1.3.2.2. Une proposition de classification des modèles LUTI

Il existe de nombreux modèles d’interaction transport-urbanisme (ces modèles sont connus dans la littérature sous le nom de modèles LUTI – Land Use Transport Interaction). Les différents modèles peuvent se distinguer selon certaines caractéristiques, et notamment selon la façon dont les variables, l’espace et le temps sont représentés dans le modèle, mais aussi selon certaines caractéristiques structurelles : la prise en compte de la dynamique, le type de structure causale intégrée, les types de fonctions utilisées, etc. Ils sont également très diversifiés du point de vue des fondements théoriques sur lesquels ils s’appuient, des techniques de modélisation qu’ils emploient, des variables qu’ils introduisent, de l’échelle géographique qu’ils retiennent, etc., chaque type de modèles ayant ses atouts et ses inconvénients. Par ailleurs, des travaux comme ceux de Hunt et al. (2005) ou de Waddell et al. (2001) essaient d’offrir une analyse avec un caractère comparatif des modèles LUTI, en se basant sur les particularités des différents modèles par rapport à certains critères.

Ces modèles sont donc très hétérogènes, et il est difficile de proposer une classification, car chacun combine différents principes et caractéristiques.

Cependant, la classification de ces modèles proposée par Simmonds, Echenique et Bates (1999) (figure n° 4) semble avoir fait l’objet d’un consensus dans la communauté des modélisateurs. En effet, l’intérêt de cette classification repose sur le fait qu’elle nous donne une image synthétique des modèles groupés en fonction de critères pratiques, liés à leur opérationnalité, comme l’objectif d’utilisation ou le caractère statique ou dynamique, plutôt que sur des aspects théoriques et méthodologiques spécifiques aux différents modèles.

Figure n°4 : Classification des modèles LUTI
Figure n°4 : Classification des modèles LUTI

Source : Simmonds, Echenique et Bates, 1999.

A un premier niveau de classification, compte tenu de l’objectif d’utilisation des modèles, on a deux groupes : les modèles d’optimisation et les modèles de prévision.

Les modèles d’optimisation ont été construits avec l’objectif d’optimiser les systèmes urbains, plutôt que de simuler les impacts des politiques de transport et d’aménagement sur l’évolution urbaine. Un modèle d’optimisation est conçu comme un outil qui vise à trouver un « design » qui optimise une certaine fonction urbaine, et donc il diffère nettement des autres modèles, qui répondent à un « design » défini par l’utilisateur, et sont traités séparément par la littérature des modèles d’interaction transport-urbanisme (Simmonds et al., 1999). Les modèles d’optimisation sont généralement utilisés à des fins de recherche ou dans une perspective de planification à long terme, mais ils sont souvent difficilement applicables à la réalité.

Dans le deuxième groupe, on a les modèles qui visent à simuler l’évolution future des systèmes urbains. Parmi ces modèles, on distingue deux classes de modèles : ceux statiques et ceux quasi-dynamiques.

Même si les modèles statiques visent à faire de la prévision, comme ceux quasi-dynamiques, ils s’appliquent à un moment donné dans le temps. La différence principale par rapport aux modèles quasi-dynamiques réside sur l’introduction de l’hypothèse d’équilibre et la non prise en compte de la dynamique d’évolution. La plupart des premiers modèles d’occupation des sols étaient des modèles statiques qui essayaient de prévoir la localisation de certaines variables en considérant les autres variables comme données. De tels modèles ne pouvaient donc pas représenter de façon réaliste les processus de changement urbains, qui par nature prennent un certain temps pour réagir à n’importe quel changement de situation. Ils sont cependant aujourd’hui retenus pour deux raisons principales : d’une part, ils sont un moyen de prendre en considération la dimension impact du système urbain sans pour autant s’engager dans un travail fastidieux de construction d’un modèle dynamique, et de l’autre, les modèles statiques représentent un état d’équilibre dont l’intérêt est de caractériser, voire quantifier les déséquilibres qui sont à l’origine des processus de changement urbain.

A l’inverse, les modèles quasi-dynamiques fonctionnent sur plusieurs périodes de temps, ainsi ils peuvent prendre en compte les changements du système des transports qui nécessitent généralement plus d’une période de temps pour avoir un impact sur l’occupation du sol. Dans ces modèles, le système urbain est en état de déséquilibre dynamique, qui tend vers l’équilibre théorique jamais atteint.

Au dernier niveau de la classification, ce sont surtout les éléments théoriques qui différencient les modèles quasi-dynamiques. Toutefois, les auteurs font la remarque qu’il est très difficile de grouper ces modèles, à cause du fait que chacun d’entre eux est complexe et combine plusieurs éléments théoriques. Ainsi, selon ces auteurs, on distingue les modèles basés sur l’entropie, les modèles spatiaux-économiques et les modèles « activity-based ».

Les modèles basés sur l’entropie sont construits notamment sur le principe de maximisation de l’entropie (Wilson, 1970). Ils permettent, dans une situation d’information imparfaite, de déterminer la tendance la plus probable d’un système, qui correspond à sa condition d’équilibre. Appliqué à la problématique des interactions entre transport et urbanisme, ce principe permet de définir la configuration la plus probable des déplacements et celle qui associe les localisations d’emplois et de résidences de chaque individu.

Les modèles spatio-économiques cherchent à inscrire les phénomènes socio-économiques dans leur dimension spatiale, en intégrant dans un cadre spatial des modèles économiques indépendants. Fondés du point de vue théorique notamment sur l’analyse entrée-sortie de Leontief, leur structure correspond aux standards de l’économie traditionnelle, dans la mesure où ils représentent les mécanismes économiques du marché afin d’aboutir à l’équilibre entre offre et demande à la fois pour les comportements de localisation et de déplacement.

Les modèles dits « activity-based » - modèles qui se basent principalement sur la représentation des différents processus qui affectent les différents types d’activités considérées - sont actuellement les modèles les plus appréciés, grâce à leur structure théorique solide (notamment l’intégration des éléments de la théorie de l’utilité aléatoire), et ils sont largement utilisés dans les simulations urbaines en Etats-Unis et en Europe. Cherchant à estimer la localisation des différentes activités et à identifier les déterminants des choix de localisation, ils considèrent le transport comme une demande dérivée, c’est-à-dire dérivée du besoin de poursuivre les activités distribuées dans l’espace. Ils reconnaissent les interactions complexes dans les comportements d’activité et de déplacement. Une importante caractéristique de ces modèles basés sur l’activité est qu’ils incorporent les effets des variables sociodémographiques des ménages, ce qui permet d’examiner les modifications des schémas de transport à travers le temps causés par les changements sociodémographiques.

Les tableaux suivants présentent, pour chacune des classes de modèles de prévision, des exemples représentatifs de modèles avec leurs applications, la modalité d’articulation entre transport et urbanisme, qui rend compte du degré d’intégration des deux composantes (modèle intégré – les matrices origine-destination de déplacements sont déterminées à l’intérieur du module d’utilisation des sols versus modèle connecté – le module de transport est connecté à un modèle de localisation, mais les deux fonctionnent de façon indépendante) et leur niveau de résolution spatiale, qui indique le degré de flexibilité du modèle en ce qui concerne la définition du zonage qui peut être considéré.

Parmi les modèles statiques, on a des modèles comme DSCMOD (Simmonds, 1991) ou MUSSA (Martinez, 1992) (tableau n° 1). (Le modèle MUSSA fera l’objet d’une présentation plus détaillée dans la section 1.3.3.)

Tableau n°1 : Modèles statiques
Modèle Application Degré d’intégration Résolution spatiale
DSCMOD (Simmonds, 1991) Edinburgh
Bristol
Merseyside (Liverpool)
Dublin
Sao Paulo
connecté faible résolution spatiale
MUSSA (Martinez, 1992) Santiago du Chili intégré toute résolution spatiale

LILT (Mackett, 1979, 1983) et DRAM/EMPAL (Putman, 1995) font partie de la famille des modèles quasi-dynamiques basés sur l’entropie (tableau n° 2). (Le modèle DRAM/EMPAL sera présenté dans la section 1.3.3.)

Tableau n°2 : Modèles quasi-dynamiques basés sur l’entropie
Modèle Application Degré d’intégration Résolution spatiale
LILT
(Mackett, 1979, 1983)
Leeds connecté  
DRAM/EMPAL (Putman, 1995) Etats-Unis – début des années ‘90 connecté zones de trafic

Les modèles quasi-dynamiques spatio-économiques les plus connus sont MEPLAN (Echenique et al., 1990), TRANUS (de la Barra et Perez, 1982) et MENTOR (Echenique et al., 1998) (tableau n° 3). (MEPLAN et TRANUS seront les modèles présentés dans la section 1.3.3.)

Tableau n°3 : Modèles quasi-dynamiques spatio-économiques
Modèle Application Degré d’intégration Résolution spatiale
MEPLAN (Echenique et al., 1990) San Sebastian
Londres
Tunnel sous la Manche
etc.
intégré le zonage peut varier entre quelques centaines de mètres et le diamètre d’une commune (applications à l’échelle communale)
MENTOR (Echenique et al., 1998) Cambridge intégré le zonage peut varier entre quelques centaines de mètres et le diamètre d’une commune (applications à l’échelle communale)
TRANUS
(de la Barra et Perez, 1982)
Caracas
Bruxelles
etc.
intégré n’importe quel degré de résolution spatiale (applications à l’échelle communale)
METROSIM (Anas, 1982) Région métropolitaine de New-York
Chicago
San Diego
intégré zones de trafic

La famille des modèles quasi-dynamiques basés sur l’activité est représentée par des modèles comme IRPUD (Wegener, 1983, 1998) ou URBANSIM (Waddell, 1994) (tableau n° 4). (L’exemple présenté dans la section 1.3.3. est celui du modèle IRPUD.)

Tableau n°4 : Modèles quasi-dynamiques « activity-based »
Modèle Application Degré d’intégration Résolution spatiale
IRPUD (Wegener, 1983, 1998) Aire métropolitaine de Dortmund connecté faible résolution spatiale
URBANSIM (Waddell, 1994) Aire métropolitaine de Eugene-Springfield connecté tous types de résolution spatiale