2.1.2. Le modèle de base et ses extensions

La théorie de la microéconomie urbaine fournit un cadre d’analyse pertinent pour l’étude du comportement des agents économiques dans la ville. Même si les hypothèses sont relativement simples, les modèles fondés sur cette théorie apportent des aspects essentiels pour la compréhension des comportements des ménages, des déterminants de la localisation résidentielle, de l’impact du transport sur les formes urbaines.

Selon la théorie de l’économie urbaine, la localisation des ménages résulte d’un arbitrage entre accessibilité au centre (où sont localisés les emplois) et le prix du logement, qui diminue avec la distance au centre (Fujita, 1989). Cet arbitrage s’exprime à travers un mécanisme d’enchère foncière. Chaque localisation étant attribuée au plus offrant, on aboutit, dans un espace homogène, à la formation des courbes de rente foncière (courbes d’enchère) décroissantes avec la distance au centre.

Le modèle de base de choix résidentiel, développé notamment par les travaux d’Alonso (1964), Mills (1967) et Muth (1969), postule que la structure d’équilibre d’utilisation du sol est déterminée par l’arbitrage effectué par les ménages entre la rente foncière et l’accessibilité au centre de la ville, lieu de concentration des emplois. L’inclination à substituer de l’espace à l’accessibilité diffère entre les ménages car ils ont des revenus et des niveaux d’accès différents dépendant de leurs activités. La demande de logement résidentiel va s’orienter vers les zones permettant d’accéder efficacement au centre, lieu de concentration des emplois, des loisirs ou des centres d’achats. Le prix du sol est donc le résultat d’une position plus ou moins favorable par rapport à ce lieu d’attraction.

Le modèle d’Alonso se base sur certaines hypothèses relatives à la représentation de l’espace urbain, aux caractéristiques des agents économiques, aux types de déplacements et au marché foncier. La ville, supposée monocentrique et circulaire, est considérée comme un système fermé, ce qui permet de se concentrer sur des problèmes spécifiquement urbains. Les sols urbains sont supposés libres d’utilisation et de qualité uniforme. Le prix du sol est décroissant avec la distance au centre (CBD). Les agents économiques (les ménages) sont considérés comme ayant le même revenu et les mêmes préférences. Les déplacements, effectués uniquement par les salariés du ménage, sont des déplacements aller-retour au CBD. La configuration de la voirie est radiocentrique. On a un seul mode de transport – l’automobile. Le marché du foncier fonctionne en concurrence pure et parfaite, s’y déroulent en permanence des enchères. Les ménages disposent d’une offre de rente décroissante par rapport à la proximité au centre.

Etant données ces hypothèses, les différents types de localisation ne se distinguent entre elles que par leur distance au centre, ce qui fait que le choix de localisation se réduit à un choix d’une distance au centre.

Dans ce modèle, conformément à la théorie néoclassique du consommateur, le ménage cherche à maximiser son niveau d’utilité sous contrainte de revenu et prix. Le logement, c'est-à-dire le bien consommé par le ménage, est défini par sa superficie, le transport vers le lieu d’emploi au centre-ville, et une complexité des autres biens non spatialisés.

Suite à l’application de son modèle, Alonso trouve que la généralisation de la voiture particulière peut augmenter le confort des déplacements, mais augmente également ses coûts. Par contre, l’augmentation de la population de la ville peut induire des économies d’échelle sur les moyens de transport et en diminuer le coût, mais augmenter la congestion et la pénibilité. Il explique aussi que, dans les villes américaines, une forte préférence pour la consommation du sol conduit les ménages les plus aisés à se localiser en périphérie. Une éventuelle augmentation de la population va accroître la demande de sol dans la ville et, finalement, un accroissement de sa superficie, une hausse de la rente foncière et une augmentation de la densité urbaine.

Le modèle d’Alonso est trop réducteur : il suppose un espace homogène qui n’est pas compatible avec les espaces urbains réels complexes, l’accessibilité est représentée uniquement par une distance au centre et le système de transport est restreint à un seul mode de transport (routier) et un seul motif (déplacements domicile-travail).

C’est pourquoi, divers auteurs ont essayé d’améliorer ce modèle, mais il faut noter que ces extensions ne remettent pas en cause les grands résultats du modèle initial.

Les extensions et les formulations proposées ont eu comme objectif d’améliorer le réalisme du modèle, mais la complexité inhérente à toute analyse spatiale limite le nombre d’hypothèses susceptibles d’être relâchées.

Wingo (1961) propose d’approfondir les effets du système de transport sur la distribution spatiale des valeurs foncières et des densités résidentielles, par une étude des coûts généralisés de transport intégrant la valeur du temps de déplacement.

Dans la plupart des modèles de la Nouvelle Economie Urbaine, le réseau de transport est envisagé en termes de surface de voirie, le partage de l’usage du sol étant calculé comme un rapport entre la surface de voirie et la surface totale.

Capozza (1973) propose un modèle d’équilibre spatial où il essaie de démontrer l’avantage d’une complémentarité entre modes de transport. Le modèle considère deux modes de transport : la voiture particulière et le métro. L’auteur montre que la « ville routière » est moins dense, plus étalée, plus suburbanisée et plus congestionnée que la « ville métro ». Outre cet effet d’extension de la ville en périphérie, il y a un impact important sur le prix du logement. Dans les villes mixtes, la population résidant dans la zone la plus proche du centre utilisera le métro, tandis que les habitants de la zone périphérique utiliseront à la fois la voiture et le métro, ce qui est considéré comme le plus efficace.

Les conséquences de la congestion sur la rente foncière et la densité résidentielle ont été étudiées par Solow (1972). La densité du trafic est une fonction décroissante de la distance au centre. L’introduction de la congestion dans le modèle détermine l’augmentation de degré de convexité des profils de rente. En ce qui concerne la densité résidentielle, elle est une fonction décroissante et convexe par rapport à la distance au centre. L’introduction de la congestion dans le modèle fait que le degré de convexité s’élève suite à l’introduction des coûts associés à la congestion.

Alonso (1964) introduit une variable d’aménités dans la fonction d’utilité des ménages, dans un modèle de choix résidentiel avec externalités, repris par Beckerich (1997). Dans le modèle avec aménités, le comportement des ménages en termes de choix de localisation résidentielle se traduit par un arbitrage entre distance au centre et aménités et type de logement. L’offre d’un bien public local (par exemple, la création d’une nouvelle ligne de métro) peut modifier les aménités et l’accessibilité dans sa zone. Ainsi, un logement situé à proximité devrait avoir une valeur supérieure après la création de cette nouvelle offre de transport (on dit que le prix foncier et immobilier capitalise la valeur des biens publics).

Richardson (1977) introduit d’autres éléments dans la détermination de la rente foncière. Il parle de rente d’externalités associée aux faibles densités pour lesquelles les ménages peuvent avoir des préférences. Du fait que la densité diminue avec la distance au centre, la rente d’externalités va être une fonction croissante de cette distance.

Papageorgiou (1973) aborde la question des préférences spatiales en termes de qualité de l’environnement. Cette qualité de l’environnement est conçue comme présence d’attributs qui peuvent avoir un impact positif (les aménités) ou négatif (les nuisances).

Fujita (1989) a repris ces travaux en introduisant dans l’arbitrage des ménages en termes de choix de localisation résidentielle les externalités et l’anisotropie des localisations.