Les sentiments d’appartenance(s) constituent l’un des aspects (collectifs) de l’identité et donc du sentiment de Soi. A. Mucchielli pense que le sentiment d’appartenance prend ses sources « dans la relation primitive du nourrisson avec sa mère, puisqu’on sait que dans son état premier, le nourrisson ne se distingue pas de sa mère », et découle tout autant du fait que l’être humain est un être social25. Pour l’adulte, le sentiment d’appartenance est avant tout ce qui définit l’image qu’il projette dans la société, c’est-à-dire son statut. Selon le sociologue Guy Rocher, « Appartenir à une collectivité, c’est partager avec les autres membres assez d’idées ou de traits communs pour se reconnaître dans le « nous » (Rocher, 1968). Le sentiment d’appartenance ne peut pas se former isolément chez l’individu. Pour pouvoir partager ses idées avec les autres membres, l’individu doit être d’abord accepté et reconnu par ces derniers. Selon J. C. Turner, « … l’appartenance à un groupe particulier en ce qui concerne ses fonctions d’identité sociale est reliée à une évaluation positive de ses attributs par comparaison aux autres groupes : on peut dire que les dimensions importantes de la comparaison sociale du point de vue de l’identité sociale sont celles qui sont associées à des valeurs dont la plupart sont des productions culturelles 26 ».
Il y a des moments dans l’existence où, plus ou moins brusquement, l’individu prend du recul par rapport à ses groupes d’appartenance, ou certains d’entre eux. Il commence à s’y sentir moins bien, à remettre en question la signification qu’ils avaient pour lui, à les critiquer, et parfois à vouloir les quitter. On observe ce phénomène après la dissolution de l’URSS, dans toutes les ex-Républiques soviétiques, chez certains Russes et les autres russophones non-Kazakhs dont le statut d’anciens privilégiés a été dévalué. La dévalorisation de l’image des Russes et de leur rôle dans l’histoire du Kazakhstan après l’indépendance, leur moindre participation à la vie sociale expliquent leur manque de sentiment d’appartenance à ce pays qui est pourtant leur patrie.
Le souhait d’entrer dans un nouveau groupe conduit à l’idée qu’il va falloir modifier quelque chose dans sa manière d’être, d’agir et peut-être de penser. Pour changer de groupe et de faciliter son intégration dans le nouveau, l’individu prend le risque de ne plus être en conformité avec son groupe d’appartenance.
Il optera pour cette démarche d’autant plus volontiers :
Autrement dit, comme le remarquent V. Aebischer et D. Oberlé (1998), « les groupes de référence nous fournissent des repères de comparaison qui nous permettent de nous évaluer ; d’autre part, ils nous proposent des normes et des modèles qui influencent nos attitudes et nos opinions… Parfois cependant, la comparaison avec d’autres groupes que ceux auxquels on appartient aboutit au résultat inverse : elle confirme que tel ou tel groupe d’appartenance est bien un groupe auquel on tient, qui a de l’importance pour nous, auquel nous avons envie de continuer à nous référer27 ».
Dans la situation d’interculturalité, où la rencontre de la différence et de la similarité conjointes est un facteur clé de l’identification qui peut produire, selon les conditions, un renforcement d’un sentiment d’appartenance « déjà là » et/ou un développement puissant d’un sentiment « nouvelle », de telles relations révèlent et provoquent ainsi différents processus positifs et négatifs de changements culturels, donc, au moins partiellement, de changement d’identité. Selon Camiller (1986), la notion de stratégie identitaire permet de rendre compte des attitudes et comportements, conscients ou inconscients, adoptés lors de ces processus. Dans le cas de processus négatifs, on distingue les phénomènes de réflexivité relativisante (« prise de conscience distanciée »), de synthèse (« articulation cohérente de traits provenant de cultures différentes ») et d’intégration (« acquisition d’un sentiment d’appartenance nouvelle sans perte des appartenances préalables »). Il est important de souligner que, puisque les appartenances sont normalement multiples pour un seul et même individu, une appartenance nouvelle produit une synthèse nouvelle (une hybridation, un compromis, un métissage) avec les identités « déjà existantes » de cette personne.
A. Mucchielli (1986) L’identité, Paris, PUF, p. 49.
J. C. Turner Comparaison sociale et identité sociale : quelques perspectives pour l’étude du comportement intergroupes, p. 154 in W. Doise (1979) Expériences entre groupes, Paris, Mouton.
V. Aebischer, D. Oberlé (1998) Le groupe en psychologie sociale, Paris, Dunod, p.52-53.