13.3 - Imitation, développement affectif, développement cognitif, communication :

L’imitation a été beaucoup étudiée par les développementalistes quoique dans des perspectives un peu différentes selon les auteurs. J. PIAGET (1945), insiste sur l’imitation différée comme signature de la capacité à représenter. H. WALLON a perçu l’enjeu de maturation affective en décrivant toutes les nuances des duplications dans le processus d’individuation (duplication immédiate → mimétisme affectif → sympathie → transitivisme). J. NADEL (1986) a, quant à elle, très bien montré l’importance de l’imitation « immédiate ou synchrone », forme comportementale transitoire, utilisée par l’enfant pour communiquer avec des pairs dans la période qui précède juste l’acquisition du langage. Entre 18 mois et 4 ans, cette phase transitoire correspond à un besoin de similitude pour interagir (J. NADEL, 1986, P. M. BAUDONNIERE, 2000). L’enfant de 2- 3 ans s’intéresse à son modèle contrairement au singe. Vers 3 -4 ans apparaissent les imitations pris dans le jeu de faire-semblant avec un pair, mais ces formes de jeux imitatifs sont possibles dès 18 mois avec l’adulte. Si les imitations visent à établir les conditions de la communication vers 2-3 ans, à 5-6 ans, son utilisation sous forme de moquerie apparaît. Toutefois, le contexte compte pour une bonne part : les imitations immédiates se rencontrent plus souvent, à cet âge, dans l’intimité d’une relation à deux, tandis que les imitations de « faire-semblant » nécessitent des spectateurs ou au moins l’interiorisation d‘un regard exterieur. Les auteurs situent donc ces dernières formes comme conditionnant l’accès à la culture mais aussi à une certraine forme de conscience de soi et d’autrui.

Des travaux plus récents de J. NADEL, J DECETY, C. POTIER (2002) relient la question de l’imitation, au cours du premier développement, aux hypothèses actuelles sur la « théorie de l’esprit »184 et sur l’intentionnalité, notion que l’on devrait du reste pouvoir rapprocher facilement du concept de « désir » dans la théorie psychanalytique. Je cite J. NADEL et C. POTIER (2002) :

‘« […] l’imitation, tout au long du premier développement, exploite différentes ressources liées aux capacités de discrimination sociale et d’exécution contrôlée de l’action. De ce fait, elle a toutes les propriétés pour jouer transitoirement mais efficacement un rôle de matrice et de chef d’orchestre coordonnant différents processus qui tous concourent à la fondation d’une capacité à comprendre l’autre comme intentionnel» (p.100).’

Mais elles précisent que ceci passe par un fait fondamental qui est la possibilité de reconnaissance d’être imité, ce qui rattache la problématique de l’imitation à celle de l’agentivité, au jugement d’attribution de l’action (voir par exemple N. GEORGIEFF et M. JEANNEROD, 1998). L’analogie avec l’identification à son propre reflet dans le miroir nous engage à situer les imitations du côté de la construction de la réflexivité. Enfin, d’un point de vue cognitif, il semble que l’imitation, chez le bébé, ne soit pas utilisée dans le temps où il cherche à comprendre mais plutôt pour s‘accorder avec autrui ou dans un temps, du coup à considérer comme distinct, qui est celui de l’appropriation.

Lorsque D.N. STERN (1985) se questionne sur l’imitation comme moyen de l’inter-affectivité dans la relation mère-bébé, il fait d’abord le constat que quand la mère imite son bébé, celui-ci n’en conclut pas pour autant qu’elle éprouve les mêmes expériences internes que lui. La mère introduit sans cesse des « thèmes et variations ». Mais vers 9 mois, la mère élargie son comportement vers les « accordages affectifs » qui, selon lui, est un genre d’imitation transmodale où ce qui est rendu, ce n’est pas le comportement mais un aspect du comportement qui reflète l’état émotionnel de la personne. « L’imitation traduit la forme, l’accordage traduit la sensation » (p.186). A propos de l’idée d’une possible contagion de l’affect, et du rapport entre l’accordage affectif et l’empathie, l’auteur remarque qu’ils ont partie liée du côté de la résonance affective mais que l’empathie suppose des processus cognitifs. En revanche l’accès aux imitations différées nécessite 5 aptitudes, les trois premières étant acquises généralement vers 18 mois, les deux suivantes après.

‘« Le soi est devenu une catégorie objective aussi bien qu’une expérience subjective » (p.212).’
Notes
184.

NADEL J. , DECETY J. et al. , 2002 – Imiter pour découvrir l’humain  : psychologie , neurobiologie, robotique et philosophie de l’esprit. Paris , PUF