1.2.Le terme « ethnie »en question

Notre recherche est très étroitement liée avec la catégorisation ethnique et c’est pourquoi nous voulons éclairer le terme « ethnie » qui représente l’une des formes de l’identification collective. Dans les thèses philosophiques du XVIIIe siècle, les ethnies étaient perçues, comme « … proches de l’état de nature, incapables de surmonter leurs pulsions violentes et par là soumises à l’anarchie, aux fussions, en même temps qu’à la stagnation matérielle. Bref, des sociétés a-politiques, a-économiques, sans histoire, incapables d’évoluer par elles-mêmes»(M. Segalen, 2001)31. Dans les sciences sociales, le concept d’ethnicité ne s’est finalement imposé que dans les années 1980 : avec la publication de la revue Ethnicity et d’un grand nombre d’ouvrages traitant de la question. G. Vinsonneau (2002) le définit comme « complexe amalgamant un ensemble de facteurs d’appartenances diverses : socio-économique, culturelles et physiques (couleur de peau…). Ce concept ambigu est fréquemment invoqué, à des fins idéologiques, pour rendre compte des phénomènes socio-économiques et culturels qui précisément le fondent, aussi bien que des dynamiques identitaires qui s’y rapportent 32 ». Chaque discipline donne sa vision sur l’ethnie : les ethnologues considéraient ce concept comme l’étude des « sauvages » des pays lointains ; les folkloristes recueillaient les us et coutumes des communautés paysannes ou des peuples « archaïques » ; les sociologues se fixèrent comme tâche l’analyse des phénomènes sociaux et des institutions, tels que les uns et les autres se développaient au sein des sociétés modernes, industrialisées. G. Vinsonneau (2002) souligne que le concept d’ethnicité s’est érigé en instrument possible d’analyse psychosociale au moment où la catégorie d’appartenance ethnique s’est avérée pertinente pour exprimer les revendications des acteurs sociaux, leur loyauté et leurs droits collectifs33.

En français, le mot ethnie est apparu en 1896 grâce à G. Vacher de Lapouge (Les sélections sociales, 1896) et fut appliqué à des populations qui étaient éloignées dans l’espace et perçues comme « primitives ». G. Vacher de Lapouge utilisa le terme ethnie pour définir les groupes issus de rapprochements linguistiques et culturels entre races différentes et non par une hérédité physiologique ou une solidarité historique. Au sens anthropologique courant, l’ethnie désigne un groupe humain caractérisé par une culture et une langue communes, formant un ensemble relativement homogène se référant à une histoire et un territoire partagés. L’ethnie apparaît comme une entité stable, dotée de caractéristiques propres et objectivables34.

L’ethnicité, comme l’écrit le sociologue canadien D. Juteau, « …est une croyance en des ancêtres communs, réels ou putatifs 35  ». Quant au rôle de la socialisation, D. Juteau en parlant du lien entre culture et ethnicité affirme que « … nous devenons tous ethniques […] grâce notamment à la socialisation, membres de groupes qui sont historiquement et culturellement spécifiques » (p. 21). Selon l’approche conceptuelle de D. Juteau (1999) sur la théorisation de l’ethnicité, les frontières ethniques possèdent deux faces, interne et externe qui se construisent simultanément, dans les rapports aux autres (dimension externe) et dans le rapport à l’histoire et à la culture (dimension interne). Ainsi, D. Juteau examine l’ethnicité sous l’angle de la construction d’une double frontière, où interviennent tant la place dans les rapports sociaux que les chances de vie et la reconstruction de l’histoire, de la mémoire et de la culture. Dans les rapports interethniques, les différences culturelles sont importantes parce qu’elles servent à délimiter les frontières et à définir l’identité collective. Les différences culturelles servent à masquer les fondements réels des conflits et sont exploitées à cette fin. Selon D. Juteau, l’explication des conflits opposant les groupes ne peut toutefois être réduite à des facteurs psychologiques ni aux seules différences culturelles. Ce sont les inégalités réelles, économiques politiques et sociales, qui doivent servir de toile de fond à l’analyse des relations ethniques. Ainsi, le terme d’ethnie renvoie à la notion d’un groupe présentant une relative homogénéité linguistique, culturelle et historique.

Notes
31.

M. Segalen (2001) Ethnologie. Concepts et aires culturelles, Paris, A. Colin, p. 15.

32.

G. Vinsonneau (2002) L’identité culturelle, Paris, A. Colin, p. 179.

33.

G. Vinsonneau (2002) L’identité culturelle, Paris, A. Colin, p. 117.

34.

M. –O. Géraud, O. Leservoisier, R. Pottier (2006) Les notions clés de l’ethnologie, Paris, A. Colin, p. 63.

35.

D. Juteau (1999) L’ethnicité et ses frontières, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 15.