La manière dont les groupes élaborent des représentations réciproques, dépend de leurs rapports ; elles servent à en justifier un certain déroulement, tout en sauvegardant la spécificité et l’identité des groupes. Pour y parvenir, les représentations ne peuvent pas se limiter à suivre, tout en s’y adaptant, le déroulement des rapports entre les groupes ; au contraire, elles le déclenchent.
Comme l’écrit W. Doise (1976), sélectivité, justification, anticipation ne sont évidemment pas trois propriétés indépendantes des représentations intergroupes. Elles relèvent d’une même dynamique. Les représentations, en projetant une certaine image de l’autre groupe, en lui attribuant certaines motivations, facilitent et préparent l’action qui sera entreprise à son égard. La représentation entre groupes est elle aussi une action sur la réalité sociale. C’est probablement là qu’il faut chercher l’explication des traits saillants qu’elle prend si souvent. Ils transforment la représentation en « couperet », avec lequel le groupe « taille son projet » dans l’histoire et définit sa spécificité. L’intensification des stéréotypes, souvent constatée lors d’une époque de crise, serait l’amorce du processus par lequel un groupe arrive de nouveau à se situer et à intervenir dans l’environnement social67.
Des travaux plus récents (Moliner et Gutermann, 2003 ; Vinet et Moliner, 2006) suggèrent que les représentations intergroupes remplissent aussi une fonction explicative . Il résulte de leurs expériences qu’elles contiennent des éléments reconnus par les individus comme explicatifs du comportement des membres de leur groupe ou d’un autre groupe. S’ajoutant aux fonctions précédentes, les individus disposeraient donc de représentations leur permettant d’anticiper, de légitimer et d’expliquer leurs comportements à l’aide de traits les caractérisant eux-mêmes et de traits caractérisant les membres d’autres groupes68.
Pour W. Doise (1986), les représentations sociales sont de véritables « principes organisateurs », régulant les rapports symboliques et rendant compte des variations systématiques entre individus. Autrement dit, les représentations sociales permettent à l’individu de prendre position dans les rapports sociaux. Il insiste sur le fait que« les prises de position s’effectuent dans un rapport de communication qui concerne tout objet de connaissance, reflétant ainsi une importance dans les rapports qui les relient aux agents sociaux 69 ». Ainsi Doise précise que « (…) toute définition des représentations sociales en termes de consensus est insuffisante ». Selon lui, les représentations sociales jouent un rôle tout particulier dans l’interaction des groupes ; si leur contenu est bien modifié par la nature des rapports entre groupes, elles n’en influent pas moins sur le déroulement de ces rapports en anticipant leur évolution et en justifiant leur nature. La représentation est déterminée par l’interaction, mais elle l’influence également.
W. Doise (1976) L’articulation psychosociologique. Les relations entre groupes, Bruxelles, Ed. De Boeck, p.117.
J.-C. Deschamps, P. Moliner (2008) L’identité en psychologie sociale. Des processus identitaires aux représentations sociales, Paris, A. Colin, p. 87.
A.-M. Costalat-Founeau (1997) Identité sociale et dynamique représentationnelle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 104-105.