1.2.2. L’approche primordialiste dans l’ethnographie soviétique

L’ethnos pour l’ethnographie soviétique, comme l’écrit F. Bertrand c’était « …le microbe pour Louis Pasteur ou le groupe pour Durkheim 39 ». En effet, le concept d’ethnos est la véritable valeur étalon sur laquelle repose une grande part de la légitimité scientifique de l’ethnographie soviétique des années 20-30 par le biais de la cartographie ethnique. La théorie de l’ethnos attache l’ethnographie soviétique principalement à la légitimité scientifique des sciences naturelles et psychologiques. En 1925, l’ethnographe soviétique S. I. Rudenko caractérisait l’ethnos comme « un ensemble des traits historiques et culturels », et, en aucun cas, linguistique ou somatique. Ceci a permis de pouvoir associer les partisans de l’ethnos, tel S. I. Rudenko à une vision de l’ethnographie en tant que science des spécificités culturelles.

En 1936, l’ethnographe soviétique S. M. Širokogorov a postulé que l’ethnos doit être compris comme « une unité ethnique », degré suprême d’homogénéisation des diverses « unités ». Pour Širokogorov, ethnos, tribu ou (narodnost’) sont synonymes.

En parlant de la tendance scientifique à cette époque-là, l’anthropologue et sociologue française M. Segalen parle d’une approche générale dans l’ethnologie américaine et soviétique, où l’idée de primordialité était prédominante dans la définition de l’ethnie. Dans leurs approches « …l’accent est mis sur des attachements qui tiennent aux liens du sang présumés, aux traits phénotypiques, à la langue, à la religion, à l’ethnonyme ou à d’autres traits spécifiques, qualifiés comme « qualité primordiale » de l’identité ethnique » (M. Segalen, 2001). Ces attachements essentiels s’imposeraient comme un donné à l’individu dès sa naissance. Comme l’écrit V. Tishkov (2003), l’Empire soviétique n’a repris le terme d’ethnos pour recoder ses différentes entités qu’à la fin des années 60 du XXe siècle40. Pour l’ethnologue soviétique Y. Bromley, les attachements primordiaux, qu’il fait également découler de traits intrinsèques (psychologie de base, sentiment unitaire, partage d’un même territoire, d’un même nom, etc.) forment le noyau le plus stable de l’ethnicité. Il appelle ethnos ce noyau qui reste stable malgré les changements politiques, économiques ou sociaux induits par l’environnement.

Notes
39.

F. Bertrand (2002) L’anthropologie soviétique des années 20-30, Bordeaux, PUB, p. 222.

40.

V. Tishkov (2003) Le requiem pour l’ethnos. Les recherches sur l’anthropologie socio-culturelle (en russe), Moscou, Nauka, p. 12.