ne pas satisfaire les besoins de certaines catégories de ménages ou de firmes. Dans ce cas, il est possible que les coûts de transport et la distance à l’infrastructure ne soient pas corrélés.

En dehors des hypothèses simplificatrices déjà évoquées, l’approche de la microéconomie urbaine présente certaines limites. De la Barra (1989) a identifié les principaux défauts : les consommateurs et les producteurs sont supposés disposer d’une information parfaite sur les conditions du marché, ils ont une mobilité à faible coût et peuvent apparaître et disparaître sans coûts, les fonctions d’utilité sont supposées déterministes, l’approche est trop agrégée (on raisonne sur un individu moyen) et a un caractère statique.

Malgré cela, les éléments de cette approche constituent, dans une mesure plus ou moins importante, les fondements théoriques pour les analyses et les modèles interactifs transport-urbanisme. Les modèles de la microéconomie urbaine apportent des éclairages essentiels sur le comportement des agents économiques dans la ville, sur les déterminants des choix de localisation des ménages ou sur l’impact des transports sur les formes urbaines.