Conclusion du chapitre

Dans ses travaux, H.Tajfel tend à établir les effets de la catégorisation sociale en « nous » (in-groupe) et « eux » (out-groupe) en dehors de tout conflit objectif d’intérêts et de toute attitude hostile préexistante. Même dans ces conditions, des attitudes et comportements discriminatoires se manifestent. Il existerait donc une sorte d'attitude sociale générale tendant à favoriser l'in-group par rapport à l'out-group, et ceci indépendamment des rapports objectifs entre groupes et des motivations individuelles particulières.

Le processus de catégorisation d’objets ou de personnes entraîne la maximisation des différences entre les membres de catégories différentes (la différenciation) et la minimisation des différences entre les membres d’une même catégorie (l’homogénéisation). Il est facile d’imaginer comment ce processus se concrétiserait dans la construction sociale de catégories nationales. Pour l'expliquer, Tajfel met en relation la catégorisation avec l'identité et le mécanisme de comparaison sociale. Chaque individu construit en effet son identité sociale à partir de l'appartenance à certains groupes et de la signification émotionnelle et évaluative qu'elle revêt pour lui. Comme l'individu est porté à rechercher une identité positive, il est généralement conduit à valoriser ses groupes d'appartenance (ou à les quitter si ce n'est pas possible). Mais aucun groupe ne vit isolément ; chacun tend à se comparer à d'autres et cette "comparaison sociale" a pour effet que la dévalorisation de l'autre est presque toujours corrélative de la valorisation de son propre groupe. On constate que ces attitudes de discrimination sont souvent présentes dans la formation de l'estime de soi. En effet, en avantageant son groupe, l’individu améliore sa propre image. En se construisant une bonne « identité sociale », il valorise son identité personnelle.

J. Turner montre comment cette problématique s'inscrit dans le cadre d'un processus de compétition sociale (in Doise, 1979) ; il pose, lui aussi, comme prémisse que l'identité sociale positive est liée à un mécanisme de comparaison mutuelle intergroupes. Mais comme chaque groupe a cette même démarche, il s'ensuit une sorte de compétition des groupes pour l'identité positive qui entraîne une situation de rivalité. Ainsi compétition et rivalité intergroupes ne requièrent pas la condition d'un conflit objectif d'intérêts même si elles peuvent être fortement accentuées par une telle condition.

Ainsi, les théories de catégorisation sociale (Tajfel, 1978, 1981, 1982) et de l’autocatégorisation (Turner, 1987) reposent sur la définition d’un « Nous-Autres » que donnent les membres d’un groupe en termes de « nous appartenons à un groupe ». Grâce à ces processus, les individus se perçoivent comme membres d’un groupe, s’identifient comme tels et différencient leur groupe d’autres groupes. Ce processus primaire – de nature cognitivo-motivationnelle - façonne l’identité sociale des individus. Les catégorisations sociales, comme l’écrit Tajfel, répondent à un besoin de réduction face à la complexité de l’environnement social. Le découpage de l’environnement social par un système de catégories est l’une des formes les plus simples de l’introduction de la signification en situation sociale. Tajfel pense que la comparaison sociale se réalise à travers la construction d’une identité basée sur les appartenances à différentes catégories sociales. L’appartenance à une catégorie sociale contribue à l’élaboration d’une identité sociale positive si cette catégorie peut être comparée favorablement à d’autres catégories d’appartenance qui se trouvent dans le même champ social.

Tajfel propose un développement plus « social » de la théorie de la comparaison sociale élaborée par Festinger (1954). Si, selon Festinger, les individus évaluent leurs opinions et capacités en les comparant à celles d’autres individus, selon Tajfel l’évaluation de soi est basée sur l’identité sociale que l’individu acquiert à travers son appartenance à différents groupes. L’appartenance à un groupe contribue à l’élaboration d’une identité sociale positive si ce groupe peut être comparé favorablement aux autres groupes : «  …Un groupe social préservera la contribution qu’il apporte aux aspects de l’identité sociale d’un individu, positivement évalués par cet individu, seulement si ce groupe peut garder ces évaluations positives distinctes des autres groupes… » (Tajfel, 1972, p. 296). Les individus essaient activement d’établir une différence évaluée positivement entre leur groupe et les autres groupes.

Turner (1974) développe les idées de Tajfel en proposant la notion de « compétition sociale ». Elle désigne la méthode qu’utilisent les groupes pour essayer d’établir une différence positive entre eux. L’approche de Turner diffère de celle de Sherif : si Sherif explique aussi bien la compétition que la coopération entre les groupes, Turner ne rend compte que d’une tendance unilatérale chez un groupe à établir une différence positive avec l’autre groupe. Un but supra-ordonné ne peut donc être envisagé par les tenants de « l’identité sociale positive ».

Certaines études montrent en effet que les processus de catégorisation ne peuvent être considérés comme directement superposables aux catégories d’appartenances objectives (Zavalloni et Louis-Guérin, 1984). A ce titre, Zavalloni a pu montrer que les mécanismes d’identification et de différenciation s’opéraient non seulement entre endogroupe et exogroupe, mais aussi à l’intérieur même de ceux-ci, un groupe d’appartenance pouvant susciter des aspects différenciés de soi tout comme un hors-groupe peut constituer un support d’identification et servir de référent identitaire pour soi. Il n’y aurait donc pas nécessairement coïncidence entre identité sociale objective (appartenance de fait) et identité subjective (conscience d’appartenance)55.

Pour conclure, nous voulons citer les auteurs Z. Guerraoui, B. Troadec (2000) qui disent que la construction de l’identité est une structure ouverte, toujours en mouvance, en communication avec l’extérieur, et où le regard d’autrui est structurant. La structuration identitaire est le résultat, comme le souligne Zavalloni (1986), d’une interaction entre un univers intérieur et un monde extérieur, et une perpétuelle négociation entre le « vouloir-être » et le « devoir-être ». Ainsi, l’identité se forge par la confrontation avec différentes situations auxquelles le sujet tente de répondre pour être intégré dans les différents groupes tout en tenant compte de ses aspirations personnelles56. C’est alors dans le rapport entre les réalités objective et subjective que se joue la dialectique identitaire et que l’individu trouve son unicité57 (A.-M. Costalat-Founeau, 1997). L’identité est composée d’une série d’appartenances incluant l’ethnicité, la trajectoire personnelle, les convictions, les sensibilités, les affinités, le sexe, l’âge, l’origine géographique.

Notes
55.

H. Chauchat et S. Busquets Identité européenne. Crise sociale et crise identitaire chez des étudiants français en 1994, P.215 in Chauchat H., Duran-Delvigne (1999) De l’identité du sujet au lien social, Paris, PUF. 

56.

Z. Guerraoui, B. Troadec (2000) Psychologie interculturelle, Paris, A. Colin, p. 73.

57.

A.-M. Costalat-Founeau (1997) Identité sociale et dynamique représentationnelle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 16-17.