2.3. La modélisation des choix résidentiels : la théorie des choix discrets

Le processus de décision en matière résidentielle est complexe. En outre, il est un choix interdépendant à d’autres choix, comme celui du mode de transport pour se rendre au travail, par exemple. Dans ce cas, il n’existe pas un sens clair de la relation de causalité entre ces deux choix, la causalité peut s’établir dans les deux sens simultanément, les choix étant donc interdépendants. La décision de déménager ou celle de se localiser dans une zone donnée sont aussi influencées par d’autres choix du ménage : celui de devenir propriétaire ou locataire de son logement, ou celui de vivre dans une maison individuelle ou dans un appartement. Un exemple dans ce sens c’est que le désir d’être propriétaire d’une maison individuelle explique en grande partie les choix de localisation des ménages en zone périurbaine.

Une source supplémentaire de complexité est donnée par la multitude de variables qui peuvent influencer ce choix. En dehors des facteurs majeurs et aisément identifiables et mesurables, il faut aussi prendre en compte des facteurs difficiles à quantifier et fortement subjectifs, tels que les préférences des ménages ou leurs opinions en matière d’externalités sociales de localisation (l’apparence, la possibilité de lier des connaissances, etc.). Les sociologues ont également mis en évidence que l’individu ou le ménage ne prend pas ses décisions uniquement en fonction de ses propres caractéristiques à un moment donné, mais aussi en fonction d’autres critères sociaux, psychologiques, affectifs (comme l’attachement à un lieu, l’appartenance à un groupe de référence, à une communauté d’origine).

On voit donc que, dans leurs décisions en matière résidentielle, les ménages disposent d’un certain niveau de liberté d’action et de rationalité, mais sans avoir un contrôle absolu de la situation. On a ainsi une vision déterministe, liée aux critères quantitatifs et qualitatifs que l’on peut mesurer, et à la fois une vision stochastique, liée aux critères affectifs ou émotionnels (Des Rosiers, 2001).

Si on regarde en dynamique, on voit que les facteurs déterminants peuvent se modifier parallèlement à l’évolution de la société. Dans de nombreux modèles urbains, la localisation de l’emploi constitue le noyau dur du choix de localisation résidentielle. Toutefois, sous l’influence d’autres facteurs, la localisation du domicile tend à se desserrer par rapport à celle du travail pour un grand nombre de ménages. Cette tendance est mise en évidence par les chercheurs, comme Andan et alii (1999) qui avancent l’idée que la localisation du logement semble de plus en plus indépendante de la localisation du travail, comme si l’échelle des choix de localisation des entreprises et des ménages devenait de plus en plus large. L’explication de ce phénomène se trouve dans le fait que l’offre d’habitat se développe là où les conditions de marché sont les plus favorables au niveau de la rente et de la disponibilité des terrains à bâtir, dans l’apparition de nouveaux comportements des ménages tels que les nouveaux modes de vie, l’accession à la maison individuelle. La résidence est davantage choisie pour ses qualités intrinsèques répondant aux nouveaux modes de vie des ménages que pour la proximité au lieu de travail, même s’il faut souligner que la contrainte de temps de déplacement reste un critère déterminant.

Face à cette complexité du processus décisionnel des ménages, la modélisation des choix résidentiels passe par une simplification. Même si la logique des choix résidentiels pouvait être suffisamment bien comprise dans un modèle, en pratique celui-ci serait trop lourd à utiliser et extrêmement coûteux en termes de données. Il faut donc établir ce qui doit être modélisé de façon à simplifier suffisamment le problème afin de développer un modèle opérationnel.

Dans cette section on va présenter de manière détaillée la technique des modèles de choix discrets fondée sur la théorie de l’utilité aléatoire. Cette approche a été privilégiée pour un certain nombre de raisons. D’abord, il s’agit d’une approche qui fait recours à des éléments théoriques solides de la microéconomie urbaine et de la théorie de l’utilité aléatoire (approche probabiliste, qui a l’avantage d’éliminer les restrictions de l’approche déterministe). Ensuite, s’agissant d’une technique de type économétrique désagrégée, elle est bien adaptée pour répondre à notre objectif de modéliser les comportements (choix) résidentiels au niveau désagrégé du ménage, en prenant en compte les nombreuses variables (facteurs) explicatives des choix résidentiels. De plus, on a pu constater dans la présentation des différents modèles d’interaction transport-urbanisme qu’il existe une tendance évidente d’intégration progressive de cette technique dans leur construction. (A noter que dans la plate-forme de modélisation URBANSIM – choisie pour être utilisée dans le projet SIMBAD (Simuler les Mobilités pour une Agglomération Durable), dans lequel s’inscrit cette thèse – la localisation (résidentielle et des activités) est modélisée par cette technique (on va développer ces aspects dans un chapitre ultérieur).)